Traditionnellement présente en Afrique francophone, la France pourrait regretter un jour de négliger le Nigeria et devrait au contraire y amplifier ses efforts. Dans ce pays de 193 millions d’habitants en 2016, première puissance du sous-continent, avec un produit intérieur de brut de 406 milliards de dollars, elle y a exporté pour un peu plus d’un milliard d’euros entre janvier novembre 2017, soit autant qu’en Côte d’Ivoire, dont, pourtant, le PIB atteint seulement 35,5 milliards d’euros et la population est inférieure à 24 millions d’habitants.
Très offensive sur le continent, la Chine en profite, puisqu’elle truste les grands chantiers d’infrastructure au Nigeria, « notamment dans le maritime et le fer », précisait Emmanuelle Boulestreau, chef du Service économique régional (Nigeria-Ghana-Liberia-Sierra-Leone), lors des matinales du Club du Cepii, consacrées, le 11 janvier, à ce gigantesque pays (923 768 km2).
Un certain nombre de projets dans l’agroalimentaire et le transport ferroviaire sont ainsi cités dans le rapport 2018 du Cian « Les entreprises internationales en Afrique », édité par Le Moci *, comme la première ligne de métro d’Abuja construite par le chinois CCECC (China Civil Engineering Construction Corporation) pour un montant de 823 millions de dollars.
Alstom s’intéresse au métro d’Abuja
D’après un professionnel du secteur rencontré au Cepii (Centre d’études prospectives et d’informations internationales), le projet qui devait entrer en décembre 2017 est bloqué en raison de retards de paiement de la part de l’État nigérian. Un petit tronçon devant aboutir au quartier d’affaires d’Abuja doit encore être construit. Au total, la ligne doit courir sur 45 kilomètres au départ de l’aéroport international de la capitale.
De façon générale, les Chinois ne se contentent pas de construire. Ils apportent des financements, des hommes, des équipements. Toutefois, dans le cas du métro, le matériel roulant pas n’a encore été attribué et le français Alstom s’intéresse au projet. N’est-il pas temps pour la France dans s’y intéresser ? Que peut faire l’Etat, alors que le Nigeria n’a jamais été une destination traditionnelle des hommes politiques français ? Et ce, même si François Hollande, alors président de la République, s’est rendu au Nigeria en mai 2016.
Parce qu’il est jeune et anglophone – Emmanuel Macron a effectué son stage de six mois de l’Ena à l’ambassade de France à Abuja en 2002 – le chef d’État élu en mai 2017 semble aux Nigérians plus ouvert à la zone anglophone. En outre, tous les instruments financiers de la France sont disponibles sur le Nigeria : études et prêts du Trésor, garanties publiques gérées par Bpifrance, actions de l’Agence française de développement (AFD), dont les engagements sur le Nigeria s’élèvent à 1,3 milliard d’euros au total.
Alors qu’il est demandé à l’AFD d’augmenter de 50 % l’ensemble de ses engagements dans le monde, le Nigeria a été placé parmi les cibles prioritaires. « Depuis deux à trois ans, ce sont ainsi plusieurs millions d’euros qui sont engagés par l’agence chaque année », indiquait Emmanuelle Boulestreau. «Entre 2014 et 2017, ce sont ainsi 947 millions d’euros qui ont été octroyés quasiment uniquement sous forme de prêts et à 60 % de prêts souverains », précisait, le 17 janvier, Olivier Delefosse, directeur pays de l’Agence française de développement, lors de la présentation par le groupe AFD de ses activités en Afrique, organisée avec Business France.
Dans le cas de métro d’Abuja, que va-t-il se passer aujourd’hui ? Est-ce que les bailleurs de fonds multilatéraux pourraient également s’intéresser à ce projet, s’interroge-t-on à Paris ? Ceux-ci pourraient être tentés, à condition que l’ouvrage soit géré par des sociétés fiables ? Dans ces conditions, est-ce que certains champions français, Keolis, voudraient saisir sa chance ? Les besoins, au demeurant, ne manquent pas dans le rail. Ils ont ainsi été estimés au Nigeria à 25 milliards de dollars par an pendant dix ans par le vice-président, Yemi Osinbajo. Parmi les projets qui intéressent l’AFD, la création de deux gares intermodales à Lagos.
Les bonnes initiatives du gouvernement
Pendant la maladie du président Buhari en 2017 (cinq mois au total), Yemi Osinbajo a joué un rôle primordial. « La vice-présidence a mené une politique très volontariste en 2017, qui a permis à son pays de passer dans le rapport 2018 de la Banque mondiale Doing Business à la 145e place sur 190 nations classées, soit 24 de mieux qu’un an plus tôt, et l’objectif est de parvenir au 100e rang », rapportait ainsi Emmanuelle Boulestreau.
Sous l’impulsion de Muhammadu Buhari, d’autres réformes ont été menées pour améliorer la gouvernance (lutte contre les emplois fictifs, transparence des comptes publics…) et un plan de croissance et de reprise économique à moyen terme (ERGP 2017-2020) a été lancé le 5 avril 2017.
