Est-ce que Paris, pourtant très actif dans le Golfe, peut continuer à ignorer l’escale de Mascate ? Le dernier ministre de la République à s’être rendu sur place était Jean-Yves Le Drian. C’était en septembre 2016. Celui-ci, sous la présidence de François Hollande, avait en charge la Défense.
Riche en gaz et en pétrole, Oman envisage pourtant un tournant majeur dans son économie. Cherchant à se diversifier, le sultanat se modernise comme le montre dans la capitale son aéroport international flambant neuf et son centre d’expositions et de conférences, où s’est tenue, les 27 et 28 janvier, la conférence internationale sur son nouveau plan stratégique Vision 2040.
78e pays client de la France
Pour la France, le constat est sans appel : Oman n’est que son 78e pays client. C’est dire le chemin qu’il lui faudrait faire pour peser un tant soit peu. Au cours des onze premiers mois de 2018, le sultanat, d’après les Douanes françaises, aura absorbé pour 330 millions d’euros de produits de l’Hexagone, principalement des combustibles, de la mécanique, du matériel aéronautique ou encore de la pharmacie.
C’est peu, mais, fort heureusement, les chiffres d’exportation ne disent pas tout de la réalité, nous avons pu le vérifier lors d’un récent reportage dans cette émirat. Les entreprises françaises dans les infrastructures sont présentes (Engie, Suez, Veolia). Tout secteur confondu, elles sont une quarantaine au total à Oman (Carrefour MAF, Newrest, Sodexo, Axa, Apave…).
Deux priorités : tourisme, pêche-aquaculture
Rien n’est perdu. Ne serait-ce que parce que le potentiel économique du sultanat est sous-exploité. En matière touristique par exemple. D’après nombre d’opérateurs dans la région, ce pays serait le plus beau de la région. Mais si les routes y sont remarquables, si l’aéroport international, ouvert en mars 2018, possède une belle marge de manœuvre (18 millions de touristes ont été accueillis l’an dernier, alors que sa capacité est de 24 millions), si encore Oman Air est une compagnie performante, le sultanat manque de restaurants de qualité dans la capitale ou encore de structures touristiques dans tout le pays.
Un seul chiffre suffit pour montrer l’écart entre le potentiel et la réalité : le tourisme contribue à moins de 2 % du produit intérieur brut (PIB), un chiffre à peine supérieur à celui de la pêche et l’aquaculture (1,4 % du PIB). La diversification économique dans ces deux domaines n’a jusqu’à présent pas fonctionné. Une bonne raison de s’y intéresser, au moment où l’État veut donner une plus grande indépendance au secteur privé, gage de réussite.
L’essor de la zone portuaire de Duqm
Autre secteur de force du sultanat, la logistique, notamment portuaire, qui s’accompagne de nombreux équipements. En outre, cette filière favorise l’essor de bien des industries et services. A cet égard, le pôle géographique en développement à Oman se situe à Duqm, le long de la Mer d’Arabie, à 500 kilomètres au sud de Mascate.
La Chine, de loin le premier client du sultanat dont elle capte 80 % des ventes de pétrole, a annoncé un investissement global de 10,7 milliards de dollars dans la zone portuaire. « Le géant asiatique, considérant Oman comme une étape sur la Route de la soie, a aussi obtenu la réalisation d’une cité industrielle adossée au port », expliquait, en marge de la conférence à Mascate, Gilles Bordes, le chef des Services économiques à l’ambassade de France à Oman.
Plusieurs sociétés françaises sont également intéressées par ce nouveau pôle de développement. Fives, Suez, EDF Renewables et CMA CGM ont prévu d’investir ensemble dans la zone économique spéciale de Duqm. Un projet de cimenterie serait à l’étude.
Parmi les nombreuses initiatives annoncées, figure la troisième raffinerie du pays, d’un coût de 7 milliards de dollars, financée à 65 % par un consortium de 29 institutions de 13 pays différents, et à 35 % par les deux actionnaires, Oman Oil Company et Kuwait Petroleum International. « La troisième raffinerie, qui devrait produire 230 000 barils par jour dès 2021, est un projet phare pour Duqm qui veut devenir une plateforme logistique régionale tournée vers l’export de produits pétrochimiques et de minerais », précisait Gilles Bordes.
Cogéré par le port d’Anvers, Duqm a également développé la maintenance de bateaux. Il envisage de se doter d’une ligne de chemin de fer pour l’évacuation des minerais du pays. Pour le projet de liaison, le holding d’État Asyad recherche un partenaire désirant développer un partenariat public-privé (PPP). Duqm serait aussi un lieu de transformation du minerai.
