Longtemps présentée comme une locomotive de l’export et un modèle envié par les autres Régions, Erai (Entreprises Rhône-Alpes international) menace de dérailler. L’association, véritable bras armé du Conseil régional pour soutenir les entreprises rhônalpines à l’international, tiendra, vendredi 6 février à Lyon, un deuxième conseil d’administration exceptionnel en moins d’une semaine, dans une ambiance électrique. Son objectif principal : la nomination d’un nouveau président pour remplacer Daniel Gouffé, 75 ans, qui focalise désormais toutes les critiques au sein de l’écosystème rhônalpin du commerce extérieur. Et, à la clé, le retour à un semblant de normalité pour Erai, en sursis après l’ajournement sine die du projet de fusion avec l’Ardi (Agence régionale de développement de l’innovation), retiré à la dernière minute, le 28 janvier, de l’ordre du jour de l’assemblée plénière du Conseil régional, faute d’une majorité pour le voter.
Selon nos informations, il y a un candidat depuis quelques jours pour ce poste délicat, vues les circonstances. Membre du conseil d’administration d’Erai, chef d’entreprise qui serait « emblématique » en Rhône-Alpes, le candidat pressenti a non seulement le profil requis, mais il est en outre une personnalité qui « ferait consensus » au sein du conseil d’administration, y compris parmi les représentants du Conseil régional.
Mais le secret sera semble-t-il bien gardé jusqu’au bout tant les parties prenantes à ce dossier veulent calmer le jeu pour éviter un nouvel échec. « Daniel Gouffé a signé lui-même l’ordre du jour, qui comporte aussi l’approbation des comptes. Jean–Jack Queyranne l’a lâché », veut se rassurer un membre du conseil d’administration d’Erai joint par la Lettre confidentielle (LC).
Pourquoi cette appréhension ? Lors du précédent conseil d’administration le 30 janvier, alors que l’agence avait annoncé le départ de son président dans un communiqué, l’ancien P-dg de Merial (santé animale), qui préside Erai sans discontinuer depuis 2005, avait créé la surprise en refusant de démissionner, contrairement à son engagement, entraînant la fureur des élus présents et un déchaînement de polémiques dans la presse locale. Depuis, il a lui-même annoncé qu’il quitterait finalement ses fonctions, après un ultime coup de fil, dit-on, du président du Conseil régional.
Un poste à hauts risques
C’est qu’Erai n’a plus de feuille de route, sa direction est fragilisée alors que son directeur général, Laurent Van Soen, était annoncé partant avant les derniers rebondissements. Pour corser le tout, le départ de Daniel Gouffé conditionne le versement par la Région à Erai d’une rallonge budgétaire qui doit lui permettre de survivre trois mois en attendant que la situation se clarifie.
Alors qu’un audit de la Cours régionale des comptes, sollicité l’an dernier par les élus écologistes, est en cours, l’agence est au bord de la cessation de paiement : elle a terminé 2014 avec un déficit de 500 000 euros, auquel s’ajoutent 3,5 millions d’avances de trésorerie dus à la Région qu’elle ne peut rembourser. Elle a obtenu un sursis grâce à Jean-Louis Gagnaire, vice-président de la Région délégué au Développement économique, artisan du projet de fusion ajourné, qui a obtenu de justesse, à une courte majorité, le vote d’une subvention de 1,5 million d’euros pour permettre à l’agence de régler les salaires de ses 126 collaborateurs jusqu’à fin mars contre l’engagement écrit de Daniel Gouffé de… quitter ses fonctions lors du conseil d’administration du 30 janvier. Ambiance…
Les tractations autour du prochain président étaient loin d’être finies au moment où nous bouclons la LC, car le poste est à hauts risques et pourrait être renforcé par la nomination d’un vice-président exécutif.
Outre la situation financière problématique, qui pourrait nécessiter la fermeture anticipée d’une partie des 27 bureaux d’Erai à l’étranger (prévue dans le projet de fusion), le nouveau président devra aussi s’attaquer à la réforme de la gouvernance réclamée par les élus régionaux et les milieux d’affaires. Le tout dans le contexte d’un jeu politique local plus que glissant depuis que les élus écologistes d’EELV (Europe Écologie Les Verts) ont décidé de jouer leur partition à quelques mois des élections régionales.
La fronde des Verts
» Quant à nous, secteur privé, c’est en quelques mots profil bas et pragmatisme. Les entreprises attendent que les choses se décantent « , confiait, prudemment, un industriel rhônalpin à la LC. Politiquement, on en est encore loin.
Comme l’expliquait la LC dans son édition du 3 juillet 2014*, Jean-Charles Kohlhaas, coprésident du groupe des élus EELV au Conseil régional, mène la fronde contre Erai depuis des mois, dénonçant « l’opacité » de sa gestion et des dépenses jugées faramineuses, comme la participation régionale à l’Exposition universelle de Shanghai en 2010 et le transfert à l’agence du pavillon alors construit à grand frais, ou encore son expansionnisme international. Aujourd’hui, EELV réclame la liquidation pure et simple d’Erai, seul moyen, aux yeux de son chef de file, de « dresser un bilan précis de son action ». D’où son refus de voter, le 28 janvier, le rapport de préfiguration de la fusion qui devait conduire à la création d’une nouvelle association, Entreprise-Rhône-Alpes International Innovation (Eraii).
Un sacré revers pour Jean-Louis Gagnaire et surtout le président Jean-Jack Queyranne. » Les Verts ont fait partie de la majorité lors des élections régionales et européennes, mais, depuis, ils se renferment « , commente l’industriel rhônalpin joint par la LC. Or, ce n’est pas le seul dossier sur lequel se déchirent les partis aux affaires à Lyon. La bataille entre les socialistes, favorables au projet de TGV Lyon-Turin, et les Verts, qui y sont opposés, est, à cet égard, significative. Par ailleurs, les tensions au niveau national entre le parti socialiste et les écologistes ne favorisent pas les relations à l’échelon régional.
La méthode, trop précipitée, trop cavalière ?
Des critiques commencent aussi à poindre sur la méthode utilisée par le Conseil régional pour mener à bien ce projet, porteur de réformes longtemps repoussées : trop précipitée, trop cavalière, sans y associer suffisamment les dirigeants des deux structures, entend-on.
Le projet aurait été annoncé en avril 2014 par Jean-Louis Gagnaire aux dirigeants des deux structures, avec l’objectif d’avoir achevé le travail au 1er janvier 2015, soit un temps jugé bien trop court. Dans la foulée, un cabinet spécialisé dans le management de transition –MCG Managers– a été mandaté par la Région pour piloter la « préfiguration », lequel a dépêché un « manager de transition » en août 2014 et recruté les avocats du cabinet Taj pour les audits.
« C’est eux qui ont rédigé le projet de fusion en liaison avec le Conseil régional », souligne, amer, un ancien salarié. Leur projet, jugé flou par les représentants du personnel sur les aspects sociaux, aurait été retoqué par ces derniers. Et au total 14 salariés, dont des cadres, auraient quitté Erai l’an dernier, démotivés.
Autant dire que les quatre derniers mois de l’année ont plombé l’atmosphère. « Le projet de fusion n’est pas abandonné, mais différé, souligne pour sa part l’administrateur d’Erai joint par la LC. Mais ça sera pour le prochain mandat ». En attendant, selon lui, Erai ne pourra faire l’économie d’une réforme dès cette année : « c’est une exigence de la Région, qui finance 64 % du budget d’Erai ». Mais, et ce ne sera pas le moindre des défis du prochain président, il faudra ressouder les… rails.
Christine Gilguy avec François Pargny
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