L’année 2011 a commencé avec une explosion de mouvements populaires dans plusieurs pays. Ces événements sont de nature à perturber les intérêts économiques étrangers. Une actualité qui justifie un regain d’intérêt pour les solutions d’assurance s’offrant aux entreprises françaises. Avis d’expert.
Les récents mouvements populaires survenus notamment au Maghreb peuvent perturber les intérêts économiques étrangers de diverses façons : en affectant le déroulement des contrats commerciaux en cours d’exécution ou le fonctionnement des investissements réalisés dans le pays, en entraînant des dommages aux biens ou un arrêt de leur exploitation. Un rappel sur la notion de risque politique, du point de vue de l’assureur, s’impose. Pour les faits générateurs du sinistre, il s’agit des événements politiques, des mouvements sociaux, entraînent des situations d’insécurité physique, des dysfonctionnements de l’administration, des infrastructures portuaires ou aéroportuaires… Autant de faits qui ont pu se produire ou peuvent se produire durant les tensions politiques, en Tunisie, en Égypte, en Côte d’Ivoire, mais aussi en Libye, à Bahreïn, au Yémen, à Oman, au Maroc, en Arabie Saoudite…
Un nouveau gouvernement peut proposer la renégociation de contrats signés par son prédécesseur pour obtenir des aménagements techniques ou tarifaires ou même les remettre en cause radicalement parce que la stratégie publique a changé : c’est le fait du prince ! Le risque politique se concrétise aussi du côté de l’exportateur, si son pays d’origine lui recommande de rapatrier ses ressortissants ou encore lui interdit toute livraison dans un pays troublé.
En Libye, la violence de la répression a ainsi conduit les Nations Unies à définir des sanctions, reprises et durcies par le Conseil des ministres européen. L’embargo décidé sur tous les équipements de nature à être utilisés pour la répression a donc gelé l’exécution de contrats en cours. Il en est de même des sanctions décidées par l’Union européenne vis-à-vis de certaines entreprises ivoiriennes.
L’importance des clauses contractuelles
Pour ces contrats, la question cruciale devient alors : quelle est la qualité des clauses contractuelles ?
Lorsque le risque politique se matérialise, l’exportateur relit le contrat signé avec l’acheteur et comprend soudain l’importance de la qualité de la rédaction des clauses contractuelles : comment est rédigée la clause de force majeure ? Peut-on directement suspendre les travaux sans pénalité ? Devant quels tribunaux pourra-t-on faire valoir ses droits dans un premier temps ? Et, si les troubles se prolongent, pourra-t-on revendiquer l’indemnisation des pertes subies et en recevoir la juste indemnisation ? Les cautions sont-elles conditionnelles ou à première demande, « autonomes » par rapport au contrat et, dans ce cas, sont-elles protégées par une phrase qui précise par exemple qu’elles ne peuvent être appelées en cas de force majeure ? Face à ces risques, un marché privé d’assurances propose des couvertures, modulables selon les contrats, avec des moyens qui ont doublé entre 2007 et 2011.
Un marché spécialisé dont les capacités augmentent
Contrairement au système bancaire et à l’assurance-crédit à court terme, le marché des couvertures à moyen terme est resté très actif malgré la crise de 2008, avec l’arrivée de nouvelles capacités en 2009 et en 2010 et des opportunités même sur des pays très difficiles.
Ce marché du risque politique est un marché mature, né il y a plus de trente ans pour les besoins des grands groupes anglo-saxons (investisseurs et exportateurs) désirant couvrir des risques financiers significatifs. C’est un marché mondial avec des pôles de souscription à Paris, à Londres, à Singapour, aux États-Unis ou à Genève, auxquels les courtiers peuvent accéder dès que les besoins de mise en concurrence et de « syndication » le justifient. La spécificité technique et l’importance des montants unitaires des risques gérés sur ce marché justifient en effet l’intervention de courtiers spécialisés qui opèrent selon des pratiques et des procédures particulièrement sécurisées à chaque étape clé du processus d’instruction, de placement et de suivi. La plupart des assureurs de ce marché refusent d’ailleurs d’intervenir sans l’assistance d’un courtier spécialisé auprès du client.
Capacités disponibles à Paris : un tiers du marché mondial
Dans notre article « Paris, un vrai marché pour l’assurance des projets export moyen terme » (Le Moci n° 1864 du 15 avril 2010, p. 70) nous décrivions déjà des capacités très significatives. Elles ont été, depuis, renforcées par l’arrivée de trois nouveaux acteurs : Euler Hermes et Liberty Mutual à Paris, Star Insurance à Londres. Ils apportent une capacité supplémentaire d’environ 150 millions d’euros par opération. De sorte que la part du marché parisien représente aujourd’hui un tiers des capacités mondiales avec neuf bureaux de souscription.
