L’Union européenne, les États-Unis et le Royaume-Uni ont enclenché mardi 22 février un nouveau processus de sanctions contre la Russie après la reconnaissance par Moscou des deux républiques séparatistes de l’est de l’Ukraine, rompant de facto les accords de Minsk. Une nouvelle source de complication pour les entreprises françaises ayant des courants d’affaires avec la Russie.
« Des sanctions qui feront très mal à la Russie », a prévenu Josep Borrell lors de la conférence de presse à l’issue d’un conseil d’urgence des ministres des Affaires étrangères de l’Union. A l’unanimité, les Vingt-Sept ont adopté le 22 février un premier train de sanctions à l’encontre de la Russie. A savoir l’interdiction de visas et le gel des avoirs des 351 députés de la Douma (notre photo) ayant voté la reconnaissance des territoires séparatistes de Donetsk et Louhansk, dans l’est de l’Ukraine.
Si le chef de la diplomatie européenne n’est pas entré dans le détail, il a également évoqué des sanctions contre des entités et « des individus qui œuvrent pour l’invasion et la déstabilisation de l’Ukraine ». Au total, 27 personnalités ou entités sont donc également sanctionnées dans le secteur de la défense, des banques et de l’information.
En outre, interdiction est désormais faire aux banques et institutions financières européennes d’acheter de la dette russe.
Des mesures qui frappent décideurs politiques et banques russes
Le Royaume-Uni a également annoncé des mesures destinées à frapper la Russie au portefeuille.
Dans la ligne de mire de Londres, haut lieu des fortunes russes en Europe, trois milliardaires proches du Kremlin : Guennadi Timtchenko (actionnaire de la banque Rossiya), Boris Rotenberg (copropriétaire de la banque SMP) et son neveu Igor Rotenberg. Leurs avoirs sont gelés et ils sont désormais interdits de territoire.
Cinq banques sont également concernées par les sanctions britanniques : Rossiya, IS Bank, General Bank, Promsviazbank et la Banque de la mer Noire.
Très attendue par l’Ukraine, l’annonce par le chancelier allemand Olaf Scholtz de la suspension de l’autorisation du gazoduc Nord Stream 2 est clairement destinée à couper la Russie de sa rente gazière. Ce tube de plus de 1200 km reliant la Russie à l’Allemagne en passant sous la mer Baltique contourne l’Ukraine, privant ce pays des revenus tirés du transit du gaz russe vers l’Europe. La Russie fournit 40 % du gaz consommé en Europe et jusqu’à 55 % en Allemagne.
Deux banques visées par les États-Unis
Du côté des États-Unis, Joe Biden a annoncé des sanctions à l’encontre de deux banques : la Vnesheconombank, la banque publique de développement, et la Promsvyazbank, active dans le secteur de la défense.
La veille, les États-Unis avaient interdit toute transaction financière avec les deux territoires séparatistes pro-russes. Le président américain a par ailleurs évoqué des sanctions dans les prochains jours visant les élites russes et les membres de leur famille.
Des sanctions a minima ?
Cette première salve de sanctions est jugée par certain encore trop modeste.
Les États-Unis n’ont ainsi, pour l’instant, pas encore décidé de s’attaquer aux plus grosses banques russes, la Vnesheconombank et la Promsvyazbank représentant « seulement » quelque 70 milliards d’euros d’actifs. Evoquées depuis des semaines, la déconnection du système Swift ou des restrictions aux exportations n’ont pas fait l’objet d’annonces de la part de Washington.
Les mesures avancées par Boris Johnson ? Leur timidité lui vaut une volée de bois vert jusque dans son propre parti. Les trois oligarches ciblés figurent déjà sur la liste des sanctions américaine, comme quatre des cinq banques sanctionnées par Londres. L’interdiction faite aux banques et au institutions d’acheter de la dette russe ou émise par des organismes publics russes ? En France, par exemple, seule la Société Générale en détient, via sa filiale russe Rosbank.
Pour quelle efficacité ?
L’objectif de couper la Russie de ses sources de financements internationaux semble pour l’instant assez éloigné. D’autant que la Russie a profité des sanctions infligées par l’UE en 2014 suite à l’annexion de la Crimée pour mettre en place une stratégie lui permettant de mieux résister à ce type de sanctions en réduisant la part des institutions et entreprises étrangères dans la dette russe.
Européens, Britanniques et Américains ont donc décidé de frapper du poing sur la table sans pour autant la briser, conservant dans leurs manches des cartes maîtresse à abattre le moment venu : sanctionner de plus grosses banques, déconnecter le pays du système d’informations bancaires Swift ou allonger la liste de personnes indésirables.
Pour l’heure, la diplomatie russe s’est engagée avec l’Occident dans une partie d’échecs, jeu dont elle est un maître incontesté. Et la partie risque d’être musclée. Le 12 février, Viktor Tatarintsev, ambassadeur de la Fédération de Russie en Suède, déclarait à un média local : « Pardonnez-moi l’expression, mais nous n’en avons rien à foutre de toutes leurs sanctions ».
Sur le même ton bravache, l’ancien président Dmitri Medvedev, après l’annonce de la suspension de Nord Stream 2, s’est fendu d’un tweet évoquant « une toute nouvelle réalité, où les Européens devront bientôt payer 2 000 euros pour 1 000 mètres cubes de gaz ». Soit le double de ce qui se négocie actuellement…
Des répercussions économiques « contenues », selon Bruno Le Maire
Lors d’une audition devant la commission des Finances du Sénat, le jour même de l’annonce des sanctions, le ministre français de l’Économie s’est voulu rassurant au lendemain de l’annonce des sanctions.
« L’économie française est peu exposée à la Russie », a indiqué Bruno Le Maire, précisant que la France exporte moins de 7 milliards d’euros par an vers la Russie, soit « à peine plus de 1 % des exportations françaises ». « Nous importons moins de 10 milliards d’euros par an de Russie, c’est moins de 2 % des importations françaises », a-t-il ajouté.
Plus de 500 entreprises françaises (dont 35 groupes du CAC 40) sont présentes en Russie, selon le ministère français de l’Économie (400 selon le site de la CCI France Russie). Avec des poids lourds du commerce extérieur tricolore comme Total, Engie, Renault, Alstom, la Société générale, Bonduelle, Danone ou encore, côté services, le groupe hôtelier Accor, Auchan et Décathlon.
Sophie Creusillet
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