Les nations émergentes tireront moins l’économie mondiale, mais les régions développées – zone euro, Japon, États-Unis – repartiront à la hausse en 2014. Sans oublier les pays d’Europe centrale et orientale, qui vont bénéficier de la reprise en Europe de l’Ouest. Dans les émergents, le Mexique se distinguera et, en Afrique, les pays du sud du Sahara confirmeront l’embellie de ces dernières années, explique un spécialiste français des risques, Thierry Apoteker, fondateur du cabinet TAC.
Le Moci. Le FMI a annoncé des croissances économiques moins fortes que prévues initialement dans le monde : 2,9 % en 2013 et 3,6 % cette année. Et surtout, l’économie sera tirée plus par le Japon, la zone euro et les États Unis. Est-ce à dire que la croissance sera molle dans l’ensemble des Etats émergents ?
Thierry Apoteker. Ce qui est vrai, c’est que l’économie mondiale sera moins tirée en 2014 par les nations émergentes. Reste que celles-ci croîtront encore économiquement avec trois à quatre points de plus que les pays développés, ce qui reste considérable dans la mesure où les économies émergentes représentent aujourd’hui la moitié du produit intérieur brut (PIB) mondial. Un élément très positif – et que nous devons noter parce nous ne l’avons pas vécu depuis 2006-2007 –, c’est que les trois grandes zones développées, zone euro, Japon, États-Unis, vont accélérer en même temps. Et on peut espérer alors de bonnes surprises, en l’occurrence un effet multiplicateur de cette reprise dans les grands Etats développés au travers du commerce international, comme il semble que l’on en ait déjà les prémisses depuis quelques mois avec l’amélioration des exportations en Chine, Indonésie, Inde et dans les pays d’Europe centrale et orientale (Peco). La difficulté pour les opérateurs, c’est qu’il y a de grandes divergences entre les émergents. Par exemple, au sein des BRIC, la Chine est dans une phase assez naturelle de ralentissement structurel, alors que le Brésil, la Russie et l’Inde sont plutôt dans une phase d’ajustement conjoncturel, qui va se concrétiser, après une période de développement supérieur à leur potentiel, par un renversement de cette situation. En même temps, ceci crée l’image fausse d’émergents globalement au ralenti, alors que certains continuent à très bien se porter, voire enregistrent une accélération de leur activité, comme les Peco, une partie de l’Afrique, ou certains poids lourds comme la Corée du Sud et le Mexique.
Le Moci. Il y a quelques mois, la Réserve fédérale américaine (Fed) avait décidé de limiter sa politique de création monétaire pour soutenir l’économie, ce qui avait abouti à des retraits de capitaux dans des pays émergents qui en ont véritablement besoin, comme le Brésil et la Turquie ? Pensez-vous que cette situation puisse se reproduire ?
T. A. La volatilité financière va rester forte et donc, dans les 18 mois à venir, il faut s’attendre à de vraies secousses. Les opérateurs du commerce extérieur doivent donc se fixer des caps, dégager des tendances, sinon ils ne vont pas savoir où aller. S’agissant du Brésil et de la Turquie, le premier a commencé son ajustement, notamment en remontant fortement ses taux d’intérêt et en acceptant la dépréciation de sa monnaie, le real. Son solde commercial s’améliore et ses réserves de change sont très élevées, supérieures à 350 milliards de dollars. Rien de cela en Turquie, où le déficit ne recule pas, car la demande interne reste très forte, et les réserves sont plus faibles, inférieures à 100 milliards de dollars. La politique monétaire y est moins lisible et un accident sur la livre turque est assez probable. Ceci entraînerait alors un nouveau tassement de l’activité, peut-être au deuxième semestre fin 2014.
