Oman, discret sultanat du Golfe, serait prêt à donner au secteur privé local et aux investisseurs étrangers un rôle central dans l’économie. Tel est le message délivré aux 2 500 représentants de l’économie et de la société civile, assistant à Mascate, les 27 et 28 janvier, à la conférence internationale sur le nouveau plan stratégique Vision 2040, auquel le Moci a pu assister. Si tel était le cas, ce serait un tournant majeur dans un pays où l’État est omniprésent dans l’économie, le secteur privé lui-même dépendant des commandes publiques.
Le gouvernement du sultan Qabous Al Saïd n’en est pas à son premier plan stratégique. Il a même été le premier dans le Golfe à se doter d’un tel instrument, avec la Vision 2020, en 2015. Mais aujourd’hui, à l’heure des grandes transitions (énergétique, numérique, environnementale…), Oman a un besoin urgent de sortir de sa dépendance au pétrole et au gaz.
La nécessité est d’autant plus grande que le pays n’est pas aussi riche en hydrocarbures que ses grands voisins l’Arabie Saoudite ou les Émirats arabes unis. En outre, la précédente stratégie Vision 2020, avec ses priorités sectorielles (industrie, tourisme, pêche-aquaculture, mines, logistique), et le Programme national de renforcement de la diversification économique (Tanfeedh) lancé à sa suite, ne semblent pas devoir donner les résultats escomptés. En particulier, la Vision 2020 prévoyait que les recettes non-pétrolières contribueraient à terme à 60 % du budget national. En 2018, cette part n’était que de 17,5 %.
Préparer à un changement complet de mentalité
C’est pourquoi le gouvernement engage une nouvelle méthode. Fort de l’expérience et de l’échec relatif de Vision 2020 et Tanfeedh, il mise aujourd’hui sur la participation de toutes les catégories sociales à un plan d’ouverture économique. Il n’y est plus question de priorités sectorielles, mais de lignes directrices sur le long terme, 2040 : éducation, santé, environnement, diversification économique, gouvernance.
Pour développer cette Vision sur plusieurs décades, les autorités entendent mobiliser l’ensemble des 4,6 millions d’Omanais. Des consultations et débats publics réunissent la société civile, notamment les femmes et les jeunes. Composée à 55 % d’Omanais et à 45 % de non-Omanais, la population est ainsi invitée à un changement complet de mentalité. Modifier les comportements n’est pas simple. D’autant que cette révolution des esprits doit traverser l’État lui-même, tout puissant, et son Administration.
Libérer le secteur privé
L’omniprésence publique est remise en cause. Ainsi, sur le plan économique, les responsables politiques ne parlent plus seulement de diversification, mais aussi de secteur privé. « Nous devons avoir un secteur privé leader dans la transformation de notre économie », déclarait ainsi à l’ouverture de la conférence Talal bin Suleiman Al Rahbi, secrétaire général adjoint du Conseil suprême de Planification et président du Comité technique de la Vision 2040.
Oman ne pourra pas se transformer et sortir de sa dépendance aux hydrocarbures sans des réformes qui permettent au secteur privé de « devenir indépendant de l’État », renchérissait Abdullah bin Salem Al Salim, le président exécutif de l’Autorité des marchés financiers (CMA), également chef du Comité économie et développement de la Vision 2040, un groupe d’experts dépendant du Comité technique.
« Il nous faut aussi attirer des investissements étrangers pour disposer de nouvelles technologies et de nouveaux talents. Il nous faut donc ouvrir notre marché pour accroître la productivité et augmenter l’investissement », affirmait encore un expert du Comité économie et développement, Yousef bin Hamed Al Balushi. En matière d’investissements directs étrangers (IDE), l’objectif de la Vision 2040 est que la part des flux d’IDE passe « de 2,5 % en 2016 à 10 % du PIB », précisait Abdullah bin Salem Al Salim.
Des mesures favorables aux investissements
Comme pour les IDE, la Vision 2040 fixe dans une multitude de domaines des indicateurs de performances. Le plus important est la hausse du produit intérieur brut (PIB), qui devra passer de 2,6 % entre 2000 et 2017 à 6 % entre 2020 et 2040. L’objectif est ambitieux, si l’on considère que la croissance économique devrait s’établir à 2,3 % cette année. La part des recettes non-pétrolières a aussi été fixée à 81 % du budget national.
Tout aussi ambitieuse est la volonté de figurer en fin de plan dans le Top 20 mondial des nations en matière de compétitivité et d’innovation et dans le Top 10 en ce qui concerne l’environnement des affaires. Ces objectifs, en tout cas, seraient inatteignables à ce stade sans l’apport de technologiques internationales, ce dont sont conscientes les autorités omanaises.
Disposé à supprimer le système de sponsorship
De ce fait, l’ouverture aux IDE représente un enjeu de taille. Si l’on en croit des responsables économiques omanais présents à la conférence, Mascate est déjà engagé dans un processus de réformes. Ainsi, quand Le Moci a demandé si Oman était disposé à supprimer le système de sponsorship imposé aux investisseurs étrangers, la réponse a été affirmative. Abdullah bin Salem Al Salim a ainsi répondu que la loi concernée devrait être fortement amendée dès cette année, voire supprimée.
