Après l’affaire des ‘Monsanto Papers’, révélée en France par le journal Le Monde, le géant américain de l’agro-business est à nouveau au cœur d’un scandale à Bruxelles. Dans une lettre adressée à la Commission européenne le 24 mars, 30 eurodéputés appellent ainsi les membres de l’exécutif à mieux protéger les consommateurs en interdisant le glyphosate, la substance active du produit phare de la multinationale, le désherbant ‘Round Up’. Motif de cette fronde ? Monsanto aurait caché des « études accablantes » sur l’effet du glyphosate, indique le groupe des Verts du PE dans un communiqué. Une association d’ONG accuse également l’entreprise, et d’autres producteurs, d’avoir sponsorisé une série d’articles publiés dans des journaux scientifiques, et attribués à des académiciens, concluant que le glyphosate et ses dérivés commerciaux n’étaient pas cancérogènes.
Favorable à l’autorisation du glyphosate, la Commission européenne n’a pas réussi, en juin 2016, à convaincre les États membres de renouveler la licence de l’herbicide, qui arrivait à expiration. L’exécutif européen s’était alors résolu à accorder une prolongation de 18 mois à la substance, dans l’attente d’une nouvelle analyse de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA). Le 15 mars, cette dernière a conclu que le glyphosate ne devait pas être classé comme cancérigène.
Des études rédigées par d’ex-collaborateurs de Monsanto
« Un scandale », ont rétorqué plusieurs ONG de défense de l’environnement, dont Greenpeace. Selon elles, ces conclusions vont à l’encontre d’autres rapports, notamment celui publié en 2015 par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), une agence de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui avait qualifié le glyphosate de « probablement cancérigène » pour l’homme.
Les eurodéputés qui ont saisi la Commission européenne, rappellent par ailleurs que l’avis rendu par l’ECHA et partagé par l’EFSA, l’Autorité européenne de sécurité des aliments, s’est basé sur un rapport rédigé par Larry Kier, ancien expert de Monsanto, consultant en toxicologie, et David Kirkland, qui aurait quant à lui signé un contrat avec Monsanto selon un courriel interne daté du 12 juillet 2012, révélé lors des Monsanto Papers.
« Donc l’agence européenne de sécurité des aliments utilise des études faites par les producteurs de glyphosate mais non publiées pour étayer son jugement. Écoutez, chercher à qui le crime profite. Il ne faut pas chercher très loin, il y a évidemment conflit d’intérêt », explique Philippe Lamberts, coprésident du groupe des Verts au PE. Avec les autres élus européens, il appelle les deux agences européennes à réviser de manière critique la validité de leurs études et la Commission à enquêter sérieusement pour savoir si Monsanto « a délibérément falsifié des études sur la sécurité du glyphosate, et si les faits sont établis, à prendre des mesures juridiques appropriées contre l’entreprise ».
La bataille est loin d’être gagnée
Une publicité dont se serait bien passée la Commission européenne. « L’avis final devrait être rendu avant les vacances d’été […] Après cela, les services de la Commission relanceront les discussions avec les États membres quant à l’autorisation du glyphosate en tant que substance active dans les pesticides », a simplement indiqué Enrico Brivio, porte-parole au sein de l’exécutif européen. Mais le tapage médiatique autour de ce dossier a freiné les projets de ses membres qui espéraient, l’an passé, renouveler l’autorisation du glyphosate jusqu’en 2031, en toute discrétion.
La polémique – essentiellement alimentée par des ONG – a néanmoins contrarié les projets de Bruxelles en jetant un coup de projecteur sur la procédure. « Ces décisions se prennent en toute opacité ce qui permet aux politiques de faire le jeux des multinationales sans pour autant en payer le prix politique. Et dès qu’il y a de la transparence sur le processus de décision alors le prix politique augmente et devient pour certains, intenable », confiait au Moci Philippe Lamberts. Selon lui, cette mobilisation des ONG, de la société civile et des élus a favorisé la décision de plusieurs États membres, notamment celle de la France, d’interdire la substance pour aligner la réponse de l’UE sur la position la plus protectrice de l’environnement et de la santé.
La bataille est cependant loin d’être gagnée, estime ce militant. Face à des enjeux économiques considérables, les 28 auront du mal à trancher car le glyphosate n’est pas seulement le principe actif du Round up. Il entre dans la composition de 750 produits commercialisés par 90 fabricants répartis dans une vingtaine de pays…
Kattalin Landaburu, à Bruxelles