La montée du risque client à l’export ne se dément pas cette année, nourri, entre autres, par l’augmentation des défaillances d’entreprises dans le monde. Ainsi, leur progression s’annonce plus forte que prévue en début d’année 2024, selon les dernières prévisions d’Allianz Trade. Revue de détail.
L’assureur-crédit Allianz Trade tablait sur une hausse de son indice des défaillances d’entreprises dans le monde de + 9 % en février 2024 (après + 7 % en 2023), il a revu ses prévisions à la hausse dans la dernière livraison de ses prévisions. Ce sera + 11 %. Et là où il anticipait une stabilisation du nombre de faillites en 2025, ce sera au contraire une nouvelle progression de + 2 %. La stabilisation du nombre de faillites, « à un niveau élevé », est désormais attendue pour 2026.
Le reflet d’une situation économique difficile dans de nombreux pays, dans le contexte d’une atonie de la consommation assez généralisée, des incertitudes liées aux tensions géopolitique, et de conditions de financement inégales selon les pays. « Plus de la moitié du PIB mondial sera confrontée à une augmentation à deux chiffres des défaillances d’entreprises en 2024 » estime Allianz Trade, et « près de 1,6 million d’emplois en Europe et en Amérique du Nord pourraient être menacés en 2025 ».
Une augmentation à deux chiffres dans deux pays sur trois
Dans le détail, « deux pays sur trois devraient dépasser leur nombre de faillites d’avant la pandémie d’ici la fin de 2024, contre un pays sur deux en 2023 » constate le rapport. Les progressions de défaillances iront de + 1 % pour la Chine à + 39 % pour le Canada et Singapour, avec de nombreux pays, à l’instar de la France (+ 18 %), affichant des taux de progression à deux chiffres (voir ci-après).
Seuls pays qui devraient au contraire enregistrer des baisses de défaillances cette année : le Chili (-43 %), la Hongrie (25 %), Taiwan (-17 %), le Danemark (-16 %), l’Afrique du Sud (-5 %), l’Inde (-4 %) et la Bulgarie (-1%).
Prévisions de défaillances en 2025
par grandes zones géographiquesAmérique du Nord : + 10 % (+ 32 % en 2024)
Dont États-Unis : + 12 % (+ 31 % en 2024)Amérique latine : – 5 % (+ 11 % en 2024)
Dont Brésil : – 1 % (+ 33 % en 2024)Europe : – 3 % (+ 14 % en 2024)
Dont Allemagne : + 4 % (+ 25 % en 2024)
Royaume-Uni : – 6 % (+ 5 % en 2024)
France : – 6 % (+ 18 % en 2024)
Italie : + 4 % (+ 22 % en 2024)
Espagne : + 1 % (+ 7 % en 2024)
Pays-Bas : – 2 % (+ 35 % en 2024)
Belgique : – 5 % (+ 8 % en 2024)
Suisse : – 1 % (+ 11 % en 2024)Europe de l’Est et Centrale : – 4 % (+ 8 % en 2024)
Dont Russie : + 16 % (+ 28 % en 2024)
Turquie : + 8 % (+ 20 % en 2024)
Pologne : -11 % (+ 5 % en 2024)Asie-Pacifique : + 1 % (+ 1 % en 2024)
Dont Chine : + 5 % (+ 1 % en 2024)
Japon : – 6 % (+ 12 % en 2024)
Corée du sud : – 15 % (+ 19 % en 2024)
Singapour : – 7 % (+ 39 % en 2024)
Inde : + 3 % (- 4 % en 2024)
Australie : – 5 % (+ 14 % en 2024)Source : Allianz Trade
Pour 2025, les grandes économies pèsent sur la tendance. Aux États-Unis, selon Allianz Trade, la hausse des défaillances sera de +12 % en 2025 avant une baisse de -4% en 2026. En Allemagne, elles augmenteront de +4% avant de baisser de -4% en 2026. En France et au Royaume-Uni, elles se modéreront légèrement à partir de niveaux très élevés (-6% en 2025 pour les deux contre -3% et -4% en 2026 respectivement) tandis qu’en Italie, elles continueront à augmenter (+4% et +3% respectivement). En Chine, les défaillances d’entreprises commenceront à augmenter à partir de faibles niveaux, +5% et +6% en 2025 et 2026, respectivement.
