Docshipper, startup basée à Hong Kong, veut casser les codes du secteur de la supply chain, en personnalisant son offre à chaque client. Et souhaite lui fournir une gamme complète de services, de l’approvisionnement, à la distribution, en passant par la logistique. Un projet plutôt ambitieux. Explications avec Nicolas Rahmé, fondateur de la jeune pousse.
Le Moci. Quel est le concept de Docshipper ?
Nicolas Rahmé. Notre entreprise souhaite accompagner le client de A à Z. On les aide à acheter, à transporter et à distribuer. Mais bien évidement, si un client a déjà en interne l’un ou l’autre service, il peut ne prendre que ce qu’il souhaite et s’accommoder en fonction de ses besoins.
Le Moci. Quelle est l’idée de départ ?
Nicolas Rahmé. A chaque étape, les importateurs, comme les exportateurs font face à une industrie archaïque : ils doivent faire appel à un prestataire différent pour chaque étape de la chaîne d’approvisionnement. Par ailleurs, le marché est dominé par des gros acteurs dont les préoccupations sont plutôt focalisées sur la génération de dividendes que l’optimisation de l’expérience de leurs clients.
Pendant mon stage durant mes études, fin 2015, on s’est dit avec mon maître de stage, qu’il y avait quelque chose à faire avec le fret forwarding ou la logistique internationale. Au départ, je n’avais pas pour ambition d’être entrepreneur mais à défaut de trouver ce qui me correspond, je me suis dit qu’il fallait que je le crée.
Le Moci. Comment en êtes-vous arrivé à votre concept ?
Nicolas Rahmé. On s’est lancé avec mon ancien maitre de stage, lui sur la partie technique et moi j’avais le côté digital native. D’abord, il a fallu comprendre comment le marché fonctionne, aller chercher les clients, comment marche un network, comment être profitable de manière générale. Fin 2016, on signe des premiers clients qui nous font un retour positif. Au départ, on était basé en Thaïlande, on ne faisait que de la logistique internationale. Le constat était le suivant : on est sur une industrie éclatée avec de nombreux acteurs. Tous les acteurs sont spécialistes sur un domaine particulier. On a pris le schéma inverse : on n’est pas des opérateurs, notre métier c’est de monter un network d’opérateurs. On va se focaliser sur ce qu’on sait faire : du digital marketing pour aller chercher les clients et les ventes. Nous avons une manière de vendre qui casse les codes de l’industrie. On va essayer d’être extrêmement flexible dans notre manière de procéder pour satisfaire les besoins du client.
Le Moci. Comment arrive-t-on à faire sa place face à des géants du secteur ?
Nicolas Rahmé. Les besoins du client sont uniques. Il n’y a pas une opération qui ressemble à une autre. Elles peuvent être similaires. Mais il y a beaucoup de singularité dans ce business-là. Tout est différent : le pays de départ, d’arrivée, les régulations, l’entreprise, les budgets, les attentes… Notre but est de nous plier en 4 pour satisfaire le client, chose que les gros acteurs du marché ne font pas. Ils ont un process, ils ne vont pas forcément apporter ce côté assistance, notamment sur la flexibilité et notre manière de les accompagner. Derrière, on va apporter au client du conseil, c’est ça qui va nous permettre de sortir du lot. Parfois, on va conseiller au client de ne pas faire comme il le voulait au départ, en fonction de son business. Les acteurs traditionnels ne le font pas vraiment. Quand un client fait affaire avec nous, il va être suivi par une seule personne.
Le Moci. Une fois que la Thaïlande a commencé à bien marcher, vous avez ciblé d’autres zones ?
Nicolas Rahmé. En 2018, on reproduit la même chose sur la Chine. Cela a pris quasi un an. Puis le Vietnam et la Malaisie. Tout est en ligne. Personne n’est sur place. On ne rencontre les clients que par visioconférences, appels ou mails. Le covid ne nous a pas beaucoup touché contrairement à d’autres car nous étions déjà en full-remote (ndlr : 100 % travail à distance).
Le Moci. On parle ici de logistique. Quand avez-vous lancé votre offre à 360 degrés ?
Nicolas Rahmé. En 2018, on a lancé ensuite un département sourcing, ce qui correspond à tout ce qui est accompagnement à l’achat. C’est très facile de trouver un fournisseur mais de trouver celui qui correspond à nos besoins est plus difficile. Notre rôle est de faire tampon pour sécuriser l’achat. Il y a toute une partie de régulation.
Le Moci. Vous faites tout en interne ?
Nicolas Rahmé. Non, pour toute la partie expertise, on va s’appuyer sur notre réseau. J’arrive à trouver les clients, derrière j’ai besoin d’un opérateur qui exécute les opérations. Mais je n’ai pas besoin d’un opérateur classique, il doit être flexible. Aujourd’hui, il y a toujours des sujets où on a besoin de cette matière grise mais nous maîtrisons désormais une bonne partie des sujets. On n’est pas là juste pour la retranscrire, on la mache et on la comprend avant de l’expliquer à nos clients. Notre business model est le suivant : on ne veut pas être un opérateur, ni être dans le légal.
