Une nouvelle réglementation européenne « zéro déforestation » va drastiquement changer les conditions de sourcing international et d’import-export pour un certain nombre de produits agricoles de base prisés des entreprises de l’Union européenne (UE). Elle vient de franchir une étape importante avec un accord politique Parlement/Conseil. Les entreprises concernées doivent d’ores et déjà s’y préparer. Revue de détail.
Le projet de nouveau « règlement de l’UE relatif aux chaînes d’approvisionnement « zéro déforestation » vient de faire l’objet, dans la nuit du 5 au 6 décembre, d’un accord politique provisoire entre le Parlement européen et le Conseil, ouvrant la voie à son adoption définitive. Cela à la veille de l’ouverture de la conférence sur la biodiversité (COP15), qui se tient à Montréal du 7 au 19 décembre, et qui vise à définir des objectifs de protection de la biodiversité pour les décennies à venir.
Que prévoit-il ?
D’après la Commission européenne, la nouvelle législation garantira que certains biens essentiels commercialisés sur le marché de l’UE ou réexportés depuis l’UE, ne contribueront plus à la déforestation et à la dégradation des forêts ni sur le territoire de l’UE ni ailleurs dans le monde.
Exemples de ces « biens essentiels » visés par cette future réglementation ? L’huile de palme, les bovins, le soja, le café, le cacao, le bois et le caoutchouc, ainsi que les produits dérivés (tels que viande de bœuf, meubles ou chocolat) …
Ces produits de base ont été choisis sur la base d’une analyse d’impact approfondie qui les a identifiés comme étant « le principal moteur de la déforestation due à l’expansion agricole », précise un communiqué de la Commission. Cette liste sera d’ailleurs régulièrement réexaminée et mise à jour, en tenant compte de nouvelles données telles que l’évolution des profils de déforestation. Il ne devront pas être issus de terres objet de déforestation après le 31 décembre 2020.
Autant dire que de nombreuses filières industrielles et agricoles sont concernées, l’UE étant un consommateur majeur de ces produits, le deuxième importateur mondial de « déforestation », derrière la Chine. « Lorsque les nouvelles règles entreront en vigueur, toutes les entreprises concernées devront faire preuve d’une vigilance stricte si elles mettent sur le marché de l’UE ou exportent à partir de celui-ci les produits » précise le communiqué de la Commission européenne.
Cet accord politique intervient 12 mois après une première version proposée par la Commission. La version finale en reprend les principales caractéristiques dont : lutte contre la déforestation, qu’elle soit légale ou illégale ; exigences strictes en matière de traçabilité liant les produits de base aux terres agricoles où ils ont été produits ; système d’évaluation comparative par pays.
Quel impact concret sur les entreprises ?
Ces produits sont massivement importés en Europe pour les besoins de l’alimentation humaine et animale, mais aussi d’industries comme la cosmétique ou le meuble. Selon les estimations du WWF, l’Europe serait, par ses importations, responsable de 16 % de la déforestation mondiale. C’est ce que l’on appelle importer de la déforestation. Le seul soja serait à l’origine de près d’un tiers des 3,5 millions d’hectares déboisés entre 2005 et 2017, selon les estimations de Greenpeace, l’huile de palme près d’un quart.
Autant dire que l’impact sur les importateurs et industriels européens concernés sera majeur.
Désormais, une fois que cette nouvelle réglementation sera en vigueur, les entreprises qui souhaitent mettre les produits concernés sur le marché de l’UE ou les exporter auront à respecter des « règles strictes en matière de devoir de diligence ». Opérateurs et négociants devront « prouver » que ces produits sont à la fois « zéro déforestation » (produits sur des terres qui n’ont pas fait l’objet de déforestation après le 31 décembre 2020) et légaux (conformes à toutes les lois applicables en vigueur dans le pays de production).
Les entreprises auront également l’obligation de « collecter des informations géographiques précises » sur les terres agricoles dont proviendront les produits « de manière à pouvoir vérifier la conformité de ces produits ». Concrètement, d’après Les Echos, il faudra qu’elles puissent présenter aux autorités de contrôle « un certificat au moment de franchir une frontière européenne, précisant d’où vient la matière première qui a servi à la conception de leurs produits, coordonnées GPS de l’exploitation incluses ». Exemple : il faudra que ce certificat indique « la parcelle précise de terre où le soja a été cultivé en fournissant des images satellitaires ».
Pour sa part, la Commission mettra en œuvre un « système d’évaluation comparative qui évaluera les pays ou parties de pays et leur niveau de risque de déforestation et de dégradation des forêts (risque élevé, standard ou faible) en tenant également compte de l’expansion agricole liée à la production des sept produits de base et des produits dérivés ». Les obligations des entreprises dépendront du niveau de risque, précise le communiqué. On imagine que plus le risque sera élevé, plus les preuves devront être solides !
Au passage, ce système d’évaluation comparative contribuera également à orienter la coopération de l’UE avec les pays partenaires pour mettre un terme à la déforestation, tout en accordant une attention particulière à la situation des communautés locales et des populations autochtones.
Quant au contrôle de la mise en oeuvre effective, ce sera aux États membres de veiller à ce que le non-respect des règles entraîne « des sanctions effectives et dissuasives ». Pour éviter une concurrence intra-européenne sur ce sujet, une harmonisation des sanctions au niveau européen est prévue : il est question d’une amende pouvant aller jusqu’à 4 % du chiffre d’affaires européen de l’entreprise.
Prochaines étapes ?
Les nouvelles règles ne sont pas attendues avant 2024. Le Parlement européen et le Conseil doivent en effet adopter formellement le nouveau règlement avant qu’il puisse entrer en vigueur.
Une fois le règlement en vigueur, les opérateurs et les commerçants disposeront de 18 mois pour le mettre en œuvre. Les microentreprises et les petites entreprises bénéficieront d’une période d’adaptation plus longue (on parle de 24 mois), ainsi que d’autres dispositions spécifiques.
A suivre de près…
C.G
Pour en savoir plus : le document sur la proposition de règlement de la Commission est accessible en anglais. Cliquez ICI.