Le Moci. Vous semblez plus optimiste pour le Mexique que pour le Brésil…
T. A. Aujourd’hui, le Brésil souffre de la comparaison avec le Mexique, qui affiche, dans nos outils, un degré de risque pays plus faible et cela va s’accroître. Le Mexique, non seulement va bénéficier encore de l’accélération conjoncturelle aux États-Unis, mais il est de plus en plus le grand bénéficiaire des relocalisations industrielles en Amérique du Nord. Enfin, la réforme pétrolière, adoptée par le Parlement, en mettant un terme au monopole de la société publique Pemex, ouvre le secteur à l’investissement étranger. Les compagnies internationales vont pouvoir créer des joint-ventures, conclure des accords de partage de production et de licences dans un secteur qui a bien besoin d’une injection de capitaux pour exploiter les ressources importantes du Golfe du Mexique.
Le Moci. Dans la zone euro, les regards sont pour l’heure fixés sur l’Allemagne. La grande coalition CDU-CSU SPD s’est entendue sur des mesures très sociales (salaire minimum…). Est-ce vraiment une bonne nouvelle ?
T. A. C’est une très bonne nouvelle. Les chrétiens démocrates de la CDU et les socio démocrates du SPD sont les partis les plus pro européens, alors que les libéraux du FDP, très hostiles à la responsabilité politique et économique de l’Allemagne dans la construction européenne, sont éliminés. L’application d’un salaire minimum est aussi une bonne nouvelle, car la hausse de la demande qui va en découler outre-Rhin va tirer l’ensemble de la zone euro. C’est donc une bonne nouvelle pour la France, même si nous perdons des parts de marché chez notre premier pays client. Toutefois, si nous avons un problème de compétitivité, ce n’est pas avec notre voisin de l’est, mais avec l’Espagne. Les salaires y ont baissé et on voit maintenant dans ce pays du sud de nouveaux investissements, y compris Français. Dans l’automobile notamment, l’Espagne produira davantage que la France dans deux à trois ans. Elle augmente aussi fortement ses exportations, devenant notamment un sérieux concurrent de la France dans le monde méditerranéen, par exemple au Maroc.
Le Moci. Lors du forum économique franco-africain qui s’est tenu avant le Sommet de l’Élysée, les autorités françaises ont martelé que le risque est surestimé en Afrique. Qu’en pensez-vous ?
T. A. Le risque pays reste extrêmement élevé, mais si l’on s’en tient uniquement au risque économique et financier – insuffisance de croissance, dévaluation ou défaut de paiement –, oui, il est devenu nettement plus faible. Ce risque-là est peut-être surestimé. En particulier en Afrique subsaharienne, où ces risques économiques et financiers sont désormais très réduits.
Plus généralement, le continent africain a bénéficié d’une plus grande stabilité politique, de meilleures politiques économiques, d’une plus grande ouverture des investissements directs étrangers (IDE), et surtout de l’amélioration des termes de l’échange. S’y ajoutent les annulations de dettes.
Mais attention ! Des annulations de dettes, il n’y en aura plus ou peu et les prix des matières premières ne devraient pas connaître la même progression dans la décennie à venir que dans celle passée. Le risque économique et financier pourrait donc se dégrader. Mais le véritable problème pour les entreprises est autre, c’est la gouvernance contractuelle. Demandez aux banques qui sont exposées aux risques de contreparties locales en Afrique, c’est le respect des contrats qui les préoccupe. Évidemment, le risque est très différent d’un pays à l’autre : médiocre à Madagascar ou en RDC, plus attractif en Côte d’Ivoire, au Gabon, en Angola, voire au Congo.
Le Moci. Bien avant les printemps arabes, en Afrique du Nord Paris avait misé sur le Maroc. Les faits semblent, depuis, lui donner raison. Quel regard portez-vous sur la solidité politique, économique et financière de ce pays ?
