Avec sa visite officielle de juillet 2018, Emmanuel Macron a réaffirmé la volonté de Paris de mettre le Nigeria en bonne place dans les priorités africaines des entreprises françaises. A juste titre : ce pays connaît la plus forte pente de croissance démographique de tous les pays émergents. Le taux de fécondité hors-norme (5,3 enfants par femme) conduira ce pays de 200 millions d’habitants à une population de 300 millions d’habitants en 2030 et plus de 410 millions en 2050.
L’ICDM (Institut pour la conquête des marchés), société française d’intelligence et de veille économiques dédiées aux marchés émergents, y consacre sa dernière étude pays destinée, non seulement aux grandes entreprises, mais aussi aux ETI (entreprises de taille intermédiaire).
Réalisé avec le concours du Lépac (Laboratoire d’études prospectives et cartographiques), et du cabinet de recherche économique TAC Economics, ce document de 130 pages propose une photographie approfondie des forces et faiblesses actuelles de ce pays à gros enjeux de marchés, en s’appuyant sur une cartographie abondante et les témoignages de vingt-trois dirigeants et hommes d’affaires français et étrangers installés sur place.
On peut dessiner quelques lignes des forces particulières qui ressortent de cette étude, mettant en valeur le potentiel énorme et méconnu en France de ce pays qui constitue la première économie du continent africain, tout en affichant de nombreuses fractures, économiques, ethniques, religieuses et géographiques fortes.
Une richesse considérable accumulée « hors pétrole »
Le Nigeria affiche un nombre considérable de fortunes privées, constituées pour la grande majorité, contrairement aux idées reçues, en dehors du secteur pétrolier et gazier. Le pays aligne les superlatifs dans ce domaine: un milliardaire sur trois en Afrique subsaharienne est nigérian, 198 multimillionnaires disposent d’une fortune supérieure à 30 millions de dollars (M USD).
Le Nigeria, qui compte 26 200 millionnaires, présente une classe moyenne de 30 millions de personnes aux standards de consommation évolués en comparaison d’autres grands pays d’Afrique. Lagos, première métropole d’Afrique subsaharienne avec 16 millions d’habitants affiche un PIB supérieur au PIB du Sénégal, de la Côte d’Ivoire, du Bénin et du Togo réunis. Le PIB de l’État de Lagos est supérieur au PIB du Maroc.
Plus largement, on constate une accumulation de richesse considérable des élites économiques nigérianes, dont le niveau d’instruction est élevé. Le pays connaît une vitalité entrepreneuriale qui a peu d’équivalent sur le continent africain. Sans compter la créativité débordante des Nigérians : le pays est le troisième pôle mondial de production de films !
Cela se traduit par des projets taillés sur mesure pour elles : les autorités de Lagos portent le projet colossal d’Eko Atlantic City, ville nouvelle aux accents futuristes qui doit sortir de terre sur l’île de Victoria, sur des terrains en partie gagnés sur l’océan. Ce développement pharaonique de près de 20 km² doit à terme compter plus de 400 000 habitants et offrir un havre protégé aux élites économiques et classes aisées résidant actuellement dans les quartiers résidentiels environnants de Victoria, d’Ikoyi ou de Lekki.
En miroir de cette accumulation de richesse, 170 millions de Nigérians se battent quotidiennement pour gagner 1 à 2 dollars par jour à travers une économie informelle faite de subsistance agricole et de micro-trading. Les indices de développement humain sont parmi les plus bas de la planète. La majorité de la population continue de vivre dans l’extrême pauvreté, avec un taux d’alphabétisation et des conditions d’hygiène qui ont reculé en un quart de siècle.
Mais ce n’est pas la seule fracture de ce pays.
Une fracture béante entre le Nord et le Sud
La fracture abyssale, à la fois religieuse, ethnique et économique entre le Nord et le Sud du pays s’amplifie.
L’écart de mortalité infantile entre les États du Nord et ceux du Sud est de 1 à 3 (74 décès pour mille naissances à Lagos, contre 209 dans l’État de Zamfara, à comparer au taux de 127 de la Somalie, le pire ratio à l’échelle mondiale). La couverture contre la tuberculose (BCG) atteint neuf personnes sur dix dans les États du Sud, contre seulement deux personnes sur dix dans les États du Nord.
Plus de 5 millions de personnes sont confrontées à la faim, dont 3 millions en situation d’insécurité alimentaire sévère. 450 000 enfants souffrent de malnutrition aiguë, 60 millions de personnes n’ont pas accès à de l’eau potable. En 2017, le taux de pauvreté à 1,25 dollar par personne et par jour était de 74 % dans les États du Nord, contre 54 % dans ceux du Sud.
L’incurie sanitaire et éducative se répercute directement sur la dynamique économique. Le PIB par habitant d’Akwa Ibom, État pétrolifère du Delta, est quatre fois supérieur à celui de Kano, État le plus peuplé du Nord.
Sur les dix États qui comptent le plus de personnes au chômage et en sous-emploi, 8 sont des États du Nord, où plus de la moitié de la population active est sans emploi ou en emploi saisonnier agricole. 13 millions d’enfants en âge d’être scolarisés sont privés d’école.
