Alors que l’Union européenne (UE) se prépare à faire face à l’application de droits de douane américains sur ses exportations, Mario Draghi, ancien président de la Banque centrale européenne (BCE), met en lumière un problème d’une autre nature : les obstacles internes, lesquels affectent l’économie du Vieux Continent bien plus que ne peuvent le faire les mesures américaines, selon lui. Revue de détail dans cet article proposé par notre partenaire La newsletter BLOCS.
Dans une tribune publiée vendredi dernier [14 février] dans le Financial Times, l’Italien souligne ainsi « l’incapacité de longue date » de l’UE à alléger les contraintes pesant sur ses chaînes d’approvisionnement, notamment les barrières internes élevées et la lourdeur de sa réglementation.
Des droits de douane de 45 % pour les biens et 110 % pour les services
Draghi cite notamment une étude du Fonds monétaire international (FMI) qui révèle que les barrières internes au sein de l’UE sont équivalentes à des droits de douane de 45 % pour l’industrie manufacturière – soit trois fois plus que pour les États-Unis – et de 110 % pour les services.
Parmi ces obstacles internes, le FMI identifie des éléments tels que la complexité des règles des marchés publics, l’absence d’harmonisation des réglementations, le manque d’intégration du marché unique, des infrastructures frontalières insuffisantes, ainsi que les différences juridiques et linguistiques.
Autre facteur : la réglementation européenne, notamment en ce qui concerne les secteurs les plus innovants, comme le numérique. Ce cadre juridique rigide freine la croissance des entreprises technologiques, limitant ainsi les gains de productivité potentiels pour l’économie. « On estime que les coûts liés à la conformité au RGPD (Règlement général sur la protection des données), par exemple, ont réduit les bénéfices des petites entreprises technologiques européennes de 12 % », explique Mario Draghi.
« Les échanges entre les pays de l’UE représentent moins de la moitié du niveau des échanges entre les États américains »
La Commission européenne s’apprête à proposer, a priori la semaine prochaine, une législation dite « omnibus », visant justement à alléger ces contraintes. Le RGPD ne devrait néanmoins pas être inclus dans cette proposition, au contraire des directives sur le devoir de vigilance (CS3D), celle sur le reporting extra-financier (CSRD), le règlement sur la taxonomie verte et sans doute le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF).
« Ces barrières réduisent effectivement le marché sur lequel les entreprises européennes opèrent : les échanges entre les pays de l’UE représentent moins de la moitié du niveau des échanges entre les États américains. Et comme l’activité se déplace de plus en plus vers les services, leur frein global à la croissance s’aggrave », poursuit l’Italien.
Simultanément, les obstacles commerciaux avec les pays extérieurs à l’UE ont diminué, rendant les importations plus attractives et incitant les entreprises européennes à chercher des opportunités à l’étranger. En conséquence, l’UE est devenue plus dépendante du commerce extérieur, qui représente désormais 55 % du PIB de la zone euro, contre 31 % en 1999.
À titre de comparaison, la part du commerce extérieur de la Chine dans son PIB est passé de 34 % à 37 %, tandis que celle des États-Unis est passée de 23 % à 25 %, précise Mario Draghi.
Mais les difficultés de l’économie européenne ne se limitent pas à l’offre. M. Draghi critique également la faible demande qui perdure depuis la crise financière de 2008, une situation qui n’a pas favorisé l’innovation. Cette absence de volonté de stimuler la demande se reflète dans des écarts notables entre les politiques budgétaires, en particulier concernant l’équilibre entre dépenses publiques et recettes fiscales.
Entre 2009 et 2024, le gouvernement américain a injecté l’équivalent de 14 000 milliards d’euros dans son économie par le biais des déficits primaires, contre seulement 2 500 milliards d’euros dans la zone euro, note l’ex-président du Conseil italien.
Appel à une « politique budgétaire plus proactive »
Pour inverser ces tendances, Mario Draghi appelle à un changement radical. Il préconise la mise en place d’une « politique budgétaire plus proactive », avec des investissements productifs accrus, afin de réduire les excédents commerciaux tout en envoyant un signal fort aux entreprises pour les inciter à investir davantage en recherche et développement.
En outre, une « volonté inflexible » de lever les contraintes d’offre favoriserait la croissance des secteurs innovants. En réorientant la demande vers le marché intérieur, l’UE pourrait réduire son ouverture commerciale sans avoir à recourir à des sanctions.
Des mesures dans ce sens sont déjà en préparation à Bruxelles.
Dans sa « boussole de compétitivité » présentée fin janvier, qui s’appuie sur les recommandations des rapports d’Enrico Letta et de Mario Draghi lui-même, Bruxelles envisage de mettre en place d’ici 2026 un cadre juridique unifié, baptisé « 28e régime ». Ce dispositif, destiné aux entreprises innovantes, leur permettra d’opérer au sein de l’UE selon un ensemble unique de règles couvrant le droit des sociétés, l’insolvabilité, le droit du travail et la fiscalité.
Par ailleurs, la Commission travaille actuellement à réviser le cadre des aides d’État d’ici la fin du printemps et projette de promouvoir une préférence européenne dans les marchés publics, en ciblant notamment les technologies et secteurs stratégiques tels que l’intelligence artificielle.