La deuxième édition de notre rencontre annuelle avait pour thème : « Les pays émergents sont-ils trop risqués pour les PME ? ». Tour d’horizon des témoignages et des points de vue des spécialistes intervenus à la conférence plénière.
Pas moins de 295 professionnels du commerce international et responsables d’entreprise se sont déplacés le 22 juin au Conseil économique, social et environnemental (Cese) à Paris pour assister à la deuxième édition du Forum Moci – Risques & Opportunités à l’international, organisé en partenariat avec le Cese, la CGPME, Oséo et les Douanes françaises. Au fil de la conférence plénière, dédiée à la question « Les pays émergents sont-ils trop risqués pour les PME ? », et suivie de quatre ateliers, plusieurs spécialistes et dirigeants d’entreprise ont partagé leurs visions du sujet et leurs témoignages, dans un contexte d’actualité internationale qui prend cette année un relief particulier (crise des pays d’Europe du Sud, catastrophe japonaise, révolutions arabes…).
Ce rendez-vous accompagne également la sortie du troisième Atlas des risques pays à l’usage des opérateurs du commerce international, réalisé par Le Moci avec le concours d’Euler Hermes Sfac, de la Société Générale et de Geos.
Le ton était donné par un aperçu des dernières tendances du commerce international, élaboré par Le Moci sur la base des statistiques GTA-GTIS. Après une année 2009 noire, le commerce international a retrouvé l’an dernier ses couleurs. Quels en sont les gagnants et les perdants ? En 2010, les marchés les plus porteurs sont bien dans les pays émergents dont 28 affichent des hausses d’importations supérieures à 30 %. Côté exportateurs, dans le top 10 figurent notamment les États pétroliers et miniers, les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud – South Africa) étant également bien placés.
Qu’en est-il de la France dans tout cela ? Elle ne s’en sort pas si mal, compte tenu de sa taille : relativement peu de pays (21 sur 83) ont réduit leurs achats à l’Hexagone en 2010. Mais la situation est plus nuancée en ce qui concerne les parts de marché : elles baissent et la France ne représente plus que 3,49 % dans les importations mondiales (après 3,98 % en 2009). Et fait moins bien que son voisin l’Allemagne, dans toutes les régions du globe. Le secret des exportations allemandes ? René Lasserre, directeur du Centre d’information et de recherche sur l’Allemagne contemporaine (Cirac), a fourni quelques éléments de réponse. Certes, les grands groupes rhénans emmènent avec eux les PME (qui sont une colonne vertébrale de l’économie allemande dont elles font environ 37 % du chiffre global), mais beaucoup d’entre elles ont des stratégies de globalisation « totalement autonomes ». « Pratiquement toutes les PME exportent » et font à peu près 20 %, tous secteurs confondus, des exportations allemandes. Surtout, elles sont aussi présentes à l’export parce qu’elles sont innovantes et parce que l’international fait partie de leur business model et de leur organisation depuis une trentaine d’années, a-t-il estimé.
À la question centrale de cette conférence plénière – les pays émergents sont-ils trop risqués ? – Thierry Apoteker, directeur du cabinet de recherche TAC, a répondu par la négative : « Non, les marchés émergents ne sont pas trop risqués ; ils comportent des risques qui peuvent être substantiels pour les PME, mais ces risques sont couvrables. Ce qui est important, c’est de savoir quel est le degré de risque, comment vous le traduisez dans vos rentabilités attendues et comment vous pouvez vous protéger au travers des prestations de vos partenaires habituels du commerce international ». Autrement dit, si le risque dans les pays émergents n’est pas trop élevé, ce sont des marchés plus difficiles avec des risques spécifiques, qui obligent à mesurer la rentabilité face à ces risques et à être sûr d’avoir les ressources pour les couvrir. Quatre familles de risque ont été soulignées par Thierry Apoteker : risque de change, de demande, de paiement ainsi que le risque politique et contractuel (par exemple, que les autorités d’un pays changent les règles du jeu pendant la partie).
Que l’export vers les pays émergents peut être une success story a été illustré par le témoignage de deux PME résolument tournées vers l’international. Arkamys, un spécialiste du son spatialisé 3D, qui compte une vingtaine de collaborateurs, a ainsi décroché un contrat avec Samsung pour fournir au géant coréen un logiciel de restitution sonore. Philippe Tour, P-dg de la PME, a fait part de son aventure internationale : innovation et benchmark permanents, nécessité du dépôt de brevets, respect de la culture locale… mais surtout, ce qui importe, « c’est d’avoir une ouverture d’esprit qui permet de comprendre l’autre dans sa complexité ».
Dans un tout autre domaine, celui de la production de pommes, Blue Whale ne vend que 25 % de ses produits sur le marché national et exporte dans plus de quarante pays. Son P-dg, Alain Vialaret, a énuméré quelques risques auxquels son groupe se voit confronté : les grèves de dockers, les douaniers à destination qui ne veulent pas décharger, les guerres comme celle en Libye… « Ce sont des risques qu’il faut bien mesurer et prendre en compte ». Surtout, « le réseau local est très important. On ne vend pas dans un pays sans le connaître ». Il faut également « choisir les partenaires qui travaillent dans une même politique de marque ». Blue Whale a par ailleurs « un risque financier important » en raison des délais de paiement longs dans certains pays. Pour gérer cela, « nous sommes assurés Coface ». Mais aussi, dans l’agroalimentaire, ce sont l’homme et le réseau de confiance, de connaissances, qui sont au cœur de beaucoup de choses. Enfin, « s’il y a un problème, il faut y aller de suite » et trouver des solutions rapides, comme un autre point de départ en cas de grève, par exemple.
L’occasion, enfin, pour Eric David, sous-directeur du financement international des entreprises auprès de la direction générale du Trésor, de terminer la conférence plénière en faisant le point sur les mesures initiées pour soutenir l’export, telles que le plan pour le commerce extérieur, la mise en place des chartes régionales pour des guichets uniques (en Auvergne, en Rhône-Alpes et prochainement en Alsace), l’objectif de 15 000 volontaires internationaux en entreprise (V.I.E) dont 6 000 au service des PME…, ou encore sur la création de nouveaux outils financiers, à l’instar de l’« export box » qui rassemblera des outils de Coface, d’Oséo et d’Ubifrance. Et d’annoncer la mise en place, à compter de la rentrée, d’un portail Internet consacré à la fois à l’import et à l’export, sous la houlette respectivement des Douanes et de la Direction générale du Trésor, qui devrait fournir « l’ensemble des informations techniques nécessaires pour importer et exporter ».
Nataša Laporte