Signe d’un délitement du système de santé nigérian, l’espérance de vie à la naissance, 54 ans, est l’une des plus basses au monde après celles de la Sierra Leone (52 ans), du Tchad (53). La très grande majorité de la population est trop dépendante de la micro agriculture de subsistance ou du micro-trading de survie quotidienne. Le Nigeria a dépassé l’Inde dans le classement des pays possédant la population la plus importante vivant dans l’extrême pauvreté (87 millions de personnes).
Les églises évangéliques se déploient sur une grande échelle dans le pays car celles-ci compensent les lacunes des services sociaux en matière d’éducation.
Un déficit critique d’infrastructures
Confronté à une gouvernance politique faible, le Nigeria accuse un retard particulièrement critique dans le développement des infrastructures de transports, d’énergie et des services de soutien à la population. Les besoins sont considérables et touchent de nombreux secteurs, les exemples sont nombreux.
Le Nigeria accuse un retard très important dans la génération d’électricité. Le pays se classe 172e sur 190 pour l’accès à l’électricité dans l’édition 2018 du rapport Doing Business de la Banque mondiale. Le pays produit chaque année un volume comparable à celui d’une Irlande 40 fois moins peuplée, et équivalent au tiers de la production électrique de la Côte d’Ivoire voisine, qui ne doit répondre pour sa part qu’aux besoins de 25 millions de personnes.
Le port de Lagos, abandonné à la corruption, est l’un des plus engorgés d’Afrique. Le réseau ferroviaire est inexistant. L’état des routes catastrophique handicape considérablement la circulation des marchandises. Résultat : un conteneur devant faire ce trajet de 1 200 km de bout en bout du pays met près de 20 jours pour un coût approchant les 5 000 dollars.
Les métropoles du Nigeria sont confrontées à un besoin cruel de connectivité pour développer leur flux d’activité économique. Le réseau ferré national ne transporte que 3 millions de passagers chaque année, soit dix fois moins que ceux de pays nord-africains tels que le Maroc ou l’Algérie. Abuja est la seule ville du pays à disposer d’un système de transport en commun moderne, avec un métro aérien en service depuis 2018 qui relie l’aéroport à la gare centrale.
En attendant que la vision d’un pays émergé, moderne et à la croissance équilibré se réalise, le chemin à parcourir est encore long.
Une mosaïque ethnique, des tensions religieuses
Le Nigeria est l’un des pays les plus divers au monde en termes d’ethnies aux côtés de l’Inde ou de l’Indonésie. 250 groupes ethniques y parlent plus de 500 langues. Le pays est éclaté entre l’Afrique des guerriers de la zone sahélo-saharienne, l’Afrique des greniers de la zone soudanaise et l’Afrique des paniers de la partie guinéenne.
Les trois principales ethnies, les houssa-peuls, les Yoruba et Ibo, représentent 50 % de la population. Sur le plan religieux, la population se partage entre les chrétiens (46 %) au sud et les musulmans au nord (54 %).
Le sujet de la répartition religieuse à travers le pays est très sensible en raison de l’impact de la démographie sur la carte électorale, favorable aux musulmans du nord. Le Président en exercice Muhammad Buhari, musulman Peul, est originaire du Nord du pays.
Des risques « maîtrisables », selon les entreprises
Dans un contexte de reprise économique après le choc des devises de 2016, la prime globale de risque-pays du Nigeria mesurée par Tac Economics, est estimée à 613 points de base: ceci signifie que toute opération ou projet au Nigeria devrait être associé à un taux de retour sur investissement supérieur de 6,1 % à celui d’un projet similaire aux États-Unis.
Bien qu’encore très élevée, cette prime s’est nettement améliorée depuis la mise en œuvre en 2016 d’une politique d’ajustement aux prix du pétrole plus faibles ; mais elle s’est à nouveau dégradée, de façon plus modeste, depuis le début 2018.
Le principal risque politique réside dans l’environnement sécuritaire défavorable qu’offre le pays, mais très différencié selon les territoires. Dans un contexte de gouvernance globale défaillante depuis longtemps, la diversité culturelle, ethnique et religieuse, porte en elle bien des tensions et fractures. Qu’il s’agisse des djihadistes de Boko Haram, des sécessionnistes Ibo, des éleveurs Peuls de la Middle Belt ou encore des pirates du delta du Niger, de nombreux segments de la population nigériane se sentent délaissés par les autorités centrales d’Abuja.
Cependant, en dépit de cet environnement sécuritaire peu favorable au développement de l’économie, les dirigeants des sociétés étrangères largement interviewés au cours de l’étude, estime que le sujet de la sûreté est maitrisable. Lagos n’est pas Caracas.
Le Nigeria, géant oublié du continent, pays de tous les superlatifs régionaux, représente un condensé des défis d’une Afrique qui cherche son chemin au sein de la mondialisation. Son poids démographique et économique en fait indéniablement une puissance en devenir et le pays n’a de cesse de tenter de s’imposer comme un acteur incontournable sur la scène africaine et internationale.
Au-delà des descriptions et des données, l’étude met en perspectives des interrogations et des scénarios d’évolution pour le moyen terme. Malgré les hypothèses et incertitudes, les opportunités économiques du Nigeria sont jugées très importantes par les investisseurs.
Desk Moci
* L’étude pays sur le Nigeria est disponible auprès de l’ICDM. Site Internet : icdm-countryreports.com / Contact : [email protected]