Dans moins de deux ans, l’usine du monde devrait devenir, d’après une récente étude de l’Atelier BNP-Paribas, le numéro 1 mondial du commerce de détail en ligne.
« Internet s’est imposé comme un média majeur dans la vie des Chinois (plus de 18 heures par semaine passées sur le Net), note un rapport de l’Atelier BNP-Paribas rendu public en début d’année, et révolutionne les comportements d’achat : sites comparateurs, ventes privées, achats groupés, influence des réseaux sociaux et du microblogging, etc. » Actuellement troisième marché mondial – évalué hors B-to-B à 55 milliards d’euros en 2010, deux fois plus que l’année précédente (plus de 500 milliards d’euros B-to-B compris) –, l’e-commerce chinois a décidément le vent en poupe. « C’est la prochaine poule aux œufs d’or en Chine », prédit quant à lui un journaliste pékinois spécialisé dans les NTIC. « À peine un quart des 450 millions d’internautes chinois aujourd’hui achètent en ligne (1), mais, le jour où ça va exploser, le marché pèsera des centaines de milliards [d’euros]. » Déjà, plus de 100 millions de particuliers ont mis en vente – au moins une fois sur l’année 2010 – un produit, un article. Le site Taobao (« chasse au trésor », en mandarin), filiale du géant chinois Alibaba, s’est imposé après seulement huit ans d’existence comme l’eBay national. « Taobao, c’est plus de 80 % du marché C-to-C, confirme le même journaliste. C’est le grand succès de l’internet national ces dernières années, avec celui de Baidu [concurrent de Google en Chine, ndlr] ». Des grands noms (Dell, Sony, etc.) se bousculent désormais sur Taobao et y vendent en direct leurs produits. Mi-mai, l’habilleur américain Gap y ouvrait une boutique en ligne. Mais la vraie manne provient de cette armée d’anonymes qui, devant leurs écrans, s’improvisent entrepreneurs et vendent de tout (produits ménagers, cosmétiques, jouets, services…).
Un succès qui donne des ailes. La direction du site a créé une joint-venture avec la très populaire chaîne de télévision du Hunan afin d’y produire le premier Télé-achat chinois – un programme destiné à la promotion des produits en provenance des commerçants sur Internet.
L’adoption et le développement en zones urbaines de la norme 3G devrait également « accélérer le développement du secteur, a déclaré Patrice Nordey, directeur Asie de BNP-Paribas, à la presse chinoise. Nous considérons qu’à terme, l’essor des téléphones connectés va constituer un moteur encore plus puissant pour l’e-commerce. »
Pour l’heure, toutefois, la 3G peine à décoller (seulement 25 millions d’unités en circulation mi-2010). Conséquence : les rois de l’e-commerce chinois cherchent aujourd’hui à créer des relais offline dans le but d’augmenter leurs capacités logistiques et d’être mieux visibles pour leur clientèle. Alibaba, toujours, installe ainsi un réseau de magasins sur tout le territoire afin, a expliqué le groupe au premier trimestre, « d’améliorer le contrôle qualité des services de distribution ». Enfin, les poids lourds américains lorgnent de plus en plus du côté de l’empire du Milieu et commencent à passer des alliances stratégiques à Pékin ou à Shanghai – ce qui, selon Yang Hua, économiste shanghaien, « est très stimulant ». C’est le cas notamment de Groupon – une société de Chicago (500 millions de dollars de chiffre d’affaires en 2010) – qui vient d’entrer sur le marché avec le site Gaopeng.com en partenariat avec Tencent. Les Français sauront-ils profiter de l’explosion de l’e-commerce chinois ? Ils sont encore peu nombreux à tenter l’aventure. Une chose est sûre pourtant : le jeu en vaut la chandelle. On estime entre 8 et 10 millions le nombre de nouveaux internautes qui apparaissent en Chine chaque mois !
Pierre Tiessen, à Pékin
(1) Contre plus de deux tiers aux États-Unis. D’après un sondage mené pour le quotidien anglophone China Daily, paru mi-2010, 7 internautes chinois sur 10 ne souhaitent pas/n’aiment pas payer en ligne.
Trois questions à Hacène Taibi, Hacène Taibi, directeur de Them.pro.
Hacène Taibi est le fondateur de Them.pro, une PME française installée à Pékin spécialisée dans le développement de sites et le marketing en ligne à destination d’entreprises occidentales et chinoises. Il décrypte le marché chinois.
Le Moci. Quelle analyse faites-vous de l’e-commerce en Chine, marché que l’on dit extrêmement prometteur ?
Hacène Taibi. Ceux qui arrivent à prendre aujourd’hui des parts de marché seront indéboulonnables dans quelques années (à l’image en France des premiers entrants comme Meetic, Fnac, Priceminister, Rueducommerce, etc.). La première offre e-commerce qui s’est très rapidement développée en Chine est la vente C-to-C – de particulier à particulier. Des leaders comme Taobao ou Paipai ont su mettre à profit le développement rapide de ce domaine. Le B-to-C augmente également à mesure que le marché devient mature. De nouveaux acteurs – comme 360buy, Vancl ou Dangdang – profitent de cet engouement pour peu à peu devenir des « pure players », champions de l’Internet chinois. Le développement des moyens de paiement en ligne en cours devrait amplifier cette évolution.
Le Moci. Les habitudes de consommation en ligne des Chinois différent-elles de celles des Occidentaux ?
Hacène Taibi. Une grande majorité des Chinois jusque-là consommaient du divertissement gratuit (et en grande partie piraté), que ce soit de la musique, des films ou des livres. Mais, depuis peu, les réseaux sociaux comme Renren ou Kaixin001 – qui proposent aussi des services payants – attirent énormément d’internautes. Comme en France, les habitudes se tournent donc de plus en plus vers le partage de photos, de statuts et de boutons « like ». La grande différence avec la France tient dans la propension des Chinois à jouer en ligne. Ils passent des heures devant leur écran, au bureau comme à la maison. Qu’achètent-ils en ligne ? Surtout des produits électroniques, des voyages [voir encadré sur Xanadu, ndlr], des produits culturels, des habits…
Le Moci. Quelles sont les opportunités pour les étrangers – les Français notamment – sur ce marché ?
Hacène Taibi. Contrairement à une idée reçue, le consommateur chinois n’aime pas la camelote. Pour cette raison, il préfère souvent les produits japonais, français ou américains. Il a beaucoup mûri et a aujourd’hui plus de moyens. Il se tourne donc « naturellement » vers les marques, domaine dans lequel les Français ont beaucoup de choses à apporter. Si le luxe et le vin paraissent être des domaines de prédilection, d’autres secteurs de biens de consommation plus courants – dans la mode ou l’agroalimentaire – peuvent faire la différence, avec un label « Made in France ». Mais les Français peuvent aussi s’implanter sans ce label car le consommateur chinois s’identifie à la marque avant de s’identifier au pays. Un Chinois pourra critiquer les États-Unis le matin et acheter un iPhone le soir. Le ressentiment qui peut parfois poindre ici contre le Japon n’empêche aucunement Uniqlo (présent aussi en ligne) de faire un tabac…
Propos recueillis par P. T.