L’activité et les chiffres d’affaires des deux plus grands ports à conteneurs français ont continué de progresser l’an dernier malgré les perturbations du transport maritime mondial et la concurrence avec les ports du Nord de l’Europe. Ils misent tous deux sur les investissements industriels, en forte hausse cette année, pour assurer leur développement.
Souvent accusé d’une moindre compétitivité par rapport aux autres ports du Nord de l’Europe, le Havre a affiché l’an dernier une hausse de 18,7 % de son trafic de conteneurs avec 3,1 millions d’équivalents vingt pieds (EVP), soit la plus forte progression du trafic de conteneurs sur le range Nord. Le transbordement a bondi de 56 % et enregistre ainsi son niveau le plus important depuis cinq ans. Cette dynamique est illustrée également par un trafic inland solide (+7 %), mais aussi par une augmentation du nombre d’escales au Havre, en dépit des évènements en mer Rouge.
Toutes activités confondues, le trafic maritime enregistre cependant une hausse plus modeste, de 2,4 % à 83,2 millions de tonnes (Mt). Les vracs solides et les vracs liquides ont en effet reculé respectivement de 8 % (à 11,7 Mt) et de 5% (à 39,9 Mt). La contreperformance du vrac liquide est principalement liée à des variations de stocks sur les produits raffinés ainsi qu’à l’incendie de la raffinerie ExxonMobil en mars 2024, entraînant une baisse des imports de pétrole brut avant son redémarrage fin mai. Au total le chiffre d’affaires d’Haropa (Le Havre, Rouen et Paris) a augmenté de 3,6 % pour atteindre 437 millions d’euros (M EUR).
Forte progression du trafic de conteneurs
A Marseille-Fos, dont le chiffre d’affaires a atteint 224,5 M EUR (+ 7 %), ce sont également les conteneurs, en hausse de 9 % à 1,45 Mt traitées, qui ont tiré l’activité à la hausse. Ce regain de l’activité s’explique, d’une part, par le détournement des routes maritimes vers le cap de Bonne-Espérance en raison des perturbations en mer Rouge, générant une hausse de près de 65 000 EVP selon l’autorité portuaire. D’autre part, les volumes à l’import et à l’export ont affiché une croissance de 53 500 EVP, particulièrement marquée sur des axes stratégiques tels que la Chine (+ 12 %), l’Algérie (+ 12 %), la Turquie (+ 13 %), La Réunion (+ 25 %), l’Egypte (+ 25 %), et l’Inde (+ 6 %).
En revanche le trafic total a reculé, passant de 72 Mt à 70,5 Mt, toutes activités confondues. Le vrac liquide a connu un recul global de 2 % malgré une hausse de 10 % des volumes de produits raffinés qui a permis de compenser les arrêts techniques des raffineries d’Esso et de Cressier en Suisse et le recul de 16 % du trafic GNL. A contrario, le trafic de gaz de pétrole liquéfié (GPL) a enregistré un rebond de 13 % en raison des sanctions européennes sur les importations de GPL russe.
Cap sur la décarbonation et les projets industriels
Si les deux ports semblent tirer leur épingle du jeu dans un envrionnement difficile, ils poursuivent également leur politique d’attraction des investissements logistiques industriels pour assurer leur développement et maintenir leur compétitivité. Au Havre l’année 2024 a été marquée par des annonces de trois projets d’implantations majeurs dans la transition énergétique, portés par Livista (raffinerie de lithium), Air Products (gaz industriels) et Qair (ENR). Ces projets devraient induire un surplus de près de 1 Mt de trafic maritime annuel et 0,5 Mt de trafic fluvial.
