Le deuxième livre blanc de l’Université d’été de l’internationalisation des entreprises (UEIE) 2020, qui s’est tenue le 9 juillet dernier sur un format 100 % digital, tombe à propos : alors que la France et plus largement l’Europe affrontent une deuxième vague de la pandémie de Covid-19 et que les restrictions aux déplacements sont à nouveau au goût du jour, ce document de 15 pages ouvre des pistes aux entreprises pour « Réussir à l’international dans le monde du Covid ».
Il faut se souvenir du contexte dans lequel s’est tenue cette journée : le 9 juillet, c’était à peine cinq mois après le début de la première vague de cette pandémie venue de Chine qui a sidéré tout le monde. Il y avait eu un confinement total sans précédent de deux mois commencé le 16 mars et achevé le 11 mai, des fermetures de frontières, des désorganisations inouïes des chaînes d’approvisionnement et de distribution internationales, des annulations brutales de salons, des plans de soutien de montants inédits… Télétravail, réunions, séminaires et conférences à distance ont fait irruption dans la vie quotidienne des entreprises et leurs pratiques internationales.
L’envie de sortir de son isolement était évidente. L’UEIE, qui compte parmi ses organisateurs et partenaires les principaux piliers de l’écosystème d’accompagnement des entreprises à l’export (OSCI, Medef International, CCEF, Bpifrance, Business France, CCI France, CCI France International, la Fabrique de l’exportation, ICC France, Adepta), a connecté durant cette journée 500 professionnels autour de 80 intervenants dans le monde entier, au cours de trois plénières et 42 ateliers. Bien plus que la première édition de 2019 en mode présentiel.
Autant dire que ce qui en est ressorti avait vocation à dégager un peu le brouillard qui s’était abattu tout autant sur les entreprises que sur ceux qui ont vocation à leur fournir des services à l’international. On retrouve cet état d’esprit dans le livre blanc qui en a été tiré, avec une touche concrète et opérationnelle qui lui donne tout son intérêt.
Que contient le document ?
La première partie est une synthèse des analyses des entreprises sur l’impact de cette crise sanitaire sur leurs activités internationales. La deuxième partie, plus longue, développe une série de recommandations concrètes, tout autant à l’attention des entreprises que de l’écosystème exportateur, pour « revisiter les stratégies de développement et d’accompagnement » afin de s’adapter au contexte de la Covid-19.
« Il s’agit d’aider l’appareil exportateur français à traverser la crise, et à en sortie plus résilient et plus fort », souligne encore le document.
Ce que la Covid-19 change
Au chapitre de l’analyse de l’impact, l’impression qui ressort est que les transformations seront durables, certaines inattendues, d’autres en germe avant la pandémie, et elles disparaîtront pas avec la Covid.
La digitalisation massive des pratiques et échanges, avec ses avantages et ses limites (quid du relationnel ?) est une tendance qui existait déjà ; elle a été accélérée par la pandémie et les restrictions aux voyages. Une autre évolution majeure s’est par ailleurs imposée aux entreprises : devoir faire face de façon permanente à la gestion des aléas, tant dans leur chaîne d’approvisionnement que dans leur chaîne de distribution.
« Ces deux tendances (…) ont d’ores et déjà amené plusieurs entreprises à redéfinir leurs modes d’entrée sur les marchés étrangers, mais aussi à repenser plus largement leur stratégie internationale pour la rendre plus résiliente face à la crise actuelle et à celles à venir, souligne le document. Un nombre significatif d’entreprises estime ainsi qu’elles vont devoir transformer leur business à l’international : s’adapter durablement à moins de voyages, réexaminer les modes d’entrée utilisés, redéfinir des couples produit-marché, adapter les produits/services, trouver de nouveaux clients plus résilients, etc. »
Autre conséquence : il faut à la fois « repenser et agir simultanément » et dans cet exercice, selon le document, les entreprises qui s’en sortent le mieux « semblent être celles qui ont rapidement fait le deuil d’un éventuel ‘retour à la normale ‘ ».
Car le contexte créé par cette pandémie a changé la donne à plusieurs niveaux au sein des entreprises : nouveaux moyens d’information pour suivre les marchés, émergence de talents au sein des équipes, mais aussi mise en chantier de nouvelles stratégies, dans l’offre produit tout autant que dans l’organisation ou les capacités digitales.
« Beaucoup d’entreprises ont profité de cette crise pour revisiter en profondeur leur activité et leur offre à l’international, afin de faire les choses différemment ou de faire des choses différentes » souligne le document.
Quelles sont les recommandations pour le « comment faire » ?
Le livre blanc de l’UEIE propose deux séries de recommandations, l’une à destination des entreprises, l’autre à destination de « l’écosystème » d’accompagnement des exportateurs.
