Déjà 4 cargos et un yacht ont été bloqués en France par la Douane en vertu de l’application des sanctions européennes contre des personnalités et entités russes et biélorusses, une liste qui évolue et atteignait 510 noms le 3 mars. Bercy a mis sur pied une « task force » associant plusieurs de ses services pour les identifier, localiser leurs biens et avoirs financiers, et déclencher les actions nécessaires pour les geler.
C’est dans la nuit du 2 au 3 mars que le yacht Amore Vero, en cours de réparation au chantier naval de La Ciotat, a été saisi par la douane après plusieurs heures de vérification. Appartenant à une société dont le principal actionnaire est l’oligarque russe Igor Setchine, dirigeant du groupe pétrolier Rosneft, qui figure sur la liste des 510 personnalités russes et biélorusses, proches du pouvoir à Moscou, visées par les sanctions européennes, le navire de luxe s’apprêtait à quitter la France précipitamment. Une infraction qui a permis à la douane de le saisir.
Une « task force » de plusieurs dizaines de fonctionnaires
Le résultat d’une action qui associe plusieurs grands services de Bercy, dont la direction générale des finances publiques (DGFIP), la direction générale des Douanes (DGDDI), le service de renseignement financier Tracfin et la direction générale du Trésor (DG Trésor), et mobilise plusieurs dizaines de fonctionnaires au niveau centrale et des dizaines d’autres sur le terrain, depuis l’instauration des sanctions.
Une fois les listes de personnalités et d’entités reçues (3 listes ont été successivement validées par l’Union européenne les 23, 25 et 27 février dernier), tout est mis en œuvre par ces limiers pour vérifier si elles-mêmes ou des membres de leur famille ont des avoirs financiers ou des biens en France, les identifier et les localiser. Le gel ne les dépossède pas de leurs biens ou de leurs avoirs mais il empêche toute utilisation par les propriétaires.
Pour les avoir financiers, les banques sont tenues de se conformer aux sanctions : elles doivent faire elles-mêmes une revue des comptes détenus par des Russes, signaler ceux pouvant entrer dans le champ des sanctions, et faire des signalements en cas de transaction suspecte. Selon Bercy, dès dimanche 27 février, un message appelant à la vigilance a été adressé à toutes les institutions financières opérant sur le territoire français à ce sujet afin d’éviter les tentatives de contournement. Un montant de 4,8 milliards d’euros que la Banque centrale russe tentait de rapatrier a pu être ainsi gelé.
Pour les biens immobiliers, la première source est le fichier national des transactions immobilières, auquel les notaires sont connectés. Ces derniers ont également été mis en alerte par Bercy.
Outre le yacht d’Igor Sitchine, quatre navires commerciaux ont fait d’ores et déjà l’objet de saisies douanières en vertu des sanctions dans les ports français dont un à Boulogne-sur-Mer, un autre à Fos-sur-Mer, un à Saint-Malo et un autre à Lorient. « Une saisie douanière permet de déclencher une enquête » précise-t-on à Bercy. Car bien souvent, l’identification du propriétaire nécessite des enquêtes plus approfondies, passant par une coopération internationale avec d’autres services gouvernementaux, en raison de montage juridique via des sociétés écran.
Bercy « en mode crise »
« Le ministère de l’Economie et des finances s’est remis en mode crise comme pendant le Covid », a déclaré Bruno Le Maire à la presse lors d’un point sur cette « task force » le 3 mars. Cette fois-ci, face au déclenchement de la guerre en Ukraine par la Russie, il s’agissait d’adopter une batterie de sanctions contre Moscou, d’évaluer leur impact sur les intérêts français et de mettre en œuvre des mesures de protection à leur intention.
« L’unité européenne sur la mise en œuvre des sanctions a été totale et spectaculaire », s’est félicité le patron de Bercy, qui a précisé qu’en quelques jours, sur le territoire de l’Union européenne, « 30 % des avoirs bancaire russes ont été localisés et gelés », contribuant à désorganiser le système financier russe et obligeant sa Banque centrale à instaurer des mesures de restrictions monétaires drastiques pour soutenir la monnaie (hausse des taux d’intérêt de 20 %, obligation faite aux entreprises russes de convertir en roubles 80 % de leurs revenus en devises).
Le ministre français a prévenu : « nous nous tenons prêts à durcir les sanctions si nécessaire ». En ce qui concerne la France, des travaux sont d’ores et déjà menés par Bercy et la Chancellerie pour mettre en œuvre un moyen juridique de transformer les mesures de gel des avoirs en saisie judiciaire, permettant d’en déposséder les propriétaires sous sanctions. Au niveau européen, des réflexions sont notamment en cours au niveau européen sur les cryptomonnaies. L’allongement des listes de personnalités et d’entités sous sanctions est également sur la table.
Christine Gilguy