La crise sanitaire a révélé de façon brutale l’un des faiblesses structurelles du commerce extérieur français : sa dépendance trop forte à quelques filières d’excellence, contrepartie d’une désindustrialisation à l’œuvre depuis trente ans. Le gouvernement compte saisir l’opportunité de la relance pour accélérer la diversification de cette base trop faible.
En matière commerciale, seulement trois grandes filières industrielles dégagent en temps normal des excédents commerciaux réguliers : l’agroalimentaire, grâce essentiellement aux vins et spiritueux, l’aéronautique et enfin le luxe.
En 2019, avant la crise sanitaire, l’aéronautique représentait 12,6 % des exportations, à égalité avec l’agroalimentaire (12,6 %), avec respectivement 64,2 et 64,4 milliards d’euros (Md EUR), en hausse de 11,9 % et 3,2 %. Le luxe pour sa part, qui regroupe des produits de diverses catégories (parfum et cosmétiques, habillement, maroquinerie…) pesait 11 % des exportations avec 55,9 Md EUR, en progression de 9 %.
Grâce à ces trois filières, mais aussi grâce à un ralentissement des importations, le déficit commercial hors énergie avait baissé cette année-là de près de 3 Md EUR, pour atteindre -29,1 Md EUR.
Les difficultés des filières d’excellence fragilisent toute l’économie
Comme l’a rappelé Bruno Le Maire lors d’une visioconférence de presse destinée à partager sa vision des perspectives économiques de la France en 2021, « quand deux de ces filières sont touchées par la crise, l’aéronautique avec l’effondrement du transport aérien, la viticulture en raison notamment des taxes américaines, c’est toute l’économie française qui est fragilisée ».
De fait, l’année 2020 devrait être une année noire pour le commerce extérieur, avec un déficit commercial qui devrait renouer avec ses niveaux record, autour de plus ou moins -70 milliards d’euros.
Si Airbus a pu livrer 566 appareils l’année dernière, c’est grâce aux efforts déployés par le gouvernement français, à coup de rééchelonnement de dettes et de crédit export, pour maintenir à flot les carnets de commande des compagnies clientes. Si le luxe a moins souffert, les vins et spiritueux sont plombés par les surtaxes douanières américaines.
La crise, une opportunité pour accélérer la construction de « nouvelles chaînes de valeur »
La diversification n’est donc plus une option mais une nécessité pour le ministre de l’Économie, des finances et de la relance, surtout pour atteindre l’objectif de 6 % de croissance au deuxième semestre de 2021, après un rebond retardé par la nouvelle vague pandémique au premier semestre. Il y a « une urgence absolue à créer de nouvelles chaînes de valeur. La crise nous donne une opportunité historique unique pour enfin créer ces nouvelles chaînes de valeur que nous n’avons pas su créer depuis 30 ans en France » a-t-il affirmé.
Quelle sont ces « nouvelles chaînes de valeur » ?
Dans ses déclarations aux journalistes, Bruno Le Maire a cité l’intelligence artificielle, l’hydrogène, les énergies renouvelables, le calcul quantique, l’espace.
Des secteurs qui bénéficieront de la manne du plan de relance de 100 Md EUR, dans le cadre de stratégies élaborées en concertation avec les entreprises et la recherche. Bruno Le Maire a promis de « décaisser rapidement l’argent et qu’il aille vers des contrats concrets dans des PME, dans des entreprises de taille intermédiaire ou dans des start-ups dans les meilleurs délais possibles ».
Nouvelle encourageante : la France pourra désormais compter sur l’Europe pour sa politique industrielle. Le ministre n’a ainsi pas manqué de saluer à cette occasion les avancées obtenues, non sans lobbying de la France et grâce à son entente avec l’Allemagne, en matière de politique industrielle. « L’Europe a réussi à créer en deux ans d’avantage de filières industrielle qu’en 30 ans » s’est réjoui Bruno Le Maire.
Parmi ces nouvelles filières européennes, les batteries électriques (dont le projet européen a été lancé en décembre dernier par sept États membres, dont la France et Allemagne), l’hydrogène, les microprocesseurs, le cloud souverain (avec le projet franco-allemand d’infrastructure de donnée GAIA-X) et l’intelligence artificielle. « Nous y travaillons quotidiennement avec mon homologue allemand, Peter Altmaier » a insisté le ministre français (cf. Notre photo*).
Plus largement, le patron de Bercy a affirmé inscrire sa stratégie dans la vision plus large d’un capitalisme plus respectueux de l’environnement et s’attaquant aux inégalités croissantes.
A cet égard, la France continuera à travailler sur le développement de la finance verte, privilégiant le financement de l’innovation technologique dans les secteurs propres comme l’hydrogène, mais aussi sur l’amélioration des conditions de concurrence. Sur ce dernier point, elle fera donc partie des États qui continueront à militer activement, en Europe et dans le monde, pour une fiscalité carbone internationale du type taxe carbone aux frontières.
Christine Gilguy
*Légende Photo : Peter Altmaier et Bruno Le Maire au moment du lancement du plan batteries électriques.