Depuis juin dernier, le prix du baril du pétrole a chuté de 60 %, s’établissant sous la barre des 50 dollars. Un record. Toutefois, « pour les grands exportateurs du Proche et du Moyen-Orient, comme l’Arabie Saoudite, l’impact sera limité », exposait Pascal Devaux (notre photo), senior economist Mena (Afrique du Nord-Moyen-Orient) chez BNP Paribas, lors du forum France-pays arabes, organisé le 10 février par la Chambre de Commerce franco-arabe (CCFA) à la CCI Paris Ile-de-France.
« D’abord, parce que les dépenses publiques y sont importantes depuis 2011 et donc vont soutenir l’activité, estimait l’économiste de la banque française. Ensuite, les cours de l’or noir vont progressivement remonter, le brut devant passer à 60 dollars cette année puis 75 dollars en 2016». Plus prudente, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) table plutôt sur un prix du baril de pétrole à 73 dollars en 2020.
Pour trois pays de la zone arabe, la nouvelle donne sur le marché des hydrocarbures va, toutefois, peser lourdement sur leur situation budgétaire. Ainsi, Bahreïn devrait enregistrer des déficits de 14 % et 11 % par rapport produit intérieur brut (PIB) en 2015 et 2016, après 7 % l’an dernier, malgré une économie qui résiste (+3,3 % et + 3,1 % en 2015 et 2016, après 4,8 % l’an passé). A Oman, après une bonne tenue de l’activité cette année (+ 4,5 %), elle devrait chuter à 3,2 % l’exercice suivant, malgré la diminution du déficit budgétaire, passé de 8,2 % à 3,7 % du PIB entre 2015 et 2016. A Bahreïn comme à Oman, BNP Paribas envisage, dans ces conditions, le report d’investissements dans des techniques d’exploration coûteuses.
Algérie : une économie peu flexible et une pression sociale forte
Enfin, l’Algérie verrait son déficit budgétaire se creuser à 10,3 % du PIB en 2015 et 7,2 % en 2016. Le pays est faiblement diversifié, ses dépenses publiques sont élevées et la croissance des importations ne devrait pas fléchir. Ses marges de manœuvre paraissent aussi limitées en raison de la forte pression sociale. Et c’est l’inertie qui domine, rendant improbable d’éventuelles réformes, alors que le président Bouteflika est malade.
« A Oman, la pression sociale est également forte et la question de la succession du sultan Qabous, absent pendant six mois pour cause de traitement médical à l’étranger, est aussi aiguë », a noté Pascal Deveaux. « Tout comme en Arabie Saoudite », a-t-il ajouté, la première puissance pétrolière du monde arabe étant soumise depuis quelque temps à une nouvelle donne : un chômage élevé, notamment chez les jeunes (65 % de l’ensemble des chômeurs), et une situation politique délicate. En pleine « guerre froide » avec l’Iran, le roi Salman à peine au pouvoir est confronté à la montée du terrorisme et de groupes radicaux dans les nations voisines, comme l’Irak et le Yémen.
Au Proche et au Moyen-Orient, des conflits perdurent aussi en Syrie et en Libye, faisant craindre une déstabilisation des pays frontaliers. « A côté de la baisse du baril de pétrole, le risque politique est l’élément aujourd’hui le plus à suivre à moyen terme », analyse ainsi Pascal Deveaux.
Le Maroc et la Tunisie souffrent de la mauvaise santé économique de l’Europe
En Afrique du Nord, comme l’Algérie, le Maroc a échappé au printemps arabe. Le Royaume chérifien a bien des avantages, a observé l’économiste de BNP Paribas, « une demande domestique et des investissements directs étrangers (IDE) importants, une stabilité essentiellement politique, auxquels s’ajoute aujourd’hui la baisse des prix du pétrole », mais il est aussi confronté à la faible demande en provenance de l’Union européenne, son premier client, et à la baisse de l’activité dans le secteur de la construction.
La Tunisie et l’Égypte sont sorties de la révolution par des voies différentes, la démocratie au pays du jasmin, la reprise en mains musclée de l’Armée au pays des pharaons. Lors du forum France-pays arabes, Wided Bouchamaoui, la présidente de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica), rappelait que la révolution du jasmin avait été un mouvement « de la jeunesse tunisienne, sans intervention étrangère », aujourd’hui concrétisé par l’adoption d’une nouvelle Constitution « préservant les droits de tous les Tunisiens et toutes les Tunisiennes », l’élection « démocratique d’institutions », « la formation d’un gouvernement recevant l’aval du Parlement » et « l’approbation d’une feuille de route ».
Selon Pascal Deveaux, « la situation économique est, toutefois, préoccupante et le pays ne devrait pas beaucoup profiter de la diminution des prix de l’or noir ». Comme au Maroc, la Tunisie souffre de la croissance en berne dans la zone euro, en particulier le tourisme et l’industrie, et les banques doivent absolument être recapitalisées cette année pour à nouveau fonctionner et délivrer des prêts aux entreprises.
Dans ce contexte, la Tunisie reste très dépendante de l’aide du Fonds monétaire international (FMI). « Certes, la Banque mondiale et le FMI ont promis des prêts, mais ce n’est pas la question des prêts qui compte, a affirmé Wided Bouchamaoui, mais celle des investissements pour continuer le miracle tunisien ». Or, a-t-elle constaté, avec confiance, « le gouvernement est en train de réaménager la loi sur les investissements et peu d’entreprises, notamment françaises – sur un total de 1 300 – ont quitté la Tunisie, ce qui est rassurant pour l’avenir ».
L’Égypte en attente d’un Sommet international pour relancer les IDE
Quant à l’Égypte, elle reste confrontée à des problèmes structurels, comme le niveau modeste de ses réserves de change et le taux élevé de ses dépenses publiques. Néanmoins, cette nation a retrouvé une situation plutôt stable, les réserves de change, en l’occurrence, ne baissant plus. Le service de la dette a aussi reculé, car les finances publiques ont connu une légère amélioration. Et l’opérateur égyptien d’énergie a bénéficié du remboursement de certains arriérés de paiement de la part de l’État.
Enfin, les relations avec le FMI se sont améliorées au fil du temps, ce qui est de bon augure pour relancer les IDE en prévision du Sommet international qui doit se tenir du 13 au 15 mars à Sharm El-Sheikh. Le 10 février, lors de la conférence des Associations d’entreprises Grande-Bretagne-Égypte (BEBA) au Caire, le Premier ministre égyptien Ibrahim Mahlab a indiqué que le gouvernement avait révisé « une série de nouvelles lois portant sur l’investissement, dont une qui garantira plus de flexibilité grâce à la création d’un système d’investissement à guichet unique, en plus d’une autre loi sur la protection des investisseurs ». Il a également annoncé le lancement, à cette occasion, d’un programme d’investissement sur quatre ans.
François Pargny