Plus d´un an après les inondations de 2009, les sociétés textiles du Pakistan – dont les plus dynamiques étaient présentes cette année au salon Texworld – ont repris leurs exportations. Leurs ventes en Europe ont même gagné 122 millions d´euros sur dix mois.
« Au Pakistan, le textile est si important que les relations entre la profession et le ministère de l´Industrie textile sont très étroites », explique Ishtiaq Baig, le vice-président de l´Association pakistanaise des producteurs et exportateurs de denim (PDMEA). Le dirigeant, rencontré le 8 février à Paris sur le salon mondial de l´industrie textile Texworld (7-10 février), sait de quoi il parle. Il est aussi vice-président de la société de tissage Pak Denim, à Karachi. Son frère, Mirza Ikhtiar Baig, qui préside le holding familial Baig, est également conseiller du ministre de l´Industrie textile.
Joint au téléphone, Mirza Ikhtiar Baig a indiqué au Moci que, sur un total d´exportations pakistanaises de 22 milliards de dollars attendu en 2010, la moitié proviendra du textile, en dépit des terribles inondations ayant frappé le Pakistan en juillet et août 2009. Une catastrophe qui aura coûté quelque 43 milliards de dollars à l´économie nationale, d´après des sources officielles. « 20 % des récoltes ont été détruites, dont celles de coton », affirme Ishtiaq Baig. L´agriculture et l´élevage auraient perdu pour un montant de 2,9 milliards de dollars, dont 1,8 milliard pour le seul coton.
Pour compenser les pertes occasionnées par les inondations, la Commission européenne avait choisi d´accorder des concessions au Pakistan sur 75 lignes tarifaires, dont 65 concernant le textile, pour une durée de trois ans, à compter du 1er janvier 2011. « Toutefois, sa proposition de règlement n´a pas pu être adoptée parce que les organisations européennes de textile et des pays producteurs comme le Maroc et l´Inde s´y sont opposées », relate Jean-François Limantour, fondateur du cabinet Texas Consultant et président du Cercle euro-méditerranéen des dirigeants textile-habillement (Cedith).
L´Inde s´est adressée à l´Organisation mondiale du commerce (OMC). « Et l´organe de l´OMC habilité à trancher de pareilles affaires, le Conseil du commerce des marchandises, a déclaré que ces concessions ne pouvaient être accordées en raison du préjudice qu´elles pourraient causer aux concurrents du Pakistan », souligne Francis Widmer, conseiller commercial au Service économique de Karachi. Le 31 janvier dernier, lors d´une réunion du Conseil du commerce des marchandises, l´Union européenne a indiqué son intention de poursuivre les consultations avec les États membres les plus rétifs à accorder des préférences au Pakistan. Elle remettra un rapport aux participants à la réunion de l´organe spécialisé de l´OMC, le 21 mars. Les principaux articles devant profiter des concessions sont les vêtements féminins et les articles de maille. Mirza Ikhtiar Baig s´insurge quand on lui fait remarquer que les préférences commerciales pourraient ne jamais être accordées.
« Le Sri Lanka a été aidé après le tsunami, pourquoi pas nous ? », tonne-t-il. D´après les estimations, le bénéfice des concessions devait se traduire par une hausse des exportations annuelles du Pakistan dans l´UE de 100 millions d´euros par rapport à 2009.
« Or, les exportations pakistanaises ont retrouvé une bonne cadence », observe Jean-François Limantour, sur la base des informations publiées par Eurostat pendant les dix premiers mois de 2010. Sixième pays exportateur de textile dans l´UE, avec une part de marché équivalente à celle de la Tunisie, en cinquième position (3,1 %), le Pakistan a affiché une hausse de ses livraisons de 11,8 % à 2,12 milliards d´euros. Soit un gain de 123 millions d´euros par rapport à la même période de 2009.
François Pargny
« Le denim pakistanais est le meilleur qui soit »
« Le denim pakistanais est le meilleur qui soit », assure un importateur rencontré à Texworld, qui produit aussi au Maroc pour des raisons de coût et réexporte en France. « C´est la meilleure qualité et les Pakistanais sont bien placés pour le prix », précise-t-il. Malgré la mauvaise image de marque du Pakistan et les attentats terroristes, il n´hésite pas à se rendre régulièrement dans le pays. La situation sécuritaire ne l´inquiète pas et les affaires y sont bonnes.
F. P.
Entretien avec Ishtiaq Baig, vice-président de l´Association pakistanaise des producteurs et exportateurs de denim (PDMEA).
