Le Myanmar – appelée plus traditionnellement Birmanie en France- attire les investisseurs européens depuis son ouverture il y a trois ans. La compagnie Heineken doit ouvrir ainsi sa première brasserie à Rangoun en 2015 et les grands groupes tels que British American Tobacco, Ericson, Staton ou encore Mercedes s’apprêteraient à suivre son exemple. Objectif : faire face à la concurrence asiatique. Traditionnellement très présente, la Chine reste le plus grand investisseur du pays détenant 35% des IDEs, suivie par Singapour et la Thaïlande. Depuis 2011 et la chute de la junte militaire, l’élan serait favorable, mais il se heurte à l’insuffisante protection des investisseurs étrangers dans un pays qui sort à peine de décennies de dictature.
Ainsi, le pays bénéficie de la levée des sanctions européennes, s’est engagé dans un processus de réforme et cherche à diversifier ses sources de revenus. Mais l’inquiétude persiste chez les investisseurs européens, qui demandent l’aide de l’Union européenne (U.E.). Certains ont même fait le déplacement jusque dans l’enceinte du Parlement européen, le 6 novembre dernier, pour faire pression auprès des Eurodéputés en faveur d’une accélération la signature de l’accord d’investissement entre l’U.E. et la Birmanie, lancé en mars 2014. Car en attendant, à en croire leurs déclarations, y investir n’est pas sans risques. Et les quelques entrepreneurs déjà sur place en témoignent.
Pour créer son entreprise en Birmanie, on doit compter six mois, révèle Herman Poelmann, de la société néerlandaise Pole Group, qui investit en Birmanie par le biais de ses filiales “Soon” et “Vert Compagny”. Il décrit le marché birman comme “irréaliste”. « Les infrastructures sont très mauvaises. Il faut deux heures pour faire 20 km depuis le centre de Rangoun ». Et on ne peut pas compter sur les intermédiaires financiers: selon lui, les lettres de crédit sont un instrument de paiement inconnu dans ce pays. « La banque sur internet est disponible mais une opération bancaire prend des mois et les transferts de devise sont très difficiles », insiste Herman Poelmann. Par ailleurs, aucune chaine d’approvisionnement n’existe au niveau local et on manque « de travailleurs qualifiés ». La productivité est très faible et le coût de l’emploi extrêmement élevé.
Respect des droits des travailleurs et des minorités : encore une gageure
Les investisseurs étrangers ne sont pas protégés, le cadre juridique est flou voire inexistant, poursuit le dirigeant « Les lois se contredisent et il y a un fossé entre l’objectif de la loi et sa mise en œuvre ». Il n’y a pas non plus de certification possible, notamment en matière de respect des droits de l’Homme, alors même que l’incertitude sur les prochaines élections et le sort des communautés musulmanes Rohyinga présentent des risques pour la « réputation de la marque » témoigne l’investisseur.
Cet aspect revêt une importance particulière pour toute entreprise soucieuse de sa réputation car pour les associations de défense des droits de l’homme, dans ce pays qui interdit aux Musulmans de travailler pour des entreprises étrangères ou de signer des contrats avec elles, les entreprises sont complices des persécutions envers eux. « Les entreprises étrangères peuvent tout faire sauf employer des Musulmans ou signer des contrats avec des entreprises détenues par des Musulmans » s’insurge Eborah Stothard, secrétaire général pour la fédération internationale pour les droits humains. « Si on a pas des réformes pour assurer l’Etat de droit avant tout accord, et bien les entreprises européennes risquent d’être impliquées dans des crimes graves ».
Par ailleurs, « la Birmanie est en passe de devenir le prochain hub à faible salaire en concurrence avec le Bangladesh » prévient Jeffrey Vogt, conseiller juridique à la Confédération syndicale du Commerce internationale, qui dénonce le harcèlement des leaders syndicaux. Pour ce juriste, croire que ces pratiques n’auront pas d’un impact sur les chaines d’approvisionnement tient de la « naïveté ».
La Commission soutient un accord d’investissement simple
Ce tableau au vitriol laisse Roland Vanderstappen, un des directeurs d’Heineken et président de l’association patronale Business Europe, inflexible. « Nous pensons que si le risque est gérable, il vaut mieux faire partie du processus et aider à créer le cadre réglementaire » explique-t-il. Dans ce contexte, pour lui, un accord d’investissement avec l’U.E est «clef ». « L’accord permettrait ainsi que les entreprises européennes soient mises sur un pied d’égalité avec les locales » renchérit Herman Poelmann qui appelle l’U.E comme les autorités birmanes à travailler dans ce sens.
La Commission européenne, en charge des négociations, défend la nécessité de l’accord. « Aucun Etat membre n’a d’accord d’investissement en Birmanie. C’est un réel besoin » martèle le chef d’unité adjoint, Carlos Bermejo Acosta. « Ce n’est pas un accord de libre échange mais un accord d’investissement simple», précise-t-il, et grâce à lui, « les intérêts qui ont déjà été investis sont protégés. Il assure une non-discrimination, un traitement équitable à l’accès à la justice et compense les pertes en cas d’expropriation ».
Les parlementaires européens, eux,souhaitent des gardes-fous. « Au delà de la protection des investisseurs, il faut qu’il contrôle et surveille le comportement des entreprises » déclare David Martin, le rapporteur de la Commission parlementaire INTA (Commerce international). Les Américains ont déjà un train d’avance sur ce point : Outre-atlantique, on exige notamment des déclarations annuelles aux entreprises sur leurs opérations en Birmanie. Un exemple que l’U.E devraient suivre, concluent les parlementaires.
Loreline Merelle, à Bruxelles