Brexit, élection de Donald Trump, déclarations de Xi Jinping sur la « mondialisation économique »… Le rythme des grands évènements internationaux s’accélère et, pourtant, la politique étrangère est quasi absente des discours des candidats à la présidentielle française : un triste oubli que dénoncent une vingtaine d’experts dans la dernière des ‘Etudes de l’Institut français des relations internationales (Ifri)’ d’avril 2017, intitulées « l’agenda diplomatique du nouveau président »*. Un travail intéressant d’analyse et de synthèse réalisé sous la direction de Thierry Gomart et Marc Hecker, respectivement directeur et directeur des Publications de l’Ifri, et qui a le mérite, pour chaque sujet, d’interpeller les principaux candidats en lice pour la présidence de la République, dont les propositions sont décryptées et synthétisées par les chercheurs. Voici, passés en revue par la Lettre confidentielle, les points essentiels à retenir dans un panorama.
Et pour commencer, un constat inquiétant des auteurs de l’Ifri : « l’absence de discussion sérieuse sur le cours à donner à la politique étrangère révèle la difficulté d’accepter et d’expliquer la reconfiguration actuelle de la mondialisation ». Deux raisons à cela : la nouvelle répartition des forces en présence et l’accélération de la transition numérique.
En outre, « l’absence de réponses sérieuses aux attentes, demandes et défis de nos alliés, partenaires et ennemis révèle un repli politique ». Or, en France, point de salut sans le chef de l’État, qui concentre l’essentiel des pouvoirs en matière de politique étrangère, ce qui est « un redoutable inconvénient quand le président élu ne dispose ni de vision constructive ni de préparation suffisante aux dossiers internationaux ».
« Un protectionnisme français » très présent dans la campagne
Parce qu’il entend « contribuer au débat présidentiel », l’Ifri propose donc dans cette étude collective 15 textes « volontairement courts » et 15 infographies sur des sujets aussi divers que « une politique étrangère entravée par la dette publique », « terrorisme : les cinq défis du nouveau président », « défense : le moment de vérité », la maîtrise du numérique : condition de l’autonomie stratégique », « la reformulation du défi migratoire » et « multilatéralisme et gouvernance mondiale : restructuration accélérée ».
Par exemple, sur le thème « politique commerciale : au-delà des postures, comment défendre les intérêts de la France », Sébastien Jean, directeur du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii), remarque que le débat se focalisant sur « un protectionnisme français », il n’est jamais rappelé, la politique commerciale étant une compétence communautaire « exclusive », que si cette option l’emportait, elle ne serait « concrètement possible » que si la France « sortait » de l’Union européenne (UE).
Que disent, à cet égard, les candidats aux présidentielles ?
Le représentant de « la France insoumise », Jean-Luc Mélenchon, est, on ne peut plus clair, en proposant d’instaurer « un protectionnisme solidaire pour produire en France », quand le socialiste Benoît Hamon défend « la suspension immédiate du CETA (accord de libre-échange avec le Canada) » et veut « empêcher le TTIP et le TISA de voir le jour ».
Le fondateur de » En marche « , Emmanuel Macron, parle de « créer un procureur commercial européen pour vérifier le respect des engagements pris par nos partenaires », « un instrument de contrôle des investissements étrangers en Europe » ou encore de « défendre le renforcement des instruments anti-dumping ».
Pour François Fillon, soutenu par Les Républicains (LR), il s’agit surtout d’opposer « aux lois extraterritoriales américaines la juridiction française et une réponse européenne commune ».
Enfin, pour la présidente du Front national, Marie Le Pen, il est urgent de « refuser les traités de libre échange », d’instaurer « un vrai patriotisme national en se libérant des contraintes européennes » ou encore de « contrôler les investissements étrangers qui portent atteinte aux intérêts nationaux ».
La France, « allié non aligné de Washington »
Autre sujet traité dans l’étude, « les relations franco-américaines au cœur des relations transatlantiques ». Laurence Nardon, responsable du programme Amérique du Nord à l’Ifri, s’interroge sur la position qu’adoptera le successeur de François Hollande, président d’un « allié non aligné de Washington », qui a critiqué le « repli sur soi » de l’Administration Trump.
