Les entreprises européennes et notamment françaises, doivent sans tarder évaluer l’impact des mesures tarifaires américaines affectant non seulement les biens en provenance de l’Union européenne, mais aussi des autres pays où elles s’approvisionnent, notamment la Chine. Car ces mesures frappant les pays tiers risquent d’affecter leurs propres exportations, via leurs chaînes d’approvisionnement. Dans cette analyse experte, Stanislas Roquebert (en couverture) et Augustin Motte, tous deux avocats français spécialistes du droit douanier au sein du cabinet LightHouse LHLF, expliquent pourquoi et livrent quelques conseils utiles pour anticiper.
Le contexte international global
Depuis son retour à la Maison-Blanche, Donald Trump n’a cessé d’être au centre des préoccupations médiatiques par ses prises de position audacieuses, notamment en matière de droits de douane, qu’il qualifie lui-même de « mot le plus beau du dictionnaire ».
Ces déclarations, parfois accompagnées d’actions concrètes, annoncent le renouveau d’un protectionnisme marqué pour les États-Unis. Une orientation dont les répercussions se font sentir à l’échelle mondiale, entre impacts économiques et mesures de représailles de la part des nations concernées !
Rappel des mesures annoncées par l’administration Trump
Les différentes mesures sont les suivantes :
1/ Introduction d’une hausse des droits de douane à l’importation aux États-Unis
–Droits de douane sur les importations d’acier et d’aluminium : depuis le 12 mars 2025, des droits de douane de 25 % erga omnes (sauf exceptions) sont appliqués à toutes les importations d’acier et d’aluminium, ainsi qu’à leurs produits dérivés.
–Adoption de droits de douane de 20 % sur l’ensemble des produits d’origine chinoise.
–Adoption de droits de douane de 25 % sur l’ensemble des produits d’origine canadienne et mexicaine
-Menace de droits de douane de 200 % sur les vins et spiritueux européens notamment…
2/ Politique de droits de douane réciproques
Mi-février, Donald Trump a exprimé son intention d’introduire des droits de douane « réciproques ». Concrètement, cela signifie que les produits importés aux États-Unis seraient soumis à des droits de douane dès lors que des droits de douane supplémentaires sont appliqués par le pays exportateur sur les produits américains identiques.
Toutes les mesures de surtaxation adoptées par l’Union européenne (UE) sur les produits américains pourraient donc impacter directement les produits européens identiques.
A titre d’exemple, la Commission européenne a publié le 13 mars 2025 une liste de 99 pages de produits américains (e.g. alcools, tapisseries, vêtements, textiles, maroquinerie, bijoux, appareils ménagers…) pouvant être visés par des droits de douane supplémentaires d’ici à mi-avril.
Si Donald Trump se tient à sa politique des « droits de douane réciproques », les secteurs européens énumérés par la Commission européenne dans sa publication du 13 mars 2025 peuvent donc anticiper une éventuelle hausse des droits de douane applicables à l’importation de leurs produits aux États-Unis.
En cas de mise en œuvre de cette hausse de droits de douane par la Commission européenne, la réponse de Donald Trump risque d’être disproportionnée. A titre d’exemple, lorsque l’UE a annoncé vouloir introduire une taxation de 50 % sur les whisky américains, Donald Trump a immédiatement répondu en menaçant de droits de douane à hauteur de 200 % sur les vins et spiritueux européens.
3/ Suppression de l’exemption de minimis pour les produits d’origine chinoise
L’exemption « de minimis » permet de bénéficier d’une exemption de formalités douanières et de droits de douane pour les produits d’une valeur inférieure à 800 dollars (USD).
Cette exemption a été suspendue pour l’ensemble des produits d’origine chinoise avant d’être réintroduite en raison des difficultés opérationnelles rencontrées par les douanes américaines (afflux massifs de déclarations en douanes supplémentaires à traiter). Cette exemption pourrait être de nouveau supprimée dès lors que l’administration sera en mesure de faire face à une telle réforme.
Les raisons pour lesquelles les entreprises européennes sont concernées par toutes ces mesures
Les entreprises européennes sont concernées par l’ensemble de ces mesures, y compris les mesures appliquées à la Chine, pour différentes raisons :
1/ Les entreprises européennes impliquées dans l’importation de produits en acier et/ou en aluminium sont directement concernées par l’introduction des droits de douane de 25 %. Les produits dérivés (i.e. tout produit contenant de l’acier ou de l’aluminium), tels que les composants transformés, sont également concernés, bien que des exceptions existent.
2/ Les mesures visant la Chine concernent également directement les entreprises européennes. En effet, ces mesures visent les produits fabriqués en Chine et non simplement les produits exportés par une entreprise chinoise / ou depuis la Chine. Ainsi, les entreprises européennes qui utilisent des produits chinois dans leur chaîne d’approvisionnement sont directement concernées par ces mesures.
