« On a l’impression d’être revenu 20 ans en arrière » ! C’est le constat inquiet que dressait le 7 décembre 2017 Nabil Jijakil, directeur général de l’assureur-crédit belge Credendo, en présentant aux opérateurs belges l’évolution de la cartographie des risques pays du groupe entre 2007 et 2017 (photo). En ce début d’année 2018, alors que les milieux d’affaires scrutent l’horizon, si les opportunités commerciales sont nombreuses, les risques politiques ne doivent pas être la moindre de leur préoccupation lorsqu’ils exportent dans les pays en développement et émergents.
Car malgré une conjoncture mondiale qui semble actuellement s’améliorer, surtout vu d’Europe, depuis la grande crise financière de 2008, la tendance a été à une hausse constante des risques politiques : tensions géopolitiques et instabilité politique (notamment à la suite du printemps arabe de 2011), impact du ralentissement / recentrage de l’économie chinoise sur son marché intérieur, effets dévastateurs de la crise des matières premières qui a frappé de nombreux pays producteurs et généré chocs socio-économiques et augmentation de la dette publique dans de nombreux Etats…
Alors que le commerce international connaît une reprise -+ 5 % anticipé en 2018 –, il est en outre menacé par un regain massif de protectionnisme, nouveau risque politique majeur venu des Etats-Unis qui, s’il ne s’est pas encore matérialisé, plombe le climat des affaires dans le monde*.
Le risque de défaut sur la dette augmente
A lui seul, le problème du retour de l’endettement excessif devient préoccupant, alors que la tendance est à la hausse des taux d’intérêt dans le monde. Le risque de défaut est par conséquent en hausse, et le phénomène frappe tout autant les opérateurs économiques que les Etats ou leurs entités publiques.
Ainsi, selon les données fournies par Credendo, qui sont issues du FMI, en 2017, la dette des entreprises non financières atteint 165 % du PIB en Chine, 100 % au Chili, 69,2 % en Hongrie, 70 % en Turquie, 68 % en Malaisie, 58,3 % en République Tchèque, 51 % en Russie, 50 % en Arabie Saoudite, 49 % en Thaïlande et en Pologne, 48 % en Inde et 42 % au Brésil…
Quant à la dette publique, elle s’est remise à progresser rapidement en Afrique -où elle dépasse les 50 % du PIB dans de nombreux pays- ainsi que dans les pays d’Afrique du nord et du Moyen Orient où les émissions d’obligations d’Etat ont atteint des records. En Amérique latine, elle reste très élevée aussi.
Une détérioration importante des notes de risque
Chez Credendo, qui gère pour le compte de l’Etat belge les garanties publiques à l’export réservées aux exportateurs belges mais qui est aussi un spécialiste, à titre privé, de l’assurance-crédit export dans les pays émergents, cette conjoncture plutôt défavorable s’est traduite par une détérioration importante des risques politiques dans les pays en développement et émergents, la tendance étant négative tant sur le moyen long terme et que sur le court terme.
Pour le risque politique, Credendo utilise une échelle de note de 1 à 7, de la meilleure à la pire. Il s’agit d’un risque majeur pour les exportateurs puisqu’il désigne des faits –« fait du prince », troubles sociopolitiques, interruption des transferts de fonds…- sur lesquels ils n’ont aucune prise et qui peuvent aboutir à l’interruption de leurs opérations d’exportation ou de leur paiement.
Pour le moyen long terme (risque de paiement à plus d’un an), un pic a eu lieu en 2016 avec 26 dégradations de notes de risque politique contre 4 reclassements. Une sorte de palier a été atteint en 2017, avec 5 dégradations pour 3 reclassements, mais, avait averti Nabil Jijakil, « c’est une amélioration dans un contexte de risques élevés ».
Pour le court terme (moins d’un an), après une année 2016 marquée par 26 reclassements pour 15 dégradations, l’année 2017 a été marquée par une nouvelle détérioration avec 20 dégradations pour 17 reclassements.
