Attention au destinataire final des produits exportés par les entreprises européennes, donc françaises ! Les deux derniers paquets de sanctions annoncés à une semaine d’intervalle par les États-Unis et l’Union européenne (UE) contiennent des mesures directement destinées à lutter contre les systèmes de contournement passant par d’autres pays que la Russie et des sociétés non russes. Ce qui va obliger les entreprises européennes à redoubler de vigilance sur certains de leurs clients et la compliance de leurs opérations. Revue de détail.
Les dernières mesures américaines, que Le Moci a déjà présentées en détail, sont explicitement destinées à lutter contre les systèmes de contournement des sanctions à l’encontre de la Russie si l’on reprend le communiqué du Trésor américain :
« Les actions d’aujourd’hui augmentent le risque de sanctions secondaires pour les institutions financières étrangères qui s’occupent de l’économie de guerre de la Russie ; restreignent la capacité de la base militaro-industrielle russe à tirer parti de certains logiciels et services informatiques (TI) américains ; et, en collaboration avec le département d’État, ciblent plus de 300 personnes et entités en Russie et à l’extérieur de ses frontières – notamment en Asie, au Moyen-Orient, en Europe, en Afrique, en Asie centrale et dans les Caraïbes – dont les produits et services permettent à la Russie de soutenir son effort de guerre et d’échapper aux sanctions ».
Dans le système américain, rappelons que les « sanctions secondaires », de caractère éminemment extraterritorial, visent des entités non-américaines quel que soit leur pays d’implantation, leur interdisant toute transaction avec le pays tiers sous sanction, en l’occurrence la Russie, sous peine de se voir infliger des sanctions à leur tour. Dans sa dernières salve de sanctions, le Trésor américain a mis sous sanction les principales institutions financières russes, dont la Sberbank et la VTB Bank, et près de 90 filiales d’institutions financières dans le monde, mais aussi le marché russe des devises, bloquant le marchés des changes.
Dans une déclaration rapportée par Reuters le 28 juin, le directeur financier de la VTB, Dmitry Pyanov, dont la filiale en Chine, basée à Shanghai, est également sous sanction, a reconnu que ces dernières mesures avaient compliqué les transactions transfrontalières de la deuxième banque russe et l’obligeait à s’adapter à cette nouvelle réalité. De même source, des filiales en Russie de banques chinoises auraient également stoppé les transactions en dollars et en euros avec la Russie.
En UE, pression accrue sur les maisons-mères
Le dernier paquet de sanctions contre la Russie annoncé par l’Union européenne le 24 juin, est aligné sur cette approche plus ciblée sur les systèmes de contournement tout en évitant, toutefois, la stratégie extraterritoriale frontale des Etats-Unis.
Outre qu’il s’attaque aux circuits d’acheminement du gaz russe, en ciblant les navires qui le transportent et en leur interdisant l’accès aux ports européens et donc aux transbordements, ce 14ème paquet européen contient des dispositions visant explicitement les dispositifs de contournement en mettant la pression sur les maisons-mères des entreprises européennes. Celles-ci seront tenues de « s’assurer que leurs filiales de pays tiers ne prennent pas part à des activités aboutissant à un résultat que les sanctions cherchent à prévenir ».
Des dispositions similaires sont prises concernant la réexportation de matériels militaires trouvés en Ukraine ou nécessaires aux Russes : les opérateurs européens concernés se voient obligés de mettre en place des mécanismes de « diligence raisonnable » permettant d’identifier et d’évaluer les risques de réexportation vers la Russie.
Idem pour les transferts de savoir-faire industriels : ils devront désormais inclure des dispositions contractuelles garantissant que ce savoir-faire ne sera pas utilisé pour des biens destinés à la Russie.
Exclure la Russie dans les contrats avec les sociétés non russes
Enfin, accentuant une orientation déjà prise dans le 13ème paquet de sanctions adopté en février dernier (une dizaine de sociétés de pays tiers ciblées, dont en Chine, Turquie, Kazakhstan, Inde et 0Sri Lanka), l’UE a intégré 61 nouvelles entités à la liste de celles qu’elle considère soutenir directement le complexe militaro-industriel russe, dont près de la moitié sont situées dans des pays tiers : si 33 sont en Russie, 19 sont en Chine, 9 en Turquie, deux au Kirghizstan, une en Inde, une au Kazakhstan et une aux Émirats arabes unis.
Désormais, toute vente à ces sociétés de biens susceptibles d’être utilisés pour les activités militaires de la Russie est donc désormais interdite aux opérateurs européens. D’après une note du cabinet d’avocat Gide Loyrette Nouel sur son site, les entreprises européennes exposées par leur activité vont devoir non seulement fournir de réels efforts de diligence sur leurs clients, mais également introduire des clauses d’exclusion de la Russie comme destination finale de leurs produits dans leur contrats de vente avec les sociétés des pays tiers.
D’après RFI, parmi les société chinoises mises sous sanction, deux sont des acteurs de l’industrie spatiale et satellitaires, dont Chang Guang Satellite Technology (CGST) et Head Aerospace Technology.
Ces nouveaux ajouts portent à 675 le nombre totale de sociétés et entités sous sanction. Une liste qu’il faudra désormais consulter à deux fois car dans le même paquet de sanctions, l’UE a aussi élargi la liste des biens soumis à des restrictions d’exportation vers la Russie. Elle intègre désormais certaines catégories de machines-outils et des véhicules tout-terrain, des produits chimiques, y compris les minerais de manganèse et les composés de terres rares, les matières plastiques, les engins d’excavation, les moniteurs et les équipements électriques.
Services financiers : ni Swift ni SPFS
Enfin, the last but not the least, les entités et sociétés européennes se sont vu interdire toute connexion avec le Système de transfert de messages financiers (SPFS) russe et tout autre système développé par la Banque centrale de Russie, ainsi que les transactions en crypto-actifs pour la fourniture, la vente, le transfert ou le transport vers la Russie de biens sous sanctions sont désormais interdites.
Il s’agit ainsi d’accentuer l’isolement de la Russie – déjà interdite de Swift – des systèmes financiers internationaux, le nerf de la guerre en matière de commerce international.
Concernant l’interdiction de la connexion au système SPFS russe, non seulement les banques et entreprises européennes sont visées, mais le Conseil a aussi prévu d’établir « une liste de banques de pays tiers hors de Russie qui sont connectées à ce système, et qui se verront interdire de faire des affaires avec les opérateurs de l’UE ». Cette liste est en cours d’élaboration. Pour certains observateurs, l’UE se rapproche ainsi du système américain des sanctions secondaires.
Au total, pour un certain nombre d’entreprises et de banques européennes, les obligations liées à la compliance (conformité aux réglementation) vis à vis des sanctions contre la Russie, ont été considérablement alourdies. Si cela se justifie par la lutte contre les systèmes de contournement, cela relance aussi la question de la complexification du système européen de sanctions et l’appel, porté par la Chambre de commerce internationale (ICC), à créer, dans l’UE, un organisme de contrôle unique, à la façon de l’OFAC américain.
C.G
Sites et contacts utiles pour en savoir plus
-Pour plus de détails sur le 1’ème train de sanctions, dont la liste d’entités supplémentaires mises sous sanction en Russie et hors de Russie, il faudra consulter la publication du texte afférent au Journal Officiel de l’UE, non encore effective au moment où nous bouclons cet article : cliquez ICI
–La carte des sanctions UE qui permet d’accéder aux dispositifs consolidés par pays : cliquez ICI
–La carte des sanctions internationale de la Douane française : cliquez ICI
–Le point contact de la DG Trésor : [email protected]