Dans la droite ligne de la stratégie nationale portuaire dévoilée il y a un an, le 21 novembre 2017, au Havre lors des Assises de l’économie de la mer, le Premier ministre Édouard Philippe a exposé le 15 novembre à Dunkerque, à l’occasion du deuxième Comité interministériel de la mer (CIMer), l’ambition réformatrice de son gouvernement pour redresser la compétitivité des ports français qui se heurtent à la compétition livrée par les grands ports étrangers. Avec à la clé une nouvelle stratégie nationale portuaire. Retour sur les grandes orientations qui se dessinent pour ce secteur clé de la compétitivité de la plateforme France en matière de transport et de logistique.
Comme l’a déploré le Premier ministre dans son discours prononcé à Dunkerque, ville des Hauts-de-France qui abrite le premier port français d’importation de fruits en conteneurs (notre photo), il n’existe pas en France de stratégie portuaire unifiée, alors même que l’Hexagone est un des plus grands pays maritimes de l’Union européenne (UE). L’objectif de son gouvernement est donc de mettre en place, dans les six mois à venir, un travail préparatoire devant conduire à une « véritable » stratégie nationale portuaire. Les grands ports maritimes français, l’ensemble des acteurs portuaires de l’Hexagone, ainsi que tous les acteurs qui concourent au développement des grands ports maritimes, seront consultés et associés à la définition de cette stratégie nationale portuaire.
Il y a un an, aux Assises de l’économie de la mer, l’ancien maire du Havre avait décrit les difficultés qui pèsent sur le modèle économique des grands ports et avait appelé à des réformes pour rendre ce modèle économique plus robuste.
Les ports français doivent « conquérir plus de trafics »
Le transport maritime représentant 80 % des échanges mondiaux de marchandises, les ports maritimes constituent les principaux nœuds d’échanges mondiaux. S’agissant de la question du modèle économique des ports, l’objectif pour le gouvernement d’Édouard Philippe est de faire passer les grands ports maritimes français d’un modèle de ports aménageurs, à un modèle de ports entrepreneurs, davantage tournés « vers la préoccupation de conquérir toujours plus de trafic », bien qu’aucun des grands ports ne serait uniquement dans cette logique d’aménagement, a nuancé le Premier ministre. Néanmoins, selon lui, il faut développer cette transformation du modèle portuaire et l’accélérer.
Stabiliser le régime fiscal qui s’applique aux grands ports maritimes
Pour accélérer la transformation portuaire, le chef du gouvernement français préconise dans un premier temps de stabiliser le régime fiscal qui s’applique aux grands ports maritimes de France. La réforme de 2008 a créé le statut de Grand Port Maritime (GPM) dans lequel ont basculé les 11 ports maritimes relevant de l’État. Sept sont en métropole : Dunkerque ; Le Havre ; Rouen ; Nantes Saint-Nazaire ; La Rochelle ; Bordeaux ; Marseille. Et quatre dans les territoires d’Outre-Mer : Guyane ; Martinique ; Guadeloupe ; Port-Réunion.
Le régime fiscal, a concédé le locataire de Matignon, a récemment connu des transformations et des déstabilisations, qui ont conduit à des incertitudes et à des déséquilibres. Le gouvernement veut donner aux ports de la visibilité sur leurs charges, notamment fiscales. La loi Pacte, a annoncé le Premier ministre à Dunkerque, permettra aux grands ports maritimes et aux ports autonomes de travailler leur bilan comptable afin de bien prendre en compte les conséquences de leur soumission à l’impôt sur les sociétés. D’ici le début de l’année 2019, le gouvernement aura établi une doctrine fiscale claire, et totalement harmonisée au niveau national, pour préciser les biens qui sont, ou non, soumis à la taxe foncière.
Partout où cela sera nécessaire, le gouvernement, a encore informé Édouard Philippe, va harmoniser et simplifier la méthodologie de calcul de cette taxe. Ce sera en particulier le cas s’agissant de la prise en compte des quais dans le calcul et la détermination de la taxe foncière, un point sur lequel l’attente de la part des acteurs portuaires est considérable.