Afrique sub-saharienne, CEI et Asie centrale, MENEA
L’Afrique sub-saharienne, les pays de la CEI et l’Asie centrale, la zone MENEA (Afrique du nord Moyen-Orient), ont été particulièrement touchés, l’Asie et l’Amérique latine étant également concernées. Au total, sur 2016 et 2017 voici les évolutions par pays :
-MOYEN TERME
Reclassements :
Asie : Laos (de 7 à 6) ; Myanmar (de 7 à 3) ;
Europe et CEI : Serbie (de 6 à 5) ;
Amérique latine : Argentine (de 6 à 5) ; République Dominicaine (de 4 à 3) ;
MENA : Iran (de 7 à 5) ;
Afrique sub-saharienne : Togo (de 7 à 3).
Dégradations :
Asie : Malaisie (de 2 à 3), Mongolie (de 6 à 7), Papouasie Nouvelle-Guinée (de 4 à 5) ;
Europe et CEI : Azerbaïdjan (de 4 à 5), Kazakhstan (de 5 à 6), Kyrgyzstan (de 6 à 7), Ouzbékistan (de 5 à 6), Turquie (de 4 à 5) ;
Amérique latine : Brésil (de 4 à 5), Equateur (de 5 à 6), Trinidad e Tobago (de 2 à 3) ;
MENA : Algérie (de 3 à 4), Bahreïn (de 3 à 5), Koweït (de 2 à 3), Oman (de’ 3 à 5), Qatar (de 3 à 4), Tunisie (de 4 à 5), Emirats arabes unis (de 2 à 3) ;
Afrique sub-saharienne : Angola (de 5 à 6), Rép. Démocratique du Congo (de 6 à 7), Congo (de 5 à 7), Kenya (de 5 à 6), Mauritanie (de 6 à 7), Niger (de 6 à 7), Nigeria (de 5 à 6), Sierra Leone (de 6 à 7), Afrique du Sud (de 3 à 4).
-COURT TERME
Reclassements :
Asie : Indonésie (de 3 à 2) ; Malaisie (de 2 à 1) ; Mongolie (de 6 à 5) ; Thaïlande (de 3 à 2) ; Vietnam (de 3 à 2) ;
Europe et CEI : Azerbaïdjan (de 4 à 3), Biélorussie (de 7 à 6) ; Ukraine (de 6 à 5) ; Ouzbékistan (de 6 à 5);
Amérique latine : Guyana (de 4 à 3), Suriname (de 6 à 4) ;
MENA : Egypte (de 5 à 4), Irak (de 7 à 6);
Afrique sub-saharienne : Ghana (de 5 à 4), Mauritanie (de 6 à 5), Ouganda (de 4 à 3).
Dégradations :
Asie : Maldives (de 3 à 4), Philippines (de 1 à 2), Sri Lanka (de 3 à 4) ;
Europe et CEI : Turkménistan (de 5 à 6) ;
Amérique latine : Bahamas (de 3 à 4), Paraguay (de 2 à 3), Trinidad e Tobago (de 3 à 34) ;
MENA : Algérie (de 2 à 3);
Afrique sub-saharienne : Bénin (de 74 à 5), Burkina Faso (de 4 à 5), Tchad (de 4 à 5), Rép. Démocratique du Congo (de 6 à 7), Congo (de 4 à 5), Côte d’Ivoire (de 3 à 4), Guinée Equatoriale (de 4 à 5), Ethiopie (de 5 à 6), Gabon (de 4 à 5), Guinée Bissau (de 4 à 5), Mali (de 4 à 5), Niger (de 4 à 5), Sénégal (de 3 à 4), Togo (de 4 à 5).
De quoi inciter les exportateurs à rester vigilants dans leurs opérations…
Christine Gilguy
* Lire notamment l’interview exclusive de Jacques Delarosière et Nabil Jijakli paru dans notre Lettre confidentielle du Moci n°264 du 14/12/2017 : J. de Larosière et N. Jijakil : « L’Europe n’a pas d’autres choix que de jouer la carte du libre-échange » ainsi que l’article Export / Commerce : le protectionnisme facteur d’aggravation des risques pays, selon Credendo