Jérôme de Lavergnolle, P-dg des Cristalleries Saint-Louis et président de la commission Formation du Comité national des conseillers du commerce extérieur de la France, et Alexandre Cuvelier, Président d’Archilog et vice-président du comité Marseille-Provence-Corse des CCE (de gauche à droite sur notre photo), témoignent des problèmes de recrutement pour l’export dans l’enquête qui ouvre le dernier numéro spécial du Moci consacré aux Formations au commerce international. Voici ce qu’ils en disent.
Le Moci. Dans cette période de sortie du Covid, les PME et ETI françaises ont-elles des difficultés à recruter des talents en lien avec les besoins de leur développement à l’international ?
Jérôme de Lavergnolle. Je réponds avec ma casquette d’industriel, dans une activité en forte croissance. La difficulté pour une manufacture comme les Cristalleries de Saint-Louis, implantée au fond de la vallée de la Moselle, dans le Grand Est, c’est déjà d’attirer des talents que l’on ne trouve pas forcément localement.
C’est le cas par exemple pour l’administration des ventes, pour laquelle il nous faut trouver des responsables bilingues français/anglais, qui aient à la fois une vraie compréhension des questions réglementaires et douanières liées au transit international et la capacité de traiter le marché local. C’est un peu la recherche du mouton à cinq pattes !
C’est d’autant plus compliqué actuellement que nos carnets de commandes sont pleins, avec des délais qui s’allongent. L’administration des ventes doit aussi évoluer vers un vrai service client, ce qui nécessite de développer un sens de la diplomatie, de la pédagogie et de l’empathie pour accompagner les clients. Dans la logistique, on a un peu la même problématique : les gens qui travaillent dans les entrepôts ne doivent pas seulement préparer et expédier les commandes, ils doivent avoir une vision plus globale de la gestion des flux, de l’organisation de l’entrepôt, pour tenir les délais.
Concernant les commerciaux, on cherche de plus en plus des personnes installées sur les marchés, mieux à même d’interagir localement. Quant aux volontaires internationaux en entreprises (VIE), en règle générale, on n’a aucun problème de recrutement, les candidats ne manquent pas, même si la qualité des profils ne correspond pas toujours à ce que l’on recherche.
« Je rencontre plus de difficultés
à recruter les bons profils qu’à trouver des clients »
Le Moci. Est-ce le cas également dans les métiers du transport et de la logistique ?
Alexandre Cuvelier. Je partage cette vision, sauf peut-être pour la partie attractivité de la région : je suis basé dans le sud-est, une région qui ne connaît pas de problème lié à sa géographie… Pour autant, depuis plusieurs mois je rencontre plus de difficultés à recruter les bons profils qu’à trouver des clients, ce qui est nouveau par rapport à la période d’avant crise sanitaire !
Dans notre domaine qui traite les aspects réglementaires des opérations internationales, on fait face à une augmentation de la complexité et des contraintes, de plus en plus difficile à assimiler par les entreprises, qui ont besoin de recourir à des spécialistes. Or, on a un vrai problème pour les trouver : un profil qui a une quinzaine d’années d’expérience, pratique couramment l’anglais plus une autre langue, c’est un mouton à cinq pattes. On trouve certes des jeunes qui ont un master de droit douanier, en alternance, mais pour en avoir fait plusieurs fois l’expérience, leur maîtrise du domaine d’expertise est insuffisante pour servir nos clients industriels. Il faut donc prendre le temps de les former, avec le risque qu’ils nous quittent à la fin de leur contrat.
Le Moci. Certains observateurs parlent d’une moindre appétence des jeunes pour l’international. Partagez-vous ce ressenti ?
Jérôme de Lavergnolle. La période Covid a été franchement difficile pour la génération de ceux qui sont entrés en école de commerce fin 2019 début 2020. Les écoles ont fermé leurs campus à l’étranger, les relations avec les universités étrangères se sont arrêtées, les frontières se sont fermées. Ils n’ont pas pu voyager beaucoup. Tout s’est fait en distanciel. Pour autant, je n’ai pas le sentiment qu’un ressort s’est cassé. Ce qui est sûr en revanche, c’est que tout un pan du marché mondial est encore difficile d’accès, notamment en Asie. Mais cela ne signifie pas que les jeunes n’ont pas envie d’y aller.