Les recommandations aux entreprises
Elles sont au nombre de neuf et nous renvoyons au document (voir fichier attaché à cet article) pour les détails.
1- Actualiser la priorisation de ses marchés étrangers
Le document recommande notamment de repartir d’une « feuille blanche ». En partant d’un constat : « clairement les entreprises qui sont positionnées sur de nombreux marchés et celles qui servent les marchés asiatiques ont mieux résisté que celles qui servent peu de marchés, surtout s’ils sont uniquement sud-européens ».
2- Repenser ses modes d’entrée et de présence sur les marchés
Les modes d’entrée qui permettent une certaine souplesse sans trop de risques financiers sont mis en avant : digitaux (e-commerce), immatériels (licence, franchise …), légers (agent, distributeur). Mais pour assurer une indispensable présence locale, le besoin de solutions telles que des « agents de liaison » en temps partagé a émergé. Dans tous les cas, le document recommande aux entreprises d’adopter, dans cette réflexion, des approches « itératives » (apprendre de ses échecs pour corriger) et « coopératives » (coopération inter-entreprise).
3- Revisiter / adapter son offre
L’objectif est de « consolider les avantages compétitifs » tout en en créant de « nouveaux ». Est cité l’exemple de compagnies aériennes sud-coréennes qui ont très tôt transformé leurs avions passagers pour accueillir du fret.
4- Réévaluer son sourcing international
Il s’agit de faire exactement la même chose que pour la re-priorisation des marchés mais cette fois-ci pour les fournisseurs, afin de rendre la chaîne plus résiliente et fiable : le document ne parle pas de relocalisation, plutôt de « diversification ». Il parle aussi d’un éventail d’approche : « faire », « faire faire », « faire avec » …
5- Faire levier sur les technologies numériques
Ces technologies se sont imposées comme une nécessité. Les entreprises doivent se doter des compétences internes nécessaires pour muscler leurs compétences et capacités digitales. A cet égard, le livre blanc met en avant le « phygital », terme qui évoque une stratégie « hybride » mêlant le digital et le physique mais que les entreprises exportatrices doivent s’approprier.
6- Maintenir l’efficacité de la prospection internationale dans le contexte de la Covid
Là encore, le livre blanc préconise d’exploiter le meilleur des deux approches physique et digitale. Des approches qui ne seront pas sans conséquences sur les profils des commerciaux export : le marketing, surtout le webmarketing, devra faire partie de leur compétence, acquises ou à acquérir.
7- Savoir s’appuyer sur les différents types de réseaux
La crise ayant mis en évidence l’importance d’appartenir à des « communautés » pour mieux résister, le document détaille les nombreux réseaux sur lesquels une entreprise peut et doit s’appuyer en fonction de ses besoins : fédérations, clubs, pôles de compétitivité, associations professionnels, accélérateurs, etc. Sans oublier la diaspora des Français de l’étranger.
8- Collaborer entre exportateurs
Il s’agit de mettre en commun et partager les coûts : une approche d’exportation collaborative qui doit, toutefois, être mise en œuvre avec professionnalisme pour donner des résultats.
9- Inclure un axe « acquisition des compétences »
Le livre blanc met en avant la nécessité, pour avoir une stratégie internationale gagnante, d’acquérir des compétences, en interne mais aussi en externe (coopération inter-entreprise, consultants…). « Le recours à des compétences externes est aujourd’hui facilité par les financements et subventions publics » observe-t-il.
Les recommandations à « l’écosystème »
Elles sont au nombre de quatre, et reprennent, pour certaines, des orientations déjà évoquées dans le précédent livre blanc UEIE 2019 consacré à « l’écosystème exportateur ».
La première concerne la création « d’un cadre favorable à la collaboration entre les acteurs de l’écosystème exportateur ». « Les compétences ne manquent pas ; c’est la difficulté à les coordonner et à les rendre accessibles aux entreprises qui est en cause ».
Deuxième recommandation : « promouvoir la recherche académique en stratégie et management international ». Il s’agit de faciliter les recherches mais aussi d’amplifier la diffusion de leurs résultats.
La troisième appelle à « stimuler la dématérialisation et la digitalisation » de cet écosystème : procédures et formalités, mais aussi solutions pour maintenir un effort de prospection international (salons digitaux, rencontres d’affaires). Ces dernières doivent être de plus en plus performantes
Enfin, le livre blanc recommande d’inspirer des « stratégies industrielles collectives », en partant du terrain : « C’est à l’écosystème industriel français de se mobiliser pour mettre en place l’environnement dans lequel chaque entreprise pourra ensuite déployer efficacement sa stratégie et ses investissement ».
De quoi alimenter les réflexions des entreprises tout autant que de ceux qui ont vocation à les accompagner à l’international dans cette crise sanitaire mondiale qui se prolonge.
Christine Gilguy