La suppression de l’exemption de minimis, bien qu’elle ait été suspendue à ce stade, pourrait aussi affecter toutes les entreprises exportant vers les États-Unis des produits d’origine chinoise de faible valeur.
3/ Réciprocité des droits : cette politique voulue par Donald Trump pourrait entrainer une escalade exponentielle des hausses de droits de douane, notamment pour les produits d’origine européenne. Les secteurs d’activité pour lesquels l’Union européenne met en œuvre d’importantes mesures de défense commerciale peuvent s’attendre à subir d’importantes hausses de droits de douane à l’importation aux États-Unis.
4/ Enfin, dans ses dernières annonces, le président Trump semble vouloir viser de nombreux secteurs d’activité de produits desquels les entreprises européennes sont exportatrices.
En somme, les entreprises européennes doivent se préparer à naviguer dans un environnement douanier plus complexe et potentiellement plus coûteux.
Les conséquences concrètes pour les entreprises
La principale conséquence est très simple : les hausses de droits de douanes constituent des barrières tarifaires supplémentaires aux échanges commerciaux mondiaux.
Certaines entreprises seront contraintes de payer plus de droits de douane et donc de réduire leurs marges. Le coût pèsera également en fin de compte sur le consommateur final pour lequel les produits seront plus coûteux donc moins attractifs. Sur le marché américain, c’est le but recherché par Donald Trump qui cherche à rendre les produits fabriqués aux États-Unis plus attractifs pour les consommateurs américains.
A terme, le principal risque du protectionnisme est une hausse globale des prix du marché.
Comment une entreprise peut-elle anticiper ?
Pour se prémunir, il est crucial de bien maîtriser l’écosystème douanier et de comprendre les notions clés. Voici les principales :
Notion clé n° 1
Une bonne maîtrise des règles d’origine et de classification de vos produits (i.e. codes SH) vous permettra de déterminer si vos produits sont susceptibles d’être affectés par ces droits de douane supplémentaires.
A partir de la maîtrise de ces règles, un changement de sourcing des produits finis et / ou de vos matières premières, ou encore une modification de vos procédés de production (ex : rapatrier quelques activités de production dans l’UE pour acquérir une origine douanière UE et non chinoise) pourront vous permettre d’éviter les droits de douane supplémentaires visant à ce stade uniquement les produits d’origine chinoise.
Ainsi une option intéressante serait d’opter pour des régimes particuliers tel la mise en entrepôt sous douane ou encore le perfectionnement actif afin d’optimiser les coûts, de maximiser l’efficacité des flux commerciaux et d’acquérir si possible une origine européenne pour vos produits (à défaut d’une origine chinoise plus sévèrement taxée pour de nombreux produits à ce stade).
A titre d’exemple, le régime du perfectionnement actif permet l’importation de marchandises dans l’UE en exonération de droits de douane afin de permettre leur transformation dans l’UE avant mise à la consommation ou réexportation avec (le cas échéant) la revendication possible d’une origine douanière UE pour ces produits transformés.
Notion clé n° 2
Il est également crucial de prendre en considération les Incoterms lors de l’organisation de vos contrats commerciaux : optez pour un Incoterm qui transfère à l’acheteur américain la charge des formalités douanières et le paiement des droits de douane, afin d’éviter que ce flux de trésorerie supplémentaire n’impacte votre entreprise lors de l’importation aux États-Unis.
Ainsi, préférez l’utilisation des Incoterms conférant à l’acheteur la qualité d’importateur à destination (ex : FCA, CPT, CIP…). Evitez en tout état de cause l’Incoterm DDP qui est le seul Incoterm à mettre à la charge du vendeur les formalités de dédouanement dans le pays d’importation / de destination.
Notion clé n° 3
Travaillez votre valeur en douane. Deux pistes intéressantes :
-Le mécanisme de la first sale (première vente) permet, aux États-Unis, de déclarer la valeur en douane d’un produit basée sur le prix de la première vente dans la chaîne de transactions, plutôt que sur le prix payé pour l’importation finale. Attention, car l’application de ce mécanisme pourrait être remis en cause s’il n’est pas correctement appliqué.
-Gardez en tête que la valeur en douane aux États-Unis est basée sur l’incoterm « FOB » et non sur l’incoterm « CIF » (la base taxable est donc moindre), même si ce sujet reste en débat…
En conclusion…
En résumé, bien que les mesures mises en place par l’administration Trump semblent être circonscrites à certains États, elles auront des répercussions bien au-delà des frontières américaines.
Les entreprises doivent donc prendre conscience des risques associés et anticiper les conséquences sur leurs coûts et leur organisation.
En adoptant une approche proactive, il sera possible non seulement de limiter les effets négatifs de ces nouvelles politiques commerciales mais aussi de tirer parti des opportunités offertes par un environnement douanier et commercial en constante évolution : des solutions concrètes existent !
Stanislas Roquebert et Augustin Motte
LightHouse LHLF