« Les jeunes recherchent davantage un équilibre »
Alexandre Cuvelier. J’ajoute qu’on a affaire à une génération un peu décomplexée sur certaines questions : les jeunes aujourd’hui ont une priorité claire qui est leur qualité de vie, et si la mobilité internationale vient compromettre cette priorité, ils ne bougeront pas. Cela dit, comme Jérôme, je ne pense pas qu’ils aient moins d’envie de voyager, au contraire, le problème est plutôt qu’il subsiste des freins liés à la pandémie : difficile de faire des stages ou des missions de VIE en Chine ou au Japon actuellement.
Jérôme de Lavergnolle. Je confirme ce changement de mentalité : les jeunes recherchent davantage un équilibre entre leur vie personnelle et leur vie professionnelle. J’ai vu des commerciaux partants pour des missions d’une semaine à l’étranger, mais tenant à être rentrés le samedi matin car le lundi, ils amènent leurs enfants à l’école !
Le Moci. La maîtrise des outils digitaux depuis la pandémie est devenue incontournable pour tout le monde, mais particulièrement à l’international. Les besoins des entreprises dans ces domaines sont-ils bien couverts ?
Alexandre Cuvelier. Je n’en suis pas si sûr. Dans le domaine du transport, par exemple, c’est un vrai sujet. On constate un décalage important entre, d’une part, des entreprises qui ont vraiment pris conscience de ce besoin de maîtriser la digitalisation et, d’autre part, une offre de logiciels pléthorique. Nous voyons régulièrement des clients qui se sont dotés de merveilleux outils mais qui ne savent pas les faire fonctionner ! Cela dit, je pense que les jeunes, dans le cadre de leur formation initiale, sont bien sensibilisés et formés au digital, particulièrement à l’international.
Jérôme de Lavergnolle. Là aussi, je confirme. La digitalisation recouvre beaucoup de domaines mais pour la jeune génération, ce n’est pas un problème. Ils sont très « digital native ». C’est plus compliqué pour des générations un petit peu plus seniors.
« On a encore un gros déficit
en matière de maîtrise des langues étrangères »
Le Moci. Par quels réseaux passez-vous pour chercher les « moutons à cinq pattes » que vous avez décrits, Pôle emploi, les réseaux sociaux, les sites de recrutement,
les chasseurs de tête ?
Alexandre Cuvelier. Dans mon domaine qui touche aux métiers de l’expertise réglementaire et douanière, c’est principalement le réseau personnel et professionnel qui joue. Les outils comme les réseaux sociaux donnent une grosse visibilité mais ne sont pas forcément efficace pour qualifier au mieux les candidats. Pôle emploi est un autre cas intéressant : impossible pour nous de mettre en ligne directement notre annonce car on n’entre pas dans les cases du menu déroulant ! Il y a un vrai manque de finesse et de granularité dans l’approche des postes et c’est dommage. Nous l’avons signalé à des conseillers Pôle emploi, mais le système est, semble-t-il, lourd à bouger.
Jérôme de Lavergnolle. Pour l’international, nous avons plutôt besoin de cadres confirmés. Nous bénéficions du site employeur du groupe, sur lequel nous pouvons poster des offres. En général, nous avons beaucoup de candidats et le service RH du groupe se charge de faire un premier tri. Cependant, souvent, pour cibler les bons profils, nous faisons appel à un cabinet de chasseur de tête : cela représente un coût, en général 25 % du salaire annuel, mais ça nous permet d’être plus efficace.
D’autre part, en tant que conseiller du commerce extérieur basé en Seine Saint-Denis, nous avons beaucoup de relations avec les écoles et universités de ce département, que ce soit au niveau BTS CI ou en master, qui nous envoient des stagiaires dont certains sont recrutés par la suite. Sans compter le réseau des CCEF : nous voyons pas mal de jeunes dans le cadre des interventions que nous faisons dans les établissements, et quand nous en croisons un qui sort du lot, nous passons le message dans le réseau.