Haropa a ainsi engagé 146 M EUR en 2024, soit 29 % de plus qu’en 2023, avec un fort accent porté sur la décarbonation qui a absorbé la moitié des investissements totaux (73 M EUR). Cette année devrait également voir, outre la concrétisation de ces projets, le lancement des travaux de la Chatière au Havre (création d’un accès fluvial direct à Port 2000 via un chenal), des premiers travaux de la plateforme fluviale Port Seine Métropole Ouest (PSMO) et de la concrétisation des implantations industrielles annoncées l’an dernier. Par ailleurs, l’électrification des quais se poursuit. Le quai Pierre Callet du Terminal croisières pourra alimenter les paquebots à partir d’avril et les équipements des quais Roger Meunier et Joannès Couvert seront mis en service en 2026. L’électrification des quais de Port 2000 est en cours d’étude.
Deux ports dans les limbes des classements internationaux
Le port de Marseille a quant à lui investi près de 99 M EUR, soit 30 % de plus qu’en 2023, avec là encore une priorité donnée aux projets liés à la décarbonation ou la protection de l’environnement. Comme au Havre, ils concentrent environ la moitié des investissements, soit 47 M EUR. Le report modal des marchandises (projets ferroviaires Graveleau et Mourepiane) et la connexion électrique des navires à quai et des centrales photovoltaïques forment l’essentiel de l’effort avec respectivement 20,8 M EUR et 18,8 M EUR investis. Les autorités portuaires comptent par ailleurs encore accélérer les projets verts en investissant 1 milliard d’euros dans les cinq prochaines années, avec en ligne de mire des projets majeurs, comme DEOS, une plateforme pour l’éolien offshore chiffrée à plus de 500 M EUR.
Malgré les millions d’euros consentis ces dernières années pour mettre leurs infrastructures à niveau, les deux plus grands ports français, cruciaux pour les entreprises travaillant à l’export, continuent de trainer une mauvaise réputation auprès des experts du transport maritime international. En juin 2024, la Banque mondiale classait le port à conteneurs du Havre 372e de son Container Port Performance Index (CPPI), deux rangs derrière Douala, au Cameroun, et celui de Marseille en 354e position, juste devant le port de Constanța, en Roumanie. Barcelone occupe la 34e place, Anvers-Bruges la 76e, Rotterdam la 91e place et Hambourg la 121e de cet index fondé sur la performance (attente, opérations, numérisation…).
Grève et débrayages perlés
Les routes maritimes qui se redessinent sous la pression des conflits et tensions géopolitiques impliquent une concurrence accrue entre les ports européens. Dans ce contexte, il n’est pas sûr que la grève nationale des dockers les 30 et 31 janvier contre la réforme des retraites et les débrayages prévus en février* n’améliorent les performances du plus grand port à conteneurs de France et sa place dans les classements internationaux.
Après celui de décembre, ce nouveau mouvement social inquiète la Fédération nationale des transporteurs routiers. L’organisation professionnelle a fait savoir dans un communiqué le 28 janvier son « exaspération légitime dans un contexte économique déjà extrêmement tendu pour les entreprises du transport routier de marchandises ». Le lendemain, au troisième jour de débrayages de 4 heures (23 et 27 janvier), lors de la présentation du bilan 2024 d’Haropa, son directeur délégué au Havre Florian Weyer a déclaré que ces arrêts de travail n’avaient « pas d’impact sur les entrées et sorties de navires ». L’annonce de la grève de 48 heures a en revanche conduit un navire de croisière à annuler son escale le 30 janvier.
Bref, le Havre et Marseille ont encore fort à faire pour gagner en compétitivité et rejoindre le niveau de performance des ports à conteneurs français ultra-marins. Alors que ces deux ports métropolitains se situent dans les bas-fonds du classement de la Banque mondiale, Point-à-Pitre (Guadeloupe) arrive 94e , Fort-de-France (Martinique) 114e , Papeete (Tahiti) 176e et Nouméa (Nouvelle-Calédonie) 285e .
Sophie Creusillet
* Les jours concernés par des débrayages de quatre heures à l’appel de la Fédération nationale des ports et docks de la CGT sont les 4, 6, 10, 12, 14, 18, 20, 24, 26 et 28 février.
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