Sohar, poumon industriel du sultanat
Malgré la montée en puissance du port de Duqm, le poumon industriel du sultanat demeure Sohar, au nord de Mascate. « Situé à deux heures de route, c’est un port de transit. Y passent également 80 % des marchandises », indiquait Gilles Bordes.
Port en eau profonde avec une zone franche adjacente, Sohar Port and Freezone est cogéré par Sohar Industrial Port Company (SIPC) et le port de Rotterdam. CMA CGM, en particulier, y est très actif, car il est situé sur les lignes commerciales entre l’Europe et l’Asie.
D’après un article du Times of Oman, en date du 27 janvier, Sohar Port and Freezone a manutentionné 1,2 million de tonnes de cargo en moyenne chaque semaine en 2018. Et en un an, le vrac a augmenté de 14 % et le nombre de navires de 12 %.
Pour SIPC, l’année en cours a commencé sur les chapeaux de roue, avec la conclusion de deux partenariats.
1 Le premier avec Mannesmann. L’installation d’usines de coke sur 30 hectares (ha) dans la zone reconstruite du port bénéficiera ainsi aux industries de l’acier et de l’aluminium de la zone franche.
2 Le second avec Oman Maritime Water Treatment, une filiale entre Khimji Ramdas (Oman), Ramky Enviro Engineers (Inde) et Nature Group (Pays-Bas). Une installation pour la collecte et l’élimination des déchets des navires conforme au protocole international sur la pollution marine (Maripol) va être construite dans le port.
« Le port ne cesse de s’agrandir », indiquait Gilles Bordes. Notamment au sud. Le terminal minier, mais aussi le raffinage et la pétrochimie dans la zone franche sont développés. Sohar Port & Freezone veut encore y implanter une centrale photovoltaïque d’une capacité de 1 GW pour répondre aux besoins futures des industries en énergie.
La politique d’omanisation : trouver l’équilibre
Les développements opérés à Oman ne doivent pas masquer les difficultés. Les chiffres du chômage sont mauvais. D’après la Banque mondiale, le taux moyen s’élève à 17 %, et, chez les jeunes, il dépasse 50 %. L’entrée de 30 000 à 50 000 d’entre eux tous les ans sur le marché du travail inquiète les autorités, qui ont choisi de mettre en place une politique d’omanisation qui fait grincer des dents du côté des entreprises étrangères.
Les responsables économiques omanais que Le Moci a rencontrés à Mascate assument totalement ce choix. « Nous sommes dans un marché libéral, mais, en même temps, nous devons penser à nos jeunes. S’il nous faut un personnel hautement qualifié qui n’est pas disponible ici, alors, c’est clair, il nous faut des expatriés. Sinon, les entreprises doivent privilégier les Omanais », soutenait ainsi Abdullah bin Salem Al Salim, le président exécutif de l’Autorité des marchés financiers (CMA) et chef du Comité économie et développement de la Vision 2040.
Aujourd’hui, si le principe est clairement affiché, ainsi que les objectifs – dans la Vision 2040 le taux d’omanisation doit passer de 12 % des emplois en 2018 à 42 % – la pratique l’est moins. « Fixer des quotas, c’est possible, mais trouver un juste équilibre entre productivité et omanisation est plus important », plaidait Abdullah bin Salem Al Salim.
Le dialogue et la formation
Pour Abdulaziz Saïd Al-Risi et l’Allemand Julio Saavedra, le maître mot doit être le « dialogue » entre la puissance publique et le secteur privé. Abdulaziz Saïd Al-Risi est un expert de la task force sur les partenariats privés Sharaka. Julio Saavedra est, pour sa part, conseiller principal dans un think tank dépendant du cabinet du sultan.
« Pour qu’une balance soit respectée entre les besoins de l’entreprise et de la nation, il faut évaluer projet par projet, entreprise par entreprise », jugeait ainsi Julio Saavedra, ancien directeur à l’Institut de recherche Ifo à Munich. « Dans les nouvelles zones industrielles, illustrait ainsi Abdulaziz Saïd Al-Risi, on peut très bien s’entendre sur un plan sur cinq ans, avec une exemption d’omanisation pendant deux ans et un recrutement omanais à partir de la troisième année pour parvenir un effectif local global négocié au départ ».
Par ailleurs, si, entre temps, les employeurs ont besoin de former du personnel local, ils peuvent recourir au Fonds national de formation (NTF). Dans le cas du groupement d’entreprises françaises Fives-EDF-Suez-CMA CGM, un programme de formation répondant aux attentes des autorités en matière d’omanisation et de contenu local a été négocié sous le titre de Knowledge Village. Un exemple à suivre…
De notre envoyé spécial à Mascate
François Pargny