Parmi les candidats, à l’exception d’Emmanuel Macron, tous sont pour « refuser le TTIP ». Marine Le Pen demande également à sortir de l’Otan, tout comme Jean-Luc Mélenchon, partisan de «soutenir le projet chinois d’une monnaie commune mondiale pour libérer l’économie mondiale de la domination du dollar ».
François Fillon préconise pour sa part que la France soit « un allié loyal et indépendant des États-Unis», pendant que le fondateur d’En Marche estime que « la proximité de la France des États-Unis est une chance » et qu’il faut créer « un quartier général européen de défense, en lien avec les centres de commandement nationaux et de l’Otan ».
La question russe
Après avoir parasité les élections américaines, « la question russe » s’est invitée dans le débat électoral français, constate Tatiana Kastouéva-Jean, directrice du Centre Russie/NEI (Nouveaux États indépendants) à l’Ifri. Celle-ci met en garde le prochain président qui « héritera de relations franco-russes passablement dégradées ».
C’est pourquoi François Fillon propose de « rétablir le dialogue et des relations de confiance avec la Russie qui doit redevenir un grand partenaire ». Marine Le Pen est globalement sur la même ligne, et, comme l’ancien Premier ministre, considère Moscou comme un allié stratégique pour lutter contre l’État islamique.
Le dialogue est aussi un mot clé chez Emmanuel Macron : « dialogue indépendant », qui « ne renonce en rien à notre attachement aux droits de l’homme », « ne pas abandonner le dialogue Otan-Russie». Il faut « rediscuter de toutes les frontières issues de l’ancienne Union soviétique », estime, pour sa part, Jean-Luc Mélenchon.
Seul Benoît Hamon semble vouloir adopter une ligne dure, puisqu’il entend « traiter avec fermeté l’impérialisme agressif de la Russie ».
Moyen-Orient :
S’agissant de l’étude « la France au Moyen-Orient : l’engagement par obligation », si « François Hollande a dû gérer sans réelle préparation » l’engagement militaire du pays en Syrie et en Irak, la menace terroriste et la montée des tensions en France sur fond de communautarisme, aujourd’hui « les électeurs attendent du prochain président » qu’il donne de ces trois défis « une réponse cohérente », estime Dorothée Schmid, responsable du programme Turquie contemporaine à l’Ifri.
Qu’en disent les candidats ?
Seule proposition de Marine Le Pen sur ce sujet, «ouvrir un dialogue avec l’État syrien, allié objectif contre le fondamentalisme islamiste ». Parmi les nombreuses propositions de Jean-Luc Mélenchon, il y a « agir pour une paix juste et durable entre Israël et la Palestine » et « reconnaître l’État palestinien». Benoît Hamon est sur la même longueur d’onde.
«L’État palestinien est légitime », annonce pour sa part Emmanuel Macron, qui veut, par ailleurs, « poursuivre l’ouverture vers l’Iran». Pour François Fillon, « l’Iran est une puissance régionale incontournable ».
En Asie, « une approche exclusivement sino-centrée » serait une erreur
« Asie : poursuivre un engagement diversifié », c’est le conseil donné aux candidats par plusieurs spécialistes du Centre Asie de l’Ifri, dont Alice Ekman, responsable des activités Chine, Françoise Nicolas, directrice, Céline Pajon et John Seaman, tous deux chercheurs, pour lesquels « une approche exclusivement sino-centrée » serait une erreur, tant « la définition d’une politique asiatique » est « complexe ».
Qu’en pensent les candidats ?
La seule mesure annoncée par la présidente du Front national, si elle est élue, concerne la Mer de Chine, « le rôle de la France est d’assurer la continuité du dialogue entre les puissances régionales et d’éviter une escalade militaire entre la Chine et les États-Unis ». « La France doit surveiller de près la situation », reconnaît François Fillon, qui insiste sur « la nécessité de travailler avec la Chine sur les grands défis de notre temps » (changement climatique…).
S’agissant de la politique asiatique, Emmanuel Macron met en avant l’Europe, veut diversifier les partenariats, notamment avec l’Inde, coopérer avec la Chine sur les changements du climat. Plus à gauche, Jean-Luc Mélenchon veut coopérer avec la Chine, tandis que Benoît Hamon s’oppose à la délivrance du statut d’économie de marché au géant asiatique.