Parmi les objectifs généraux de l’ERGP : maintenir les taux de change, réduire l’inflation à 9 %, accroître les recettes fiscales de 9 points à 15 % du PIB, augmenter les investissements directs étrangers (IDE), créer 15 millions d’emploi. Au titre des priorités sectorielles, l’agriculture figure en bonne place. A ainsi été créé le Système national de partage des risques pour les prêts agricoles (Nirsal), un mécanisme visant les risques.
« En 2016, dans le cadre du Nirsal, 5 000 hectares de terres agricoles irrigables ont été ouverts aux investisseurs potentiels et de nouvelles terres seront concernées à moyen terme », observait l’Organisation mondiale du commerce (OMC) lors de son dernier examen des politiques commerciales du Nigeria (17 octobre 2017). L’OMC ajoutait que « le gouvernement s’emploie également à améliorer les infrastructures pour favoriser la croissance et le développement du secteur agricole, notamment en construisant des routes et des installations de stockage et en créant des chaînes de valeur afin d’améliorer l’accès des agriculteurs ruraux aux marchés national et international ».
Par ailleurs, selon Emmanuelle Boulestreau, « la Banque centrale a ouvert des financements avec des taux d’intérêt bonifiés, la Banque d’agriculture a aussi été recapitalisée et des investisseurs locaux, comme le milliardaire Dangote, et internationaux, s’engagent aujourd’hui sur toute la chaîne : culture, transformation, distribution ».
Pas d’émergence possible sans secteur électrique performant
L’énergie est un autre sujet fondamental au Nigeria. En matière d’énergies renouvelables, le gouvernement travaille sur 14 projets, dont une partie aurait déjà fait l’objet d’accords de rachat de l’électricité produite. Pour autant, le financement est généralement un handicap, ni l’État fédéral, ni les États fédérés (36 au total) ne souhaitant apporter leur garantie.
En fait, les autorités « ont choisi d’agir avec pragmatisme en donnant la priorité aux hydrocarbures et au charbon », commentait au Cepii la chef du Service économique régional (SER) à Abuja. Le pétrole demeure le moteur de l’économie nationale. Malgré une diversification réussie depuis une dizaine d’années dans les services (télécommunications…), le Nigeria demeure très dépendant des hydrocarbures, qui représentent 70 % des recettes budgétaires, 95 % des exportations de biens et 90 % des recettes en devises.
Pour de multiples raisons (mauvaise tarification, faiblesse des recouvrements, sabotages, pénuries de gaz, déficience du réseau), le secteur électrique a accumulé un déficit important, de l’ordre de 1,5 milliard de dollars. Le 22 mars dernier, a été adopté le Programme de redressement du secteur de l’électricité, visant à remédier à l’état d’urgence. La demande, 13 00 mégawatts (MW), est, certes, légèrement inférieure à la capacité installée, 13 400 MW, mais la capacité disponible oscille juste entre 3 500 et 5 000 MW. Quelque 5 milliards de dollars sur cinq ans ont ainsi été annoncés pour améliorer le réseau, alors qu’aujourd’hui la moitié de la capacité de la production électrique est autofinancée sous forme de générateurs.) et 60 % des Nigérians n’ont pas accès à l’électricité.
L’économie est relancée
A ce jour, il apparaît impossible que le Nigeria, comme il l’ambitionne, devienne un pays émergent, sans régler le déficit énergétique. Sa dépendance vis-à-vis des hydrocarbures peut être un frein puissant à la réalisation de cet objectif. Suite à la chute des cours mondiaux de l’or noir en 2016, le Nigeria a connu une récession de 1,6 %. Selon le Fonds monétaire international, il va, toutefois, renouer avec la croissance dès cette année, avec + 0,8 %. Ce taux passerait même à + 2,1 % en 2018.
Autre bonne nouvelle, sur le plan politique, les élections présidentielles en 2019 s’annoncent bien. D’abord, parce que le dialogue politique mené dans le Golfe de Guinée par Yemi Osinbajo, pendant la maladie de Muhammadu Buhari, a porté ses fruits en 2017 : les actes de piraterie et de vandalisme y ont disparu. Et les groupes islamistes liés à Boko Haram sont aujourd’hui circonscrits au nord-est du pays.
Pour la chef du SER, il n’y a pas de risque de sécession, notamment parce que les grandes régions ont des liens commerciaux étroits. Quant à l’intention prêtée au vice-président de se présenter aux présidentielles, elle ne semble pas y croire. « Ce que j’ai pu constater, a-t-elle rapporté, c’est que le président Buhari est en pleine forme ». Les législatives sont prévues en même temps que les présidentielles, le 16 février 2019. Même si le chef d’État nigérian n’a pas encore annoncé sa candidature, les observateurs estiment qu’il se représentera vraisemblablement pour un second mandat de quatre ans.
François Pargny
* Rapport CIAN 2018 – Les entreprises internationales en Afrique
Pour prolonger :
–France / Afrique : Europe, jeunesse, diplomatie économique, trois priorités d’E. Macron
–Afrique / French Tech : le French Tech Hub du Cap veut piloter une caravane high tech sur le continent
–France / Afrique : E. Macron et R. Kaboré inaugurent la plus grande centrale solaire ouest-africaine
–Afrique / Export : une dépendance à la Chine essentiellement commerciale