Fusionner les trois ports du Havre, de Rouen et de Paris en 2021
Dans son allocution, le Premier ministre est également revenu sur le système de la vallée de la Seine. Les trois ports du Havre, Rouen et Paris sont réunis depuis 2012 au sein du groupement d’intérêt économique (GIE) baptisé Haropa. L’ensemble portuaire Haropa a enregistré en 2017 « une année historique », après une baisse de 4,8 % de ses trafics maritimes en 2016 par rapport à 2015. Le trafic global des trois ports regroupés au sein d’Haropa, en croissance de 6 %, a ainsi atteint 92,64 millions de tonnes (Mt) l’an dernier. La filière conteneurs a enregistré une hausse de 15 % en tonnage (29 Mt) et de 14 % en EVP (équivalents vingt pieds). Pour la première fois depuis sa création en 2012, le complexe portuaire a traité 3 millions d’EVP sur une année.
Loin de remettre en cause le succès d’Haropa, le Premier ministre avait néanmoins pointé lors des Assises de l’économie de la mer sa gouvernance qui, estime-t-il, « a atteint ses limites ». Édouard Philippe avait alors suggéré « plus d’intégration » avec un pilotage beaucoup plus unifié qui inclue au même niveau les trois ports : Le Havre, Rouen et Paris. À Dunkerque lors du CIMer, le chef du gouvernement français a réitéré son ambition de passer à une intégration encore plus poussée pour disposer « d’une réelle unité de commandement et de stratégie sur tout le grand bassin parisien », et pour créer un ensemble de la taille des autres ports du Range Nord.
En l’occurrence, le gouvernement a décidé de fusionner les trois ports, du Havre, de Rouen et de Paris,dans un établissement public, qui sera doté de trois implantations territoriales. Cet établissement public unique avec des implantations territoriales devra être opérationnel au plus tard le 1er janvier 2021, a indiqué Édouard Philippe.
L’ancien maire du Havre a donc demandé à la ministre des Transports, Élisabeth Borne, de commencer, dans les trois mois qui viennent, une concertation avec l’ensemble des parties prenantes –les représentants des personnels, des collectivités territoriales, les acteurs économiques – sur les modalités précises de cette fusion, sur les éléments à prendre en compte pour mieux associer les acteurs locaux aux décisions qui peuvent être prises et qui les concernent directement.
Un préfigurateur à la fusion sera nommé. Il sera chargé d’ici début 2020 de proposer les règles de fonctionnement du nouvel ensemble, d’ouvrir le chantier de l’harmonisation sociale en veillant bien entendu aux spécificités de chaque implantation territoriale, d’élaborer le projet stratégique du port et de proposer un contrat d’objectifs pluriannuels entre le port et l’État. Le gouvernement introduira dans la loi d’orientation des mobilités, après que ces concertations auront eu lieu, une habilitation à prendre par ordonnances les dispositions adaptées.
Mieux unifier le front portuaire de la façade méditerranéenne
Concernant le système portuaire Méditerranée Rhône Saône, l’enjeu principal est de mieux unifier le front portuaire de la façade méditerranéenne et d’y associer dans toute la mesure du possible le port de Lyon.
À la mi-2019, le gouvernement proposera la création d’un groupement d’intérêt économique (GIE), lequel réunira les ports de Marseille, de Sète, de Toulon, de Port la Nouvelle, de Nice et de Port-Vendres. Lyon y sera associé dans un second temps. Ce GIE devra améliorer la coordination sur les questions d’innovation, de structuration de la réparation navale classique et de grande plaisance, et sur la recherche de nouveaux trafics de marchandises et de conteneurs.
Enfin, s’agissant de la gestion des grands ports de la façade atlantique, le gouvernement va proposer et demander aux collectivités territoriales compétentes, et aux conseils régionaux, en particulier de Nouvelle-Aquitaine et des Pays de la Loire, de se prononcer officiellement sur la façon dont ils envisagent le fonctionnement de ces installations portuaires.
Édouard Philippe a assuré qu’il suivra personnellement avec Élisabeth Borne et François de Rugy, le ministre de la Transition écologique et solidaire, la mise en œuvre de ces réformes « de très grande ampleur dont la France a vraiment besoin ». Les deux ministres pourront en rendre compte année après année, à l’occasion de chacun des comités interministériels consacrés à la mer.
Venice Affre