Voici, concrètement, ces capacités :
• sur acheteur privé, la capacité théorique globale par opération est évaluée à environ 600 millions d’euros en risque sur une durée pouvant aller jusqu’à 7 ans ;
• sur acheteur public, la capacité théorique globale par opération est évaluée à plus de 1 milliard d’euros en risque assuré pour l’assurance des contrats, ce qui répond aux besoins de contrats d’un montant nominal bien supérieur.
Tous les assureurs de ce marché peuvent s’engager à 5 ans, certains à 7 ans, 9 ans ou 15 ans si le contexte de l’opération le justifie.
Les produits : sécurisation des contrats et protection des investissements
Le marché permet d’assurer les investissements contre la confiscation, l’expropriation ou la destruction lors d’émeutes, de troubles civils ou d’attentats terroristes.
Pour les contrats, les couvertures concernent les risques financiers avant et après livraison : risque dit de fabrication et de non-paiement ainsi que de la protection des cautions émises au profit de l’acheteur.
Avant livraison, lorsqu’il s’agit d’une fabrication spécifique, on assure les dépenses engagées au-delà des paiements reçus. Le risque se concrétise lorsque des événements politiques ou l’insolvabilité du débiteur empêchent le bon déroulement du contrat et conduisent à son interruption prématurée. Ce risque existe toutes les fois que le contrat décrit la vente de produits spécifiques qui ne pourraient pas être revendus en l’état à un autre acheteur.
Si l’acheteur est une société de projet privée créée ad hoc pour une opération (infrastructure de service public payant par exemple), il est particulièrement important d’assurer le risque d’interruption de contrat car, même si le contrat prévoit le droit à indemnisation des dépenses engagées au-delà des paiements reçus en cas d’interruption du contrat, par définition, la société de projet n’est pas solvable pendant la période de réalisation des travaux.
Après livraison, le marché assure les paiements soit sous forme de simples virements (si l’acheteur est bien connu), soit avec une lettre de crédit. Si les paiements sont effectués sur une lettre de crédit, les assureurs peuvent :
• en garantir le paiement à concurrence de 90 ou 95 %.
Dans le cas où toutes les conditions requises pour le paiement de la lettre de crédit sont réunies, et que la banque émettrice ne paye pas, l’exportateur peut être indemnisé à hauteur de la part assurée de la lettre de crédit. C’est ce qui s’est passé au Kazakhstan et en Ukraine lorsque les banques locales ont fait défaut.
• Assurer le risque de « non-certification » par l’acheteur, c’est-à-dire indemniser l’exportateur sur son risque de fabrication, autrement dit sur les dépenses engagées au-delà des paiements reçus lorsque l’acheteur, de façon abusive, ne fournit pas les documents et les signatures nécessaires au paiement.
En effet, les lettres de crédit prévoient souvent la présentation de documents parfois complexes et nombreux, et toute erreur matérielle peut devenir cause de non-paiement. Pour ces cas de « non-certification abusive », les assureurs proposent de compléter la garantie du paiement de la lettre de crédit par un mécanisme d’indemnisation des dépenses engagées au-delà des acomptes reçus, perte désignée comme le « risque de fabrication ».
Les cautions, lorsqu’elles sont à première demande, peuvent être appelées si l’exportateur n’accomplit pas ses obligations contractuelles, même s’il en est empêché par un cas de force majeure (violences politiques, retrait de licence d’exportation, embargo…). Lorsque ces cautions sont assurées, l’exportateur pourra être indemnisé du montant de la caution appelée dès lors que le fait générateur est politique, indépendant de la volonté de l’exportateur.
France Arnaud, cabinet de courtage Solmondo
L’exercice de la subsidiarité : grands contrats et PME
La crise bancaire suivie de celle de l’assurance-crédit court terme a nécessité une réaction de l’administration pour soutenir les exportateurs français : les fortes réductions tarifaires décidées fin 2008 ont entraîné un recours massif à la Direction moyen terme de Coface, qui gère l’assurance-crédit publique, ce qui a fait exploser les engagements de l’État de 40 milliards fin 2008 à 60 milliards fin 2010.
Vu les capacités disponibles sur le marché privé d’assurance des grands contrats, notamment à Paris, Coface DGP dans son rôle de bon gestionnaire de l’aide d’État, a introduit dans son nouveau formulaire (art 16 « Contexte de la demande » et notice page 5/7) une question sur le recours préalable au marché privé, de façon à s’assurer que la puissance publique n’est pas sollicitée inutilement, là où le marché privé aurait pu intervenir, mettant ainsi en œuvre une politique de plus de transparence vis-à-vis du Parlement, notamment en justifiant les opérations supportées par l’État.
Les autres assureurs publics qui ne respectent pas encore le principe de la subsidiarité public-privé devront s’y rallier sous la pression des dispositions en cours de préparation au sein de l’OCDE et de l’Union européenne.
Cette stratégie de « laisser faire le marché privé sur les grands contrats au comptant » permettra de préserver les capacités publiques qui sont encore nécessaires pour le soutien des banques dans l’accompagnement export des PME et pour les contrats que le marché privé n’a pu assurer.
F. A.