Ses propos ont été confirmés plus tard par Abdulaziz Saïd Al-Risi, un membre du groupe de travail sur les partenariats privés Sharaka, fondé en 1993 pour favoriser l’émergence du secteur privé, réduire les obstacles et créer des ponts avec l’Administration. L’expert de cette task force paritaire privé-public a assuré que le sponsorship serait totalement supprimé. Dans la foulée, la suppression du certificat de non-objection (CNO), qui est obligatoire pour les expatriés du privé et public désirant changer de poste, serait « en cours ».
Abdulaziz Saïd Al-Risi a aussi détaillé au Moci toute une série de mesures prises ou en cours en faveur des investisseurs étrangers et du secteur privé local. Des propos qu’il a tenus en présence de Julio Saavedra, un ancien directeur de l’Institut de recherche économique Ifo à Munich, aujourd’hui membre d’un think tank dépendant du cabinet du sultan.
Par exemple, un centre d’investissement a déjà été créé au sein du ministère du Commerce extérieur pour aider les investisseurs, « de l’obtention d’un terrain à la mise en route des activités, en passant par la recherche d’une école pour les enfants ».
Par ailleurs, si le partenariat public-privé (PPP) est déjà pratiqué pour certains chantiers d’infrastructures (eau, électricité…), il est, selon lui, question « d’aller plus loin » avec non seulement une loi générale sur les PPP, mais aussi, comme l’avait indiqué, lors de la conférence, Julio Saavedra, l’installation d’une autorité de gestion.
Au passage, les Omanais encore font valoir un de leurs atouts : la stabilité politique du sultanat. Ce pays maintient de tout temps sa neutralité, laquelle dernièrement n’a pas été contestée par Riyad, lorsque l’Arabie Saoudite a décidé d’imposer un embargo sur le Qatar.
Comment faire émerger le secteur privé local
Pour répondre aux besoins des entreprises locales et étrangères, Mascate promet aussi d’engager un programme de privatisations.
Les entreprises publiques auraient ainsi été classées selon trois catégories : celles avec des profits, qui doivent être privatisées ; les sociétés qui peuvent être restructurées et faire l’objet notamment d’une introduction en bourse ; enfin, les entreprises constituant un fardeau pour le budget de l’État, qui doivent subir une restructuration financière lourde ou disparaître.
« La grande majorité des jeunes – environ 30 000 à 50 000 entrant sur le marché du travail chaque année – doivent être principalement employés dans le secteur privé », estimait Julio Saavedra. Il est vrai que le taux de chômage des jeunes est particulièrement élevé (50 %, d’après la Banque mondiale). Un autre handicap est que nombre d’Omanais optent pour l’Administration pour une raison évidente : la durée de travail est réduite à six heures, s’étalant ainsi entre 8 et 14 heures en général.
Les initiatives en matière de formation
Dans l’évolution vers une économie libérale, la formation à tous les niveaux de l’entreprise et de l’État est devenue un enjeu majeur. Plusieurs initiatives ont été prises, avec, en 2016, la création du Fonds national de formation (NTF), visant à renforcer les capacités humaines en fonction des besoins sur le marché du travail.
Un programme de formation de CEO a aussi été lancé. Réalisé sur place et à l’étranger, il aurait permis déjà de former 23 CEO et 45 responsables auraient connu un tournant dans leur carrière.
Un programme similaire à celui des CEO a été adopté pour l’Administration, le National Program fort Leadership and Competitivness (NLCP). « L’idée est aujourd’hui de lancer un nouveau programme de formation commun aux fonctionnaires et aux entrepreneurs, un initiative collaborative que nous espérons mettre en place en mars », confiait Abdulaziz Saïd Al-Risi. L’importance d’un dialogue paritaire étant apparu comme essentiel, un Forum omanais des affaires est créé pour réunir les fonctionnaires et les responsables des entreprises formés. Une plateforme à laquelle est associé la task force Sharaka.
L’après conférence
Parmi les autres réformes en cours, une chambre d’arbitrage au sein de la Chambre de commerce omanaise devrait voir le jour cette année et un bureau de crédit doit être lancé avec le spécialiste international Creditinfo. Ce bureau devrait être un guichet unique national pour les informations en matière de finance et de crédit dans le sultanat, alors qu’aujourd’hui ce sont surtout les groupes publics et les grandes entreprises privées, référencées sur une liste, qui accèdent aux informations.
La conférence internationale qui s’est tenue à Mascate n’était qu’une étape dans l’adoption de la Vision 2040. Comme le rappelait Talal bin Suleiman Al Rahbi, « ce n’est pas un document gouvernemental », mais « c’est une production nationale ». Une fois finalisé, le document doit faire l’objet d’une décision de la part du gouvernement. Un plan quinquennal 2021-2025 sera alors dressé.
De notre envoyé spécial à Mascate
François Pargny