La France recense 2 500 sociétés éditrices de logiciels, mais force est de constater que nombre d’entre elles n’osent pas se lancer à l’export et n’opèrent que sur le marché national. C’est ce que pointe la première étude publique sur le développement à l’export des éditeurs de logiciels français, publiée le 16 décembre par l’Association française des éditeurs de logiciels et solutions Internet (Afdel) et la Direction générale des entreprises (DGE), intitulée « Les éditeurs de logiciels à l’export : quelles stratégies pour se développer à l’international».
À la demande de la DGE, placée sous l’autorité du ministère de l’Économie, de l’industrie et du numérique, et de l’Afdel, le cabinet français d’audit KPMG et CXP Group, cabinet européen d’analyse et de conseil dans le domaine des logiciels, des services informatiques et de la transformation numérique, ont réalisé une étude de 187 pages sur le développement à l’export des éditeurs de logiciels français ayant vocation à aider les éditeurs à se développer à l’international grâce à des recommandations et des témoignages d’entrepreneurs français du logiciel ayant accepté de partager leur expérience sur l’internationalisation de leur activité. L’étude à été publiée le 16 décembre, à l’occasion d’une conférence organisée par l’Afdel avec le concours de la DGE sur le thème « Booster votre développement à l’international ».
La petite taille des acteurs français, une barrière à l’export
Que représente cette activité en France ? Ensemble réunis, les 2 500 éditeurs de logiciels français ont réalisé un chiffre d’affaires de 10,9 milliards d’euros à fin 2014 avec toutefois des disparités entre les acteurs. En effet, dans le Top 100 des acteurs français du logiciel élaboré par l’Afdel, le 10e éditeur tricolore atteint un chiffre d’affaires de 80 millions d’euros tandis que Dassault Systèmes, leader mondial dans les logiciels de conception en 3D, fait plus de 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires à lui seul, et que le restant, les petits éditeurs qui n’ont pas la taille critique, fait moins de 10 millions d’euros par société…
Sur le marché français du logiciel et des services Internet, des acteurs de la taille d’un Dassault Systèmes, d’un Criteo (reciblage publicitaire personnalisé sur Internet), d’un Murex (développement de logiciels informatiques de gestion du risque destinés aux marchés financiers) ou encore d’un Axway (fournisseur de solutions progicielles et de services dans les domaines de l’intégration d’applications d’entreprise) restent rares. Or, le point commun de ces géants français du logiciel, signale l’étude, est d’avoir su établir une forte présence à l’international, « qui est un indéniable vecteur de croissance ».
C’est d’ailleurs le premier enseignement de cette enquête menée auprès d’acteurs français de l’édition de logiciels ayant une activité à l’export. Premier constat, il existe « une corrélation forte entre la taille des entreprises et leur développement à l’international ». L’étude KPMG- CXP Group relève ainsi que les éditeurs français sont majoritairement de petite taille et considèrent leur taille comme un handicap majeur pour s’internationaliser.
De plus, il existe une corrélation directe entre la capacité à exporter et le chiffre d’affaires. En effet, 93 % des éditeurs tricolores réalisent un chiffre d’affaires inférieur à 5 millions d’euros. Ainsi, les éditeurs français dont le chiffre d’affaires est inférieur à 10 millions d’euros réalisent 19 % de leur chiffre d’affaires à l’international seulement. Cette part s’élève à 36 % pour les entreprises avec un chiffre d’affaires compris entre 10 et 50 millions d’euros, et 50 % au-delà de 100 millions d’euros.
Autre constat, la taille du marché national. Celui-ci, rappelle Jamal Labed, président de l’Afdel « est bien trop étriqué » pour permettre aux entreprises françaises « d’atteindre la taille critique ». L’international reste donc le seul moyen de croître au-delà de la barre des 10 à 15 millions d’euros.
Les pays européens limitrophes, débouchés privilégiées des éditeurs français
S’agissant des destinations d’exportation, les éditeurs ayant entrepris une démarche d’internationalisation se tournent le plus souvent vers les pays limitrophes : Allemagne, Royaume-Uni, Espagne, Belgique.
