Le statut d’opérateur économique agréé (OEA), consacré par le Code des douanes de l’Union (CDU) de 2016, est un véritable sésame douanier européen pour l’import-export. Mais les entreprises estiment que le retour sur investissement est maigre au regard des contraintes qui leur sont imposées pour l’obtenir. Le Medef, l’Association de chargeurs AUTF et le ICC France, comité français de l’ICC (International Chamber of Commerce) viennent de remettre à la Direction générale des douanes (DGDDI) leurs recommandations pour améliorer l’attractivité de ce statut. Et il y a du pain sur la planche !
Ce rapport, intitulé « Recommandations pour renforcer l’attractivité du statut d’opérateur économique agréé (OEA) » (voir la pièce jointe à la fin de cet article), est le fruit d’une réflexion lancée à partir de 2017 par les trois organisations, à l’occasion du dixième anniversaire de cet agrément entré pour la première fois en vigueur en 2008. « Nous avons voulu faire un bilan et essayer d’avoir un retour des opérateurs » résume Marianne Estève, Présidente du comité Douane du Medef.
Une enquête a été lancée par les trois organisations auprès de leurs adhérents. Le verdict a été sans appel : la note obtenue par l’OEA quant au rapport contraintes / avantages est très moyenne, 5/10. Pire : alors que ce statut est censé réduire les contrôles, plus de la moitié des répondants n’ont rien constaté de tel et le score moyen sur cet aspect est d’à peine 4/10.
Un décalage entre les facilitations et les exigences
Le constat est donc unanime : « Il y a un décalage évident entre les facilitations octroyées et les exigences imposées » souligne Marianne Estève. « Ça coûte aux entreprises, mais le payback est décevant » renchérit Hubert Paquentin, Président de la commission Douane de l’AUTF. « Il y a eu des avancées dans certains domaines, mais il reste des marges de progression » confirme Karen Poujade, vice-Présidente de la commission Douane et facilitation du commerce d’ICC France.
Un exemple : les entreprises OEA sollicitant un Renseignement tarifaire contraignant (RTC) ou d’un Renseignement contraignant sur l’origine (RTO) auprès de la Douane ont l’impression de subir les mêmes délais que les autres, jugés trop longs, « jusqu’à 120 jours parfois » souligne Hubert Paquentin. Pour ce dernier, les OEA devraient bénéficier de délais réduits.
Autre exemple, le nombres d’actes administratifs à accomplir pour faire entrer une marchandise reste trop élevé : « j’ai compté jusqu’à dix actes avant de pouvoir faire entrer une même marchandise sur le territoire, précise Hubert Paquentin. Pour les OEA, il faudrait alléger l’ensemble des actes que l’on doit déposer dans toute la chaîne pour une même marchandise » résume-t-il.
Cette bureaucratie pesante est renforcée par l’absence de synergies entre différents agréments – agent habilité, chargeur connu, « ICPE » (Installations classées pour la protection de l’environnement) – qui oblige les entreprises, y compris OEA, à remplir des formulaires en partie avec les mêmes informations. Sans compter les complications qui peuvent survenir au sein d’un même groupe possédant plusieurs filiales disséminées sur le territoire, par manque d’harmonisation des approches au sein de l’administration, selon les territoires.
25 recommandations, quatre axes thématiques
Le rapport de ces trois organisations ne contient pas moins de 25 recommandations réparties entre quatre grands axes thématiques :
-Axe 1, renforcer les simplifications et les facilitations liées au statut OEA
-Axe 2, simplifier la gestion des dettes et des garanties douanières,
-Axe 3, renforcer les synergies possibles dans le cadre des audits OEA avec d’autres référentiels applicables aux entreprises,
-Axe 4, coopérer davantage avec les autorités douanières étrangères en dehors de l’UE.
Le premier axe, qui recouvre justement l’ensemble des simplifications qu’attendent les entreprises, comporte à lui seul pas moins de 14 recommandations, plus de la moitié de la liste. La question des synergies avec d’autres agréments est couverte par l’axe 3.