Le Moci. On entend souvent, notamment de la part de professionnels du secteur privé, des critiques récurrentes sur le fait que l’enseignement aux métiers du commerce international est trop académique, pas assez opérationnel. Quel est votre avis ?
Jérôme de Lavergnolle. Si l’on met de côté le contexte particulier du Covid, les choses ont quand même énormément évolué, notamment grâce à l’apprentissage, aux stages en entreprises, qui repartent en flèche actuellement. La pratique des années de césure se développe également dans les écoles de commerce ou d’ingénieurs, permettant aux jeunes d’aller se frotter aux réalités du terrain. Aujourd’hui, ils ont une capacité à s’adapter assez rapidement. La critique est peut-être encore justifiée sur des métiers très techniques, qui nécessitent plus d’apprentissage.
Alexandre Cuvelier. Je serais un peu plus sévère que Jérôme. Il y a encore des progrès et des réglages à faire. En matière d’alternance, par exemple, la France n’est qu’au 9e rang européen, loin derrière la Suisse, l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark… Je constate aussi qu’on est confronté à une certaine hétérogénéité dans la qualité des formations : un jeune en master de droit douanier, en alternance, nous a expliqué que tout ce qu’il avait appris, c’est d’abord chez nous. Enfin, on a encore un gros déficit en matière de maîtrise des langues étrangères, notamment de l’anglais. Je rencontre encore régulièrement des bac +5 ou des gens qui arrivent en master 2 commerce international qui parlent à peine anglais. Tout simplement parce qu’ils ne sont pas testés.
Jérôme de Lavergnolle. Il faudrait aussi revoir la durée des stages et missions export, souvent de quelques semaines, trop courts à mon avis. Pour ma part, je ne prends pas de stages de moins de six mois, pour avoir le temps de former le jeune mais de permettre aussi à l’entreprise d’en tirer bénéfice.
« Nous sommes là pour partager
des expériences et des histoires concrètes »
Le Moci. Quelles sont les priorités des CCEF en matière de formation en cette période post-Covid ?
Jérôme de Lavergnolle. Durant les confinements, on a profité de l’arrêt des interventions physiques dans les écoles, dont les comités régionaux ont la charge, pour élargir et enrichir le contenu de nos interventions grâce aux outils de visioconférence. Nous avons ainsi constitué des panels en distanciel associant des expertises plus variées, et de régions différentes. On a donc désormais cette capacité à interagir partout en France, en proposant toujours de partager des expériences vécues, et c’est très bénéfique. De la même manière, on travaille aussi davantage avec le réseau à l’étranger des CCEF : aujourd’hui, on propose aux écoles des partenariats associant les comités à l’étranger. Cela permet à des jeunes qui vont dans les pays de pouvoir bénéficier d’interventions et de conseils de chefs d’entreprises installés localement. C’est un domaine d’action que nous cherchons à développer au maximum.
Alexandre Cuvelier. Ce qui est apprécié dans nos interventions par les étudiants, c’est leur aspect pratique, vécu, hors de toute pression ou contrainte pédagogique. Nous sommes là pour partager des expériences et des histoires concrètes et transmettre par la même occasion le goût de l’international. Les panels distanciels ont beaucoup apporté dans ce domaine : quand un collègue CCEF en Chine ou en Inde intervient, c’est magique pour les étudiants.
Le Moci. Quels seront vos temps forts cette année ?
Jérôme de Lavergnolle. Au niveau national, ce sera le Grand Prix de l’international, qui fête cette année son dixième anniversaire. Nous récompenserons les meilleurs mémoires d’étudiants sur des sujets relatifs au commerce international et à la géopolitique, déjà primés dans le cadre des Grands Prix régionaux organisés par les comités régionaux des CCEF. La nouveauté cette année est que nous organisons la remise de ce Grand Prix au moment du Mondial des CCEF, qui aura lieu du 19 au 21 octobre entre Monaco et Nice.
Propos recueillis par
Christine Gilguy
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