Le premier marché européen du logiciel est l’Allemagne, avec près de 18 milliards d’euros de dépenses logicielles en 2014 et un taux de croissance annuelle moyen prévu d’ici à 2019 de 3,7 %. Ce marché fait donc logiquement partie des priorités de nombreux éditeurs français ayant répondu à l’enquête. Le Royaume-Uni constitue également un marché intéressant du fait de sa taille (13,6 milliards d’euros). De plus, estime un investisseur interrogé, il sera moins compliqué pour une jeune pousse française d’y convaincre des grandes entreprises qu’en France, par exemple. En outre, une tête de pont outre-Manche pourra s’avérer un atout pour attaquer ensuite les autres marchés anglophones : États-Unis, Canada, Australie. Mais le Royaume-Uni est aussi la première destination à l’export de l’immense majorité des éditeurs américains : « la compétition, précise l’étude, y est donc féroce ».
Bien que les pays européens de proximité soient privilégiés par les éditeurs français, les États-Unis font figure, au grand export, de destination favorite avec 109 milliards d’euros de dépenses en logiciels en 2014, soit plus que toute la zone EMEA (Europe, Moyen-Orient, Afrique). Les États-Unis constituent à eux seuls près de 40 % du marché mondial des logiciels. Mais, nuance l’étude, «l’intensité concurrentielle y est maximale ». En effet, les entreprises locales bénéficient des meilleurs éléments à l’embauche. Et le coût à l’installation est important, comme le souligne Marie Landel, expert comptable chez Marie Landel & Associates : « Entre l’embauche d’un directeur commercial et les frais de fonctionnement, il faut compter au moins un demi-million de dollars pour la première année ».
Autre catégorie de pays ciblés, les pays francophones. Ces derniers représentent un intérêt certain dans la mesure où ils éliminent la barrière de la langue. Même si cela paraît évident, il s’avère que la nécessité d’adapter son organisation à des langues étrangères est un frein puissant à l’internationalisation. La Belgique, la Suisse francophone, le Canada, le Maghreb et l’Afrique francophone représentent de ce fait des destinations séduisantes, qu’il faut cependant étudier.
Enfin, l’étude met en exergue que « peu souvent envisagé à cause de l’adaptation culturelle qu’il nécessite, le reste du monde comprend pourtant des destinations à fort potentiel, que ce soit en Amérique latine, en Asie ou au Proche-Orient ».
Le financement, principal frein à l’internationalisation
L’internationalisation nécessite des levées de fonds significatives. Elle constitue une étape de la croissance qui intervient rarement en phase de création et nécessite des fonds importants, de quelques centaines de milliers d’euros pour l’Europe, à quelques millions d’euros pour certains pays comme les États-Unis (voir précédemment). Mais une levée de fonds, précise l’étude « ça se prépare : dossier bien construit, maîtrise du positionnement de la société par rapport au marché et à ses concurrents ».
De plus, c’est rarement au cours des premières et deuxièmes levées qu’on sollicite les investisseurs pour lever des fonds destinés à un développement international. En revanche, à partir de la troisième levée, les fonds sont très souvent destinés à l’international. Et de rappeler que Bpifrance et la Coface proposent des financements adaptés à la démarche d’internationalisation.«L’international, commente la DGE dans un communiqué qui présente l’étude, est à la portée des éditeurs de toute taille, dans tout secteur d’activité ou segment technologique. Ces acteurs se limitent aujourd’hui par méconnaissance du sujet, crainte de la complexité et des coûts associés, etc. mais peuvent, dans le cadre d’une démarche structurée, s’internationaliser en limitant les risques ».
Un signe que les pouvoirs publics français sont prêts à aider au décollage… Ce rapport s’adresse aux acteurs français du logiciel et des solutions Internet de taille modeste, peinant à atteindre la barre des 10 millions d’euros. L’étude présente quelques recommandations concrètes telles que : diffuser une culture internationale dans son entreprise et adapter son offre, déterminer un parcours en fonction de sa stratégie de débouchés commerciaux et de distribution pour que le logiciel trouve son marché, ou encore rechercher un financement adapté et accepter d’ouvrir son capital le cas échéant.
Venice Affre
Pour en savoir plus :
Pour recevoir l’étude, il faut contacter l’Afdel. Plus d’infos sur son site : www.afdel.fr