Sur cette partie sourcing, l’accompagnement est d’autant plus important qu’il y a énormément d’argent en jeu : dans l’achat de marchandise, le transport est un coût annexe.
Le Moci. Vous fournissez d’autres services annexes ?
Nicolas Rahmé. Oui, on va également fournir d’autres services annexes comme le contrôle qualité. Une fois trouvé le bon fournisseur, le bon produit, on envoie une équipe sur place spécifique. Les plus gros cabinets d’audit sont bureau Véritas, HCS, etc. Le gros du marché est monopolisé par quelques mastodontes. On va apporter du business aux plus petits acteurs qui n’arrivent pas à les capter car c’est une industrie archaïque où les acteurs sont mauvais sur la digitalisation.
Un autre service annexe que l’on va proposer est la partie test en laboratoire pour obtenir la certification. Ces tests vont être effectués par des laboratoires. Mais ce n’est pas tout. En 2019, on a ouvert un troisième département : le service 3PL qui est une alternative directe à Amazon FBA. C’est un service dédié aux e-commerçants qui ne veulent pas gérer eux-mêmes leur logistique, que ce soit le stockage, la gestion d’inventaires, la préparation des commandes jusqu’à la livraison à la porte du client final. C’est un service qu’on a lancé au départ en Europe, puis on l’a élargi à l’Amérique du Nord. Si notre client ne recherche que le prix, alors il vaut mieux aller chez Amazon, car c’est une grosse machine. Economie d’échelle oblige, ils ont des coûts extrêmement compétitifs. On va se différencier sur la partie personnalisation. Quand on traite avec Amazon FBA, il y a beaucoup d’exigences. On explique alors à nos clients que s’ils ne savent pas faire, alors ils peuvent nous envoyer leur stock en vrac et on va s’en occuper pour eux.
Le Moci. Comment fonctionnez-vous financièrement ? A quand la levée de fonds ?
Nicolas Rahmé. Depuis nos débuts, on est en auto-financement, la santé financière de notre entreprise est assez bonne. C’est apprécié actuellement des investisseurs parce que ce n’est plus les beaux jours des levées de fonds faciles d’il y a 5/10 ans, nous avons choisi de faire le contre-pied et maîtriser les codes de l’industrie, avant de scaler le business.
Le Moci. Quelle est votre stratégie maintenant ?
Nicolas Rahmé. Aujourd’hui, d’un point de vue stratégique, on monte notre bureau en Tunisie, on va monter un bureau physique en Asie, probablement à Hô Chi Minh-Ville au Vietnam, pour arriver fin 2023 à faire une levée de fonds et montrer aux investisseurs que notre business est viable et que l’on peut reproduire en Amérique du Nord et en Amérique latine de manière à avoir une présence locale dans toutes les régions du monde. Dans 95% des cas, on ne rencontre pas les clients. Notre ADN est l’accompagnement, cela va de pair avec un rapport humain. En physique, c’est toujours plus agréable.
Le Moci. Quels sont vos objectifs ?
Nicolas Rahmé. A l’instar de Doctolib, Uber, Airbnb, ce sont des activités qui font énormément de marketing. On investit pas mal dans la technologie pour développer une plateforme client. On n’a pas d’usine, pas d’inspecteur de qualité, pas de laboratoire de test, pas de bateaux, pas d’avions, pas de port et d’aéroport, on va sous-traiter l’ensemble. Notre métier, c’est de faire l’intermédiaire. Les ‘asset light business’ se basent sur la capacité opérationnelle de certains acteurs pour exécuter et apporter une plus-value dans le business. Sécuriser la chose, faire en sorte que l’expérience utilisateur soit maximisée et fidéliser le client.
Le Moci. Et en termes financiers ?
Nicolas Rahmé. En 2020, le chiffre d’affaires de notre entreprise était de 630 000 euros. En 2021, nous avons atteint 4,9 millions d’euros. En 2022, on prévoie une croissance entre x 2 ou x 3, autour de 15 millions. On met énormément d’énergie sur l’optimisation des process. On dépense beaucoup d’argent pour le recrutement des top managers et la mise en place d’un CRM (ndlr : la gestion de la relation client).
Mi-2020, nous avons ouvert un bureau à Tunis, parce que c’est un pays francophone et sur le même fuseau horaire que la France. Aujourd’hui, la jeune pousse emploie 38 salariés. La holding est basée à Hong Kong. Toutes les personnes travaillant en Asie et en France sont des auto-entrepreneurs avec des contrats de consulting.
Propos recueillis par Claire Pham