A l’occasion du Salon international de l’alimentation (Sial), du 21 au 25 octobre à Villepinte, Roberto Jaguaribe, le président de l’Agence brésilienne de promotion des exportations et des investissements (Apex Brasil), a reçu Le Moci. Cet ancien ambassadeur du Brésil en Chine et ministre conseiller aux États-Unis, se montre confiant en la capacité de son pays à attirer les investissements étrangers, quel que soit le prochain président. Il s’inquiète, en revanche, de la guerre commerciale engagée entre ces deux pays, qui sont les principaux partenaires commerciaux du Brésil, alors qu’il juge les Européens « arrogants » dans leur approche des négociations commerciales avec le Mercosur.
Le Moci : le 28 octobre, c’est un homme très controversé hors du Brésil, Jair Bolsonaro*, qui a toutes les chances d’être élu pour succéder au président Temer. L’attractivité du pays risque d’en souffrir. Et l’objectif de ce candidat que le Brésil sorte de l’Accord de Paris sur le climat, s’il est maintenu, ne met-il pas un point final aux chances d’un accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur** ?
Roberto Jaguaribe : je ne commenterai évidemment pas les chances des différents candidats, Jair Bolsonaro et Fernando Haddad***. Ni l’objectif du premier que vous citez, à considérer qu’il soit réalisé.
Cela dit, je ne vois pas pourquoi l’Union européenne ne négocierait pas avec le Brésil et le Mercosur, alors qu’elle négocie avec les États-Unis, qui, eux, sont déjà sortis de l’Accord de Paris. Ce serait curieux, non ?
Par ailleurs, ce que je constate, c’est que le dollar est passé de 4,2 rials à 3,7 et que la Bourse a gagné. Le candidat Jair Bolsonaro ne fait donc pas peur aux investisseurs, je dirai même que c’est plutôt Fernando Haddad qui fait peur. Même si ce n’est que le marché financier, c’est un indicateur intéressant que l’on peut vérifier en matière d’investissement.
Alors, bien sûr que l’image d’un président, c’est important. Mais l’ouverture du pays que nous avons réussie depuis longtemps, c’est encore plus important. Le marché brésilien est significatif, avec ses 210 millions d’habitants, sa classe moyenne en croissance. Les conditions pour investir ne vont pas changer, on fait des projets, on adopte des règles claires, prévisibles et attractives pour les investisseurs, la demande d’infrastructures est énorme.
« La situation du Brésil vis-à-vis de l’extérieur est bonne »
Le Moci : le président Temer avait annoncé un plan de 34 milliards d’euros, Avançar, dans les infrastructures et l’énergie. Où en est-on ?
Roberto Jaguaribe : les enchères de blocs pétroliers pré-salifères en juin ont été un succès et, s’agissant des infrastructures, le plus urgent va être le chemin de fer. A cause du transport, le coût d’acheminement à travers le pays de graines, comme le soja, est très élevé. Nous devons y remédier.
De façon générale, aujourd’hui, la situation du Brésil vis-à-vis de l’extérieur est bonne. Les investissements directs étrangers se sont élevés à 66 milliards de dollars l’an dernier, au lieu de 65 milliards en 2016. Sur le plan commercial, 2018 devrait s’achever avec un excédent de l’ordre de 60 milliards. La fragilité habituelle du Brésil n’existe plus. Fin septembre, nos exportations et importations s’élevaient respectivement à 180 et 135 milliards de dollars, les premières avec un grande part de graines, de fruits, d’oléagineux et de combustibles et minerais.
Le Moci : compte tenu de l’importance de l’agriculture, il est important pour le Brésil d’être présent au Sial…
Roberto Jaguaribe : oui, très important. Le Brésil est grand, géographiquement et démographiquement. L’export est une nouveauté, et donc le Sial est fondamental, parce que ce n’est pas seulement un salon pour l’Europe, mais aussi pour le monde – l’Asie, l’Afrique, le Moyen-Orient… – comme l’Anuga, à Cologne.
Si les États-Unis est le centre d’information pour percevoir ce qui se passe dans le monde, dans l’agriculture, c’est l’Europe. C’est pourquoi l’Apex-Brasil emmène des producteurs à ces grands salons, en prenant en charge 70 à 75 % des coûts de location et d’équipement des stands. Au Sial 2018, ils sont 160 de tous les territoires produisant du bœuf, du poulet, de la confiserie et du chocolat, des biscuits, du riz, du café ou du vin.
D’après la FAO, la demande globale d’alimentation dans le monde va exploser, avec une croissance de 50 % d’ici 2050. Le Brésil est bien positionné pour répondre à une demande qui viendra d’Afrique, mais surtout d’Asie. Hors soja, pour le Brésil, le marché domestique et l’international, ce sont 50-50. Le pays est, par exemple, un gros consommateur de viande, ce qui explique que le marché intérieur soit si important. Pour le poulet, les ventes y ont été quintuplées.