Le Moci. Le Pakistan est surtout reconnu pour sa production de linge de maison. Dans l´habillement, il souffre du manque d´investissement et d´expertise. N´est-ce pas un handicap pour un pays aux ambitions mondiales ?
Ishtiaq Baig. C´est vrai que le Pakistan est très fort dans le linge de maison. Il est certain aussi que si le Pakistan pouvait offrir un « bouquet » de savoir-faire, ce serait mieux. Mais notez bien que certaines entreprises pakistanaises travaillent déjà avec des experts européens. Et nous aimerions développer encore plus les coopérations. Nous avons besoin de joint-ventures avec des Français qui collaborent techniquement et investissent.
Le Moci. Pak Denim, société dont vous êtes vice-président, expose, ici à Texworld, toute une gamme de jeans. Comment se porte le secteur du denim au Pakistan ?
Ishtiaq Baig. Dans les années 2000, les exportations de tissu denim ont commencé à bien se développer, ce qui explique la fondation en 2006 de notre association de producteurs et exportateurs PDMEA. Pak Denim est un des principaux vecteurs de cette évolution et de l´ouverture vers l´international. L´an dernier, nos ventes extérieures ont franchi la barre des 16 millions de dollars, ce qui représentait 60 % de notre chiffre d´affaires global. L´importance relative du marché local, soit 40 %, s´explique par le fait que le Pakistan dispose d´une industrie domestique de la confection importante. La Turquie, le Bangladesh, le Sri Lanka ou encore le Maroc achètent le denim pakistanais. Il y a cinq ans, Pak Denim a ouvert un bureau à Casablanca. Nous livrons ainsi du tissu en admission temporaire au Maroc pour des réexportations de produits finis vers la France. Il y a deux ans, la société a aussi ouvert un bureau à Istanbul. Elle expédie des tissus et des vêtements en Turquie, qui font l´objet de réexportations, notamment vers la Russie.
Le Moci. Que représente pour Pak Denim et l´industrie textile pakistanaise un salon comme Texworld ?
Ishtiaq Baig. Texworld est un des grands salons européens. À Paris, une capitale qui se trouve au centre de la zone euro, sont rassemblés tous les ans des acheteurs du monde entier. Pour nous, y participer est essentiel, car les entreprises françaises ne se déplacent pas au Pakistan. Au demeurant, les terribles inondations que nous avons subies en juillet dernier n´ont pas refroidi la détermination des sociétés de mon pays. Bien au contraire. Jugez par vous-même ! L´an dernier, la délégation pakistanaise comptait 26 entreprises. En 2011, elles sont 32 à exposer, dont 13 sur la section collective soutenue par l´Etat. Participer aux grands salons comme Texworld est pour les Pakistanais une question de survie. Mais on pourrait certainement doubler la participation à Texworld, si la France ne pratiquait pas une politique aussi restrictive des visas. Leur obtention, à la différence d´autres pays européens, est anormalement longue. Et ses autorités ne font pas d´efforts pour mieux traiter les sociétés dont on connaît à l´avance le sérieux.
Le Moci. Vous parlez beaucoup de la France et de l´Europe, mais votre principal marché est américain…
Ishtiaq Baig. Oui, évidemment, en volume, les Etats-Unis sont plus importants. Nous exposons, d´ailleurs, à Texworld à New York. Mais si les grosses commandes viennent de ce pays, pour la qualité et le prix, c´est l´Europe. Sur ce continent, les professionnels sont conscients de la qualité des produits et du travail effectué.
Le Moci. Quelles ont été les répercussions économiques et sociales des inondations de l´an dernier ?
Ishtiaq Baig. Deux millions de personnes se sont retrouvées sans emploi. Les exportations ont été frappées de plein fouet, ce qui explique la demande du gouvernement pour des préférences spéciales à l´entrée sur le marché européen. Les terres arables ont été submergées et 20 % de la récolte agricole, cotonnière en particulier, ont été perdus, ce qui nous a obligés à rechercher des voies d´approvisionnement à l´étranger. Nous avons dû acheter du coton au prix fort en Inde. Si ce pays a bénéficié d´une bonne récolte l´an passé, ce n´était pas le cas de la Chine qui était confrontée à une pénurie de matière première, ce qui explique que les prix internationaux ont bondi.
Le Moci. Les exportations pakistanaises de textile devraient donc plonger. Et, pourtant, vers la France, elles ont augmenté de 16,9 % à 445 millions d´euros en 2010.
Ishtiaq Baig. En fait, les exportations du Pakistan ne vont baisser qu´en volume. Comme les prix ont grimpé, nous nous attendons à une hausse en valeur, comme à destination de la France.
Propos recueillis par F. P.