Selon Gilles