« Cette évolution en dents de scie des défaillances d’entreprises est en partie due à une demande mondiale encore timide, à une incertitude géopolitique persistante et à des conditions de financement inégales, analyse Aylin Somersan Coqui, CEO d’Allianz Trade. Elle s’explique également par la normalisation des défaillances, les entreprises n’étant plus protégées par les mesures de soutien mises en place lors de la pandémie et de la crise énergétique. C’est pourquoi plus de la moitié du PIB mondial sera frappé par une hausse des défaillances à deux chiffres en 2024, et deux pays sur trois pourraient dépasser leur niveau prépandémie cette année ».
Les faillites majeures en hausse
Globalement, les secteurs les plus touchés jusqu’à présent sont la construction, le commerce de détail et les services, « à la fois en termes de fréquence et de gravité ». Les faillites de grandes entreprises (plus de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires), dont la particularité est d’avoir des effets en chaine sur nombre de fournisseurs et sous-traitants, ont été aussi plus nombreuses, notamment en Europe.
À l’échelle mondiale, ces faillites majeures ont atteint un nouveau record de cas au deuxième trimestre (T2) 2024 (110 cas), dépassant le niveau moyen d’avant la pandémie. « Cela augmente les risques d’un effet domino des défaillances à travers leurs longues listes de fournisseurs » souligne le rapport. Au premier semestre (S1) 2024, ces défaillances majeures ont augmenté de +23% (217 dossiers), les chiffre d’affaires cumulé de ces grandes entreprises insolvables a atteint 96 milliards d’euros (72 milliards d’euros au S2 202), largement supérieur à la moyenne de 90 milliards d’euros (soit 180 milliards d’euros en termes annuels) de la période 2015-2023.
Pour ces grosses faillites, l’Europe de l’Ouest est en tête du décompte mondial avec 127 cas au S1 2024 (+51 sur le S1 2023), devant l’Asie-Pacifique (41 cas, soit -4) et l’Amérique du Nord (39 cas soit +8 par rapport au S1 2023). Cependant, les États-Unis restent en tête avec neuf des 20 premières faillites au T2 2024, tandis que l’Europe de l’Ouest (six cas) a remplacé la Chine en deuxième position (trois cas) pour le deuxième trimestre consécutif.
Plus important encore, les trois principaux secteurs ayant contribué au décompte mondial ont été en Europe occidentale : le commerce de détail (18 cas au S1), la construction (20) et les services (26). L’Asie a enregistré un nombre important de cas dans la construction (12) et la chimie (6), tandis que les États-Unis ont continué d’enregistrer d’importantes défaillances dans les services (13) et le commerce de détail (7).
À l’échelle mondiale, l’électronique se distingue par la plus grande sévérité en termes de chiffre d’affaires par cas de faillite (779 millions d’euros en moyenne), suivie par les matières premières (672 millions d’euros), le commerce de détail (649 millions d’euros), la construction (648 millions d’euros) et les métaux (637 millions d’euros).
Effet mitigé de la baisse des taux d’intérêt
La baisse des taux d’intérêt d’ores et déjà amorcée sera-t-elle un facteur d’atténuation du phénomène des faillites ?
Les analystes d’Allianz Trade restent nuancés sur ce point, estimant que les entreprises ont appris à vivre, ces derniers mois, avec les taux d’intérêt élevés. « Les entreprises ont déjà commencé à se désendetter et à s’adapter aux taux élevés, confirme ainsi Maxime Lemerle. Notre analyse suggère que le cycle d’assouplissement actuel (-2 points de pourcentage d’ici à septembre 2025) conduirait à -4 points de pourcentage de la dynamique des défaillances, grâce à des marges plus élevées (jusqu’à +2 points de pourcentage en Allemagne, +4 points de pourcentage en France, +3 points de pourcentage au Royaume-Uni et +2,8 points de pourcentage aux États-Unis). Cependant, cela ne compenserait que légèrement la hausse attendue aux États-Unis, par exemple, et renforcerait légèrement la baisse en France ».
Christine Gilguy