T. A. Politiquement, le pays est le plus solide de la région. Commandeur des Croyants, Mohammed VI est un roi unificateur et il exerce son autorité sur les affaires religieuses. Alors que dans les autres Etats d’Afrique du Nord, les décennies passées avaient été marquées par un modèle où la laïcité dominait. Ceci explique aussi que le Maroc a toujours été soutenu par les monarchies pétrolières. La proximité avec l’Arabie Saoudite est très forte. En outre, le royaume a toujours fait l’objet d’une attention soutenue de la part de la France et des États-Unis et, à cet égard, est toujours apparu comme le pivot de l’alliance démocratique. Enfin, le roi a sans doute bien géré la contestation sociale en 2011. Il a donné l’impression qu’il relâchait son contrôle sur la vie politique en choisissant un Premier ministre hors des partis le soutenant. Reste que le Maroc est soumis à des contraintes sur ses finances publiques et confronté au chômage des jeunes, ce qui nourrit l’extrémisme. Il faut que la croissance économique reste suffisante pour qu’il n’y ait pas de dégradation de l’emploi.
En toute logique, elle devrait rester plutôt positive, de l’ordre de 3,5 % à 5 % en moyenne sur les dix prochaines années, et le Maroc pourrait devenir le premier pays d’Europe de l’Est au sud de la Méditerranée, c’est-à-dire à s’intégrer pleinement dans les supply chains européennes, à l’instar de Renault qui va exporter des voitures produites à Tanger. Le premier pari, c’est de fabriquer pour les pays européens tout en vendant parallèlement dans la région. D’où l’importance d’améliorer la gouvernance, de construire de grandes infrastructures et de valoriser les accords de libre-échange signés à la fois avec l’Union européenne et les États-Unis. Un second pari peut être atteint : devenir une tête de pont pour les services, la logistique et l’exportation de marchandises vers l’Afrique subsaharienne, au moins jusqu’à la Côte d’Ivoire.
Propos recueillis par François Pargny
Afrique du Sud : un après-Mandela pleins d’incertitudes
Le Moci. La mort de Nelson Mandela, icône de tout un peuple, ne doit-elle pas inquiéter, alors que l’Afrique du Sud a connu ces derniers mois violences et manifestations sociales ?
T. A. La mort de Nelson Mandela, non. Mais le fait que Jacob Zuma se soit fait huer lors de l’éloge funèbre marque un rejet du président actuel. Or, les élections présidentielles vont se tenir en 2014, le chef de l’État est zoulou et Mandela était un Xhosa, tout comme le numéro deux du parti au pouvoir Cyril Ramaphosa, qui, après un long passage dans le secteur privé où il s’est enrichi, est revenu à la politique. Ancien patron de la jeunesse du parti ANC (African National Congress), ce dernier a conservé de nombreux contacts dans l’appareil, ce qui peut rassurer. Mais qu’en est-il vraiment de la réconciliation entre Zoulous et Xhosas que Nelson Mandela avait initiée en prenant comme vice-président le chef zoulou Buthelezi en son temps ? Sans compter une situation financière globale pas favorable, un marché très liquide, de forts déséquilibres externes, une croissance économique médiocre qui laissent penser que l’Afrique du Sud est vulnérable en 2014.
Europe de l’Est : La Serbie monte
Le Moci. Maintenant que la zone euro semble devoir se redresser, n’est-il pas temps pour les entreprises françaises de s’orienter plus vers l’Est le plus proche en Europe ? Quels pays d’Europe centrale ou orientale leur conseilleriez-vous ?
T. A. Ces pays étant l’arrière-cour de l’Ouest européen vont forcément en profiter. Et les deux pays qui vont y gagner le plus sont toujours les mêmes, Pologne et République tchèque, parce que les risques y sont plus faibles et la capacité industrielle et économique supérieure. Plus surprenant, la Serbie va aussi bénéficier de la situation. Ensuite, nous avons d’autres pays, comme la Roumanie, la Bulgarie, la Hongrie, qui cumulent déficit public, niveau de crédit élevé – regardez l’endettement important des ménages en Hongrie ! Enfin, deux pays au moins, Croatie et Turquie, même s’ils seront aussi bénéficiaires du redressement de la zone euro, nous semble plus préoccupants, car exposés à la volatilité des marchés des capitaux.