Les textes officiels des accords de libre échange traduits et archivés par la Commission européenne dans des bases de données accessibles aux entreprises sont-ils fiables ? On peut en douter à l’écoute de la mésaventure d’un champion de l’agro-industrie française, Roquette Frères, relatée lors de la dernière Rencontre Douane – Entreprises, qui se tenait à Bercy le 23 septembre et portait sur les accords de libre échange.
C’est en effet l’histoire d’une « coquille » -ou d’une mauvaise interprétation- des services de la DG Trade qui a plombé une opération d’exportation en Colombie. Elle a été relatée par une responsable du service douanes du groupe, lors d’une séance de questions/réponses.
Chargée d’analyser les accords de libre échange une fois qu’ils sont signés pour en tirer tous les enseignements opérationnels pour son groupe, cette responsable a épluché le texte de l’ALE UE/Colombie, signé fin 2012 et entré en vigueur le 1er août 2013. Ses sources, les meilleures connues sur ce sujet : le JOUE (Journal officiel de l’UE) et la base de données en ligne Market Access Database de la DG Trade de la Commission européenne, la référence officielle, régulièrement mise à jour. Elle découvre que le droit de douane sur un produit fabriqué par son entreprise est passé de 20 % à 0 %. Une excellente nouvelle pour le groupe, vérifiée et revérifiée. Il en tient compte dans ses nouvelles offres aux acheteurs colombiens. Mais il ne va pas tarder à déchanter.
Une commande est décrochée et une cargaison de ce produit est expédiée peu après en Colombie. Et là, surprise ! La douane colombienne réclame 20 % de droits de douane. L’entreprise à beau brandir ses sources officielles européennes, les autorités colombiennes sont inflexibles. Selon l’agent colombien de l’entreprise française, il y a eu erreur ou mauvaise interprétation de l’accord de libre échange côté européen.
La responsable de chez Roquette a, heureusement, fait des impressions papiers des documents sur lesquels elle a fondé son analyse. Car très vite, sur les textes en ligne dans les bases de la Commission, une correction intervient en catimini « sans prévenir les entreprises » : 20 % a remplacé 0 % pour le produit en question… En attendant « cette petite manipulation nous coûte cher car nos clients réclament la ristourne et on va devoir l’appliquer » raconte la responsable.
Etienne Oudot de Dainville, sous-directeur de la politique commerciale à la DG Trésor, qui venait d’inviter les entreprises à « suivre l’application des accords de libre échange » et à signaler à son service « les problèmes », a manifestement été pris de court. « Votre exemple détruit la Market Acces Database régulièrement mise à jour ». Il voulait sans doute parler de la réputation de cette base. Mais il en a pris bonne note…
Christine Gilguy