Un des nombreux temps forts de la dernière Université d’été de l’internationalisation des entreprises (UEIE 2024) a été l’intervention de Pierre Heilbronn, envoyé spécial du président de la République pour l’Ukraine, le 4 juillet. Son job : coordonner la stratégie d’aide française avec l’Union européenne, les autres bailleurs de fonds et les collectivités locales françaises, et veiller à ce que les projets français se réalisent.
[Mis à jour le 12 juillet]
« La reconstruction, c’est maintenant » a glissé Pierre Heilbronn, ancien vice-président de la BERD (Banque européenne pour la reconstruction et le développement), pour qui l’Ukraine n’est pas une terre inconnue pour y avoir géré des projets d’investissement financés par son ancienne institution.
Lui qui se rend régulièrement dans le pays s’est dit frappé, devant les participants à l’UEIE 2024, par la présence de certains représentants de la Silicon Valley à Kiev, et de la « grande vitesse avec laquelle les ponts et d’autres infrastructures détruites se reconstruisent », avec les entreprises turques le plus souvent. Il s’est également réjoui de voir que l’entrepreneur français Xavier Niel se soit positionné sur le rachat de l’opérateur téléphonique Lifecell, et dévoilé son souhait d’investir 1 milliard d’euros dans les télécommunications du pays. Il n’aurait d’ailleurs pas sollicité la garantie d’investissement de l’État français pour ce faire…
Le pays « est en train de tester des innovations technologiques dans beaucoup de domaines »
Le fait est que malgré la guerre avec la Russie qui perdure, l’Ukraine a changé de statut en entrant officiellement dans le processus d’adhésion à l’Union européenne, réveillant l’intérêt des investisseurs américains ou japonais. Certes les destructions de la guerre et ses risques sont immenses – le coût de la reconstruction a été estimé fin 2023 à 486 milliards de dollars (Md USD) par la Banque mondiale-, mais sa croissance reste vive avec + 5 % en 2023 et + 5 % en 2024.
Mais plus de 200 entreprises françaises ont décidé de rester – parmi lesquelles les banques que sont BNP Paribas et le Crédit Agricole- et ne le regrettent pas, même si elles ne peuvent pas rapatrier, pour le moment, leurs dividendes. Et elles sont en croissance, à l’instar de Schneider Electric, qui enregistrerait une croissance de 20 % de son chiffre d’affaires, liés aux marchés de la reconstruction des réseaux électriques. Confronté à la nécessité de tout reconstruire, le pays « est en train de tester des innovations technologiques dans beaucoup de domaines », selon l’envoyé spécial d’Emmanuel Macron.
Pour lui, le grand atout de la France face à cet enjeu est justement son tissu d’entreprises, premier employeur étranger du pays avec 25 000 personnes, et tout l’écosystème du soutien public -ambassade, Team France Export, etc.- qui les entoure. La France fait partie des bailleurs de fonds actifs de la reconstruction et ses fonds passent pour le moment principalement par les institutions multilatérales et européennes. La BERD a investi 3 Md EUR en Ukraine ces trois dernières années, et l’Union européenne vient de mettre en place un programme de garantie de 50 Md EUR sur la période 2024-2027.
Le fonds de 200 millions « permettra aux autorités ukrainiennes de choisir des entreprises françaises »
Elle est aussi active sur le plan bilatéral et Pierre Heilbronn a été interrogé, lors de son intervention à l’UEIE 2024, sur le fonctionnement du nouveau fonds de financement de projets de 200 millions d’euros mis en place en juin dernier pour l’Ukraine, par la direction générale du trésor (DG Trésor), à la suite d’un accord entre les gouvernements français et ukrainien. Son objectif : financer des projets portés par des entreprises françaises dans des infrastructures critiques et les secteurs prioritaires du gouvernement ukrainien, parmi lesquels l’énergie, l’eau, la santé. « Il permettra aux autorités ukrainiennes de choisir des entreprises françaises » a souligné l’envoyé spécial.
La taille des projets ciblés par le nouveau Fonds français de 200 millions d’euros est de 10 à 15 millions d’euros, avec un décaissement sur 18 mois. La part française devra être d’au moins 50 % et la France souhaite qu’au moins 60 millions d’euros soient injectés dans le secteur de l’énergie. Les porteurs de projets intéressés peuvent d’ores et déjà se manifester via la page dédiée sur le site de la DG Trésor (cliquez ICI ).
« Le point d’entrée est la DG Trésor et notre équipe, les dossiers seront co-instruits avec le ministère de l’Europe et des affaires étrangères », a précisé le haut fonctionnaire. « L’idée est d’aller vite, avec la réunion d’un premier comité de projet », a-t-il poursuivi. Mais l’accord bilatéral qui a donné naissance à ce fonds doit encore être validé par la Rada, le Parlement ukrainien.
D’autres dispositifs d’aide existants sont d’ores et déjà disponibles pour soutenir les projets de reconstruction impliquant les entreprises françaises : le Fasep pour les études de faisabilité et démonstrateurs, sept ayant déjà été accordés pour un montant total d’environ 5 M EUR. Le Trésor a par ailleurs signé un prêt direct au gouvernement ukrainien de 50 millions pour soutenir la réhabilitation du secteur de la santé à Kiev (équipements médicaux) et celui du réseau ferroviaire (rails, locomotives). L’assurance des investissements que gère Bpifrance assurance-export, qui couvre 95 % du montant contre le risque politique, est également ouverte sur l’Ukraine. Et l’Agence française de développement (AFD) a ouvert un mandat pour financer, dans un premier temps, les projets des collectivités locales.
Un forum d’affaires de Business France le 12 juillet
Signe que les autorités françaises sont en train de mobiliser les entreprises françaises, Pierre Heilbronn, l’envoyé spécial du président Macron pour l’Ukraine, devait assister, le 12 juillet au Sénat, aux côté d’autres représentants d’organismes français d’aide et de plusieurs ministres ukrainiens, au forum d’affaires organisé par Business France sur le thème des opportunité de la reconstruction. Laurent Saint-Martin, directeur général de Business France, Magali Césana, cheffe du service des Affaires bilatérales et de l’internationalisation des entreprises et plusieurs autres hauts responsables du Trésor, Denis Le Fers, directeur général de Bpifrance assurance export, Sandra Kassab, directrice adjointe du département Orient de l’AFD, Laurent Dupuch, directeur Ukraine de de BNP Paribas ainsi que des dirigeants d’entreprises et filières étaient attendues pour échanger sur les priorités ukrainiennes dans le contexte de la reconstruction, les dispositifs d’aides disponibles pour soutenir les projets français, et la sécurité, un point clé.
Alors que les milieux d’affaires ukrainiens ont encore une mauvaise réputation, avec le règne passé des oligarques et une corruption largement répandue, Pierre Heilbronn, qui connaît ce terrain, a reconnu que « c’est un pays compliqué ». Mais les temps changent, beaucoup d’oligarques ont été, selon lui, ruinés par la guerre ou mis en prison, d’autres on fui. Ses conseils ? « Avoir une approche volontariste et équilibrée », et surtout « prendre de bons conseils pour choisir de bons partenaires ». A cet égard, la présence de banques françaises est considérée comme une chance pour les entreprises françaises.
Christine Gilguy