Afrique : s’adapter
Enfin, Alain Antil, responsable du programme Afrique subsaharienne à l’Ifri, traite de « la politique africaine de la France à l’épreuve de la diversité du continent ». Et, pour ce spécialiste, il est clair que Paris, qui a toujours fait « de son action extérieure » une priorité, « devra s’adapter aux mutations profondes du continent ».
Qu’en disent les candidats ?
Il faut « en finir avec la Françafrique », lance Jean-Luc Mélenchon, « établir des partenariats équitables avec les pays d’Afrique » pour Benoît Hamon, « proposer un grand partenariat à l’Afrique», selon Emmanuel Macron.
La francophonie est surtout citée par Emmanuel Macron, mais aussi par Jean-Luc Mélenchon et François Fillon. Pendant que Marine Le Pen parle de codéveloppement, deux autres candidats mentionnent l’objectif d’une aide publique à hauteur de 0,7 % du revenu national, Benoît Hamon et Emmanuel Macron.
France-Europe : quel engagement ?
En évoquant « quatre pistes pour reprendre l’initiative sur l’Union européenne », Vivien Pertusot, chercheur associé à l’Ifri, observe que les évènements passés (lancement du Brexit…) et à venir (élections en France, en Allemagne…) ont « engendré un fort activisme diplomatique » pour renforcer la « cohésion, sans résultat concret ». Par conséquent, le prochain hôte de l’Elysée prendra ses fonctions « dans un contexte de crise », auquel vont s’ajouter « des doutes profonds » des autres membres de l’UE sur « le sérieux de l’engagement européen de la France ».
Ainsi, Marine Le Pen, qui affirme vouloir rendre sa souveraineté au peuple français, veut sortir de l’euro et organisera un référendum sur l’appartenance de la France à l’UE, alors que Jean-Luc Mélenchon veut le dévaluer pour revenir à la parité initiale avec le dollars et mettre fin à l’indépendance de la Banque centrale européenne (BCE).
Même lorsqu’ils sont pro-européens, tous les candidats sont par ailleurs favorables à une réforme en profondeur de l’UE : s’exonérer du Pacte de stabilité et refonder la politique agricole commune pour Jean-Luc Mélenchon, présenter un nouveau traité de démocratisation de la gouvernance économique de la zone euro pour Benoît Hamon, lancer dans toute l’UE des conventions démocratiques pour Emmanuel Macron, réformer en profondeur les accords de Schengen et doter la zone euro d’un directoire politique, pour François Fillon.
France-Allemagne : « des risques réels de fracture »
Dans ce contexte, « France-Allemagne : Quo Vadis ? », s’interrogent Barbara Kunz et Hans Stark, respectivement chercheur et secrétaire général du Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa) de l’Ifri. Car, estiment-ils, les résultats des élections à venir dans les deux pays peuvent avoir des conséquences sur les relations franco-allemandes, « qui présentent des risques réels de fracture ». Le rapport à l’Allemagne était autrefois « un sujet d’unanimité au sein de la classe politique », ce n’est plus le cas. Et de mettre en garde : il « est désormais à l’origine de dissensions profondes ».
C’est pourquoi Emmanuel Macron et François Fillon désirent relancer le moteur franco-allemand, en préparant, par exemple, une initiative bilatérale sur la fiscalité des entreprises pour le représentant de LR, en renforçant le partenariat en matière de défense européenne, la coopération policière et judiciaire, et en appuyant l’Allemagne pour qu’elle obtienne un siège de membre permanent au Conseil de sécurité de l’Onu, selon l’ancien ministre de l’Économie. Marine Le Pen et Benoît Hamon ne présentent pas de propositions propres à l’Allemagne. Quant à Jean-Luc Mélenchon, sa politique sera : « ne plus confier, ni à la Commission européenne, ni à l’Allemagne, notre indépendance d’action et notre souveraineté ».
A suivre…
F.P.
*Le document est téléchargeable sur le site de l’Ifri au lien suivant : https://www.ifri.org/fr/publications/etudes-de-lifri/lagenda-diplomatique-nouveau-president
Pour prolonger :
–Commerce / Présidentielle : le blues des fans de la diplomatie économique
–Chine / France : la réciprocité, sujet explosif évoqué avec diplomatie lors du dialogue économique bilatéral
–Royaume-Uni / Brexit : la France moins touchée que certains de ses partenaires, selon Euler Hermes
–Export / Présidentielle : le Medef propose pour la première fois une doctrine sur l’Afrique aux candidats