Dévoilés le 13 janvier dernier, les résultats de la consultation publique sur l’inclusion, ou non, d’un mécanisme de règlement des différends investisseurs/Etats (ISDS/Investor State Dispute Settlement) dans le futur Partenariat transatlantique sur le Commerce et l’Investissement (PTCI, en anglais TTIP/Transatlantic Trade and Investment Partnership ) n’a pas apaisé les esprits, ni dans le camp de ses partisans, ni dans celui de ses détracteurs. D’âpres débats sont donc à prévoir sur ce dossier très sensible au cours des prochains mois.
Au coeur de la controverse, une question : comment trouver le juste équilibre entre la protection des investisseurs et la capacité des pays membres à réglementer dans le respect de l’intérêt général ?
En dépit de « l’énorme scepticisme » des parties prenantes quant à l’inclusion de l’ISDS dans le TTIP – 97 % des réponses à la consultation publique expriment un avis défavorable – l’exécutif européen ne semble pas disposé à abandonner le dispositif. L’enquête doit servir « à alimenter le débat, pas à définir une solution», se justifie-t-on dans l’entourage de Cecilia Malmström, la commissaire au Commerce.
En proposant, par ailleurs, d’explorer quatre pistes pour améliorer le mécanisme ISDS, la Commission prouve bien qu’elle n’entend pas l’exclure des pourparlers avec Washington, au grand dam des associations de la société civile qui ont massivement participé à la consultation qui a récolté, au total, environ 150000 réponses. Celles-ci dénoncent une fois encore le « mépris total de la Commission », pour les résultats ainsi que sont traitement « VIP réservé aux investisseurs », a déploré l’ONG Friends of the Earth.
Mais plutôt que de revoir le fond, c’est bien la forme qui pourrait être sujette à des modifications, soutient-on au sein de l’exécutif européen. Même son de cloche du côté de la Présidence lettone de l’UE. « Les régimes de médiation sont importants. On espère discuter très tôt, pendant notre Présidence, sur la forme du dispositif ISDS, en prenant en compte les préoccupations exprimées lors de la consultation publique », a indiqué Zanda Kalnina-Lukasevica, la secrétaire d’Etat aux affaires européennes, lors d’un débat consacré au TTIP au sein de la Commission INTA (Commerce International) du Parlement européen, mercredi 21 janvier à Bruxelles.
Un axe Paris-Berlin sur le dossier
Et ce travail de revue, promis par le Conseil et la Commission, devrait être facilité par l’engagement de Paris et Berlin sur le dossier. Très sceptiques quant à l’inclusion d’un mécanisme ISDS sous sa forme actuelle, la France et l’Allemagne travaillent déjà à l’élaboration de propositions communes pour améliorer le dispositif. « La France n’acceptera jamais que des juridictions privées saisies par des firmes multinationales puissent remettre en cause les choix démocratiques de peuples souverains », a commenté Matthias Fekl, le secrétaire d’État français au Commerce extérieur, à la promotion du tourisme et aux Français de l’étranger. « Tant que le mécanisme de règlement des différends fait partie du TTIP, je reste très sceptique […] Je pense qu’il n’est tout simplement pas nécessaire» a de son côté affirmé Barbara Hendricks, la ministre allemande de l’Environnement.
Parmi les options envisagées par Berlin et Paris figurent notamment l’implication pleine et entière des juridictions publiques nationales dans les procédures d’arbitrage, l’encadrement des recours abusifs à l’arbitrage et l’instauration d’un mécanisme d’appel des sentences des tribunaux d’arbitrage au sein d’un organisme international indépendant à créer.
Mais les revendications des deux pays ne se limitent pas au seul TTIP. L’accord de libre-échange signé avec le Canada (CETA, Canada-EU Trade Agreement) contient aussi une clause sur l’instauration d’un mécanisme ISDS de plus en plus contestée. « Les quatre axes retenus par la Commission dans son rapport de consultation devraient inciter à apporter des modifications au CETA », soutiennent, dans un communiqué commun, Matthias Fekl, Sigmar Gabriel – ministre allemand de l’Economie et de l’énergie – et son secrétaire d’Etat Matthias Machnig, à l’issue d’une réunion organisée à Berlin le 21 janvier dernier.
Des demandes susceptibles de trouver un écho favorable au Parlement européen qui menace toujours de ne pas ratifier, en l’état, l’accord scellé avec le Canada. Même chose pour la Confédération européenne des syndicats (CES), farouchement opposé à cette clause. « L’un des dangers du CETA vient du dispositif ISDS et du fait que 80% des entreprises américaines présentes en Europe le sont aussi au Canada et qu’elles pourraient donc entamer des actions, sous couvert du mécanisme ISDS, à partir du Canada, et ce, même si le TTIP n’inclut pas un dispositif ISDS », a averti Bernadette Ségol, présidente de la CES.
Si la fronde contre l’ISDS est aujourd’hui menée par la France et l’Allemagne, d’autres Etats membres partageraient en partie leur position à l’instar du Danemark, du Luxembourg, des Pays-Bas ou de la Suède. Et tant que la question ne sera pas réglée, elle restera exclue des prochains rounds de négociation, le prochain étant programmé début février à Bruxelles.
Kattalin Landabuiru, à Bruxelles
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