« On a besoin de valoriser nos produits à l’export »
Le Moci : il s’agit donc de porter l’accent sur les exportations…
Roberto Jaguaribe : ce n’est pas aussi simple. On a besoin de valoriser nos produits à l’export, nous sommes trop concentrés dans les produits primaires, comme les graines. Il nous faut encore des investissements techniques et scientifiques. Nous avons déjà beaucoup fait depuis 30 à 40 ans dans des régions qui ne produisaient rien.
La productivité brésilienne dans les graines, comme le soja et le coton, est peut-être la plus élevée de la planète et les surfaces ont augmenté de 40 %. Mais ce n’est pas suffisant, comme le montre l’exemple du café, produit pour lequel le Brésil est le plus grand exportateur mondial depuis 200 ans. Et pourtant, ceux qui gagnent de l’argent avec notre produit sont en Allemagne, en Suisse, aux États-Unis, en Italie. Il y a de la transformation, mais pas de marque brésilienne.
On n’exporte pas, sauf du café soluble où effectivement le Brésil a une position mondiale, mais toujours sans posséder de marque. Savez-vous que 50 % du café de Starbuck vient du Brésil. De même, pour Nespresso. Idem pour la viande de bœuf, il n’y a pas de marque, à l’exception de Sadia au Moyen-Orient, qui y est identifiée comme brésilienne.
Le Moci : deuxième producteur mondial de soja derrière les États-Unis, le Brésil doit profiter de l’embargo chinois sur le soja américain. Craignez-vous la guerre commerciale entre Washington et Pékin ?
Roberto Jaguaribe : oui, car la Chine est le premier partenaire commercial du Brésil et les États-Unis le deuxième. Vous citez le soja, mais son prix est décidé à la Bourse de Chicago et son prix peut s’effondrer. Ce qui peut être intéressant ponctuellement peut ne plus l’être à moyen terme. Donc, clairement, nous craignons les répercussions d’une guerre commerciale.
Beaucoup disent que dans les récents accords signés par les États-Unis avec le Canada et le Mexique, certaines dispositions sont tournées contre la Chine. Or, les États-Unis, qui sont un ami du Brésil, ont sur lui une forte influence. A l’autre bout, il y a la perte d’influence de l’OMC, le centre de normalisation du commerce mondial. Or, nous voulons des règles.
« L’Europe est pleine de préjugés et d’arrogance »
Le Moci : dans une récente étude, Coface montre que le Brésil a été, en 2017, le pays ayant décidé le plus de mesures protectionnistes, il est vrai, surtout contre l’Asie. Qu’en pensez-vous ?
Roberto Jaguaribe : il peut y avoir eu des mesures conjoncturelles, c’est possible, et visant notamment l’Asie, surtout la Chine, pour protéger notre industrie manufacturière. Dans l’acier, nous nous sommes protégés de la surproduction chinoise. Mais, de façon générale, il y a une véritable volonté d’ouverture, comme le montre les négociations dans le cadre du Mercosur.
Les tarifs au Brésil ont aussi été diminués. Il nous faut encore accélérer les processus d’adaptation des entreprises et les inciter à investir hors du Brésil. Quant à l’accord avec l’Union européenne, s’il n’est pas conclu, c’est seulement parce que les Européens ont pensé qu’ils pouvaient faire n’importe quoi. L’Europe est pleine de préjugés et d’arrogance. Et ce qu’elle n’intègre pas, c’est que c’est plus important qu’un simple accord commercial.
Les deux régions sont liées par des courants d’investissement significatifs. Le Brésil est la deuxième destination des investissements européens, hors Europe, avec 450 milliards de dollars, et absorbe plus de la moitié des investissements européens en Amérique latine.
En Europe, le Brésil représente à lui seul 70 % des investissements de l’Amérique latine. Il y a chez nous des sociétés européennes depuis la deuxième moitié du XIXe siècle, mais aujourd’hui il y a bien sûr les Américains, et aussi les Chinois et d’autres. Un accord bilatéral pourrait avoir une signification plus forte que simplement commerciale ou économique en général. En cas d’échec, l’Amérique latine pourrait s’éloigner de plus en plus de l’Europe. Il y a danger, encore plus au moment où l’Union européenne est menacée de l’intérieur.
Propos recueillis par François Pargny
*Jair Bolsonaro, 46 % des suffrages au premier tour des présidentielles, est le candidat du Parti social libéral (PSL). Présenté comme le représentant de l’extrême droite, il appartient au courant conservateur, dit de la « Bancada B.B.B » (pour « balle, Bible, bœuf »), qui regroupe les parlementaires liés aux intérêts de la police militaire, des églises évangélistes et de l’agrobusiness.
**Créé en 1991, le Marché commun du Sud (Mercosur) possède comme membres permanents l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay. Le Venezuela est suspendu depuis 2017.
***Fernando Haddad est le candidat de gauche, arrivé en deuxième position au premier tour de la présidentielle. Il est membre du Parti des travailleurs (PT), comme l’ancien président Lula qui le soutient.