Rien ne va plus entre Londres et Bruxelles. Après une nouvelle semaine de pourparlers dans le cadre du ‘Brexit’, considérée à la Commission européenne comme l’une des plus tendues depuis leur lancement, les deux camps semblent avoir de plus en plus de mal à accorder leurs violons. « Nous avons des désaccords substantiels sur les modalités de la période de transition », a reconnu Michel Barnier lors d’une conférence de presse. Quant est-il exactement ?
« Eviter un jeu déloyal de la part de Londres durant la période de transition »
Demandée par les Britanniques, cette phase transitoire, d’un peu moins de deux ans – qui débutera en mars 2019, une fois le divorce officiellement prononcé – vise à permettre aux entreprises des deux blocs d’éviter une rupture brutale après le ‘Brexit’. Pendant cette période, le Royaume-Uni continuera donc à faire partie du marché unique et de l’union douanière mais devra en respecter les règles sans néanmoins participer aux prises de décision.
Dans un document publié le 7 février dernier, la Commission indique, par ailleurs, qu’elle souhaite avoir la possibilité de sanctionner le Royaume-Uni en cas de non-respect des règles européennes. D’où l’inclusion, dans le projet de texte encore en discussion, d’un mécanisme permettant à l’Union européenne (UE) de suspendre certains bénéfices pour le Royaume-Uni découlant de sa participation au marché unique. Objectif ? « Eviter un jeu déloyal de la part de Londres durant la période de transition, après le divorce », explique-t-on à Bruxelles.
Les partisans d’un « divorce à l’amiable » gagnent des points
Au Royaume-Uni – où l’exécutif est toujours déchiré entre les partisans d’une franche rupture avec les Vingt-sept et ceux qui veulent maintenir des liens forts avec l’UE – ces nouvelles conditions ont encore attisé les tensions. « Le gouvernement fait désormais face aux conséquences des lignes rouges qu’il a établies, y compris en disant que leur volonté est de sortir de l’union douanière », a déploré Hilary Benn, présidente de la commission sur le ‘Brexit’ pour le Parti travailliste au Parlement – dans une interview accordée à la BBC.
Et ceux, qui comme elle, préconise un divorce à l’amiable, viennent de gagner des points dans la bataille qui les opposent aux « hard Brexiters ». Une note confidentielle du gouvernement, publiée fin janvier par le site BuzzFeed apporte en effet de l’eau à leur moulin en révélant que quoi qu’il arrive, le divorce coûtera cher à l’économie britannique.
Les pays tiers plutôt divisés
Mais les mauvaises nouvelles ne s’arrêtent pas là pour le gouvernement de Theresa May. D’autres difficultés pourraient se présenter avec les pays tiers liés à l’UE par des accords commerciaux. Car si le Royaume-Uni sera tenu de respecter les traités en vigueur, pendant la période de transition, rien ne garantit que les partenaires acceptent de faire de même. De fait, ils sont plutôt divisés.
Sabine Weyland, négociatrice à la Commission européenne, a en effet indiqué que Londres aura besoin de leur feu vert pour bénéficier des avantages offerts par ces accords une fois le ‘Brexit’ prononcé. Et selon elle, la Corée du Sud et le Chili auraient déjà soulevé des objections.
Séoul, par exemple, souhaiterait profiter de l’occasion pour combler son déficit commercial avec le Royaume-Uni, particulièrement élevé entre 2012 et 2015. « Je pense que la Grande-Bretagne devra faire des concessions si elle veut rester dans l’accord commercial pendant la transition », indique Christoph Heider, le président de la Chambre de commerce européenne en Corée du Sud, dans un entretien accordé au site politico.eu.
Le Chili pourrait aussi profiter de la situation pour tenter d’arracher des conditions favorables à son secteur agricole en vue d’un futur accord bilatéral avec le Royaume-Uni, à l’issue de la phase de transition. Car, seul, le pays ne disposera pas des mêmes leviers que l’UE à 27 pour imposer des contingents tarifaires à certains produits chiliens d’exportation tels que les fruits, la viande ou les biocarburants. « Le Royaume-Uni n’est tout simplement pas assez puissant pour faire de telles demandes par lui-même », confirme Samuel Lowe, chercheur au Centre for European Reform (CER).
D’autres partenaires clés pour Londres ont quant à eux affiché leur souhait de maintenir le statu quo après le ‘Brexit’ afin de préserver le flux des échanges commerciaux. C’est le cas du Canada et du Japon, avec qui l’UE a déjà conclu des accords de libre-échange. La renégociation des termes du traité risquerait, selon eux, de prendre trop de temps. « Nous voulons garder une relation stable et prévisible avec le Royaume-Uni », soulignait récemment un communiqué du gouvernement à Ottawa.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles
Pour prolonger:
Lire dans la Lettre confidentielle d’aujourd’hui : ‘Brexit’ / Droit des affaires : Paris se dote d’une nouvelle chambre commerciale internationale
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