Un mot du dernier axe, qui traite notamment des bénéfices du statut OEA hors de l’Union européenne : à ce jour des accords de reconnaissance mutuelle (ARM) ont été signé avec plusieurs grands pays dont les États-Unis, le Japon, la Chine et la Suisse, avec de vrais bénéfices pour les OEA en termes de fluidité des opérations douanières. Mais les entreprises souhaiteraient voir amplifiée cette stratégie.
Des sujets relèvent de l’administration française, d’autres de l’administration européenne à Bruxelles, la Taxud, la Direction de la fiscalité et de l’Union douanière de la Commission européenne. Mais les auteurs considèrent que la France doit aussi davantage porter ces sujets à Bruxelles.
Une question d’attractivité et de compétitivité
Les enjeux ne sont pas négligeables, en termes de compétitivité, alors que le Brexit approche et que la crise sanitaire a affaibli le commerce extérieur.
Sans entrer dans les détails techniques, l’OEA, ou AEO dans son sigle anglais (Authorized Economic Operator), le plus courant à l’international, a été créé par l’Union européenne après les attentats aux États-Unis de septembre 2001, pour répondre à un besoin accru de sécurisation du commerce international. Il s’obtient auprès de l’Administration douanière nationale à la suite d’un audit approfondi sur les finances, la conformité administrative et l’organisation de l’entreprise candidate.
Il en existe plusieurs types : AEO C (simplification), l’AEO S (Sûreté/Sécurité), l’AEO F (Complet, couvrant tous les sujets). Nous renvoyons à notre dossier spécial de 2019 sur les « Sésames douaniers » pour plus de détails.
Les entreprises qui ont obtenu cet agrément – 1792 en France au 16 décembre- ont souvent dû investir pour mettre personnels, locaux et process internes en conformité avec les exigences de la douane. En échange, elles se sont vu promettre des facilités douanières, et une certaine reconnaissance, cet agrément étant devenu un label de qualité international. Pourtant, il peine à séduire : moins de 2000 entreprises en France l’ont obtenu, alors que la France compte plus de 120 000 entités qui exportent et importent. L’Allemagne en compte 6523, plus du triple. (Pays-Bas 1602, Italie 1503, Espagne 817).
Il y a une certaine urgence au niveau européen. Le CDU de 2016 a en effet fait de cet agrément OEA la pierre angulaire du futur système douanier européen, basé sur le concept de « guichet unique », où le dédouanement d’une marchandise importée d’un pays tiers pourra se faire dans n’importe quel pays membres de l’Union européenne une bonne fois pour toute, même si elle doit être acheminée dans un autre pays membre. Dans le jargon douanier, il s’agit du dédouanement centralisé communautaire (DCC), le rêve de nombre d’entreprises multinationales européennes.
Initialement prévu pour 2020, la mise en place de ce DCN a toutefois été reportée à 2026 car les États-membres ne sont pas prêts. En France, l’OEA permet d’obtenir une dédouanement centralisé national (DCN), première étape d’un DCC, mais son application n’est pas homogène sur tout le territoire national…
Du coup, les responsables des douanes en entreprises peinent à convaincre leurs directions d’adhérer à ce statut et à la démarche lourde qu’il implique. « Les avantages sont difficiles à percevoir, et il n’est pas toujours aisé de convaincre en interne lorsque des investissements sont nécessaires, par exemple pour mettre des locaux en conformité avec les normes de sûreté ou de sécurité », souligne Marianne Estève. Les grandes entreprises internationales l’ont adopté. Mais que dire des ETI et PME ? « On a construit un porte-avion pour surveiller un atoll » ironise son homologue de l’AUTF.
Avec ce rapport, en gestation depuis deux ans, les trois organisations ont donc voulu proposer des « pistes d’amélioration » et « remettre l’entreprise au cœur du dispositif ». Le document a été remis le 17 novembre au sous-directeur du Commerce international à la DGDDI, Guillaume Vanderheyen. L’accueil aurait été « très favorable ». Une réponse écrite est à présent attendue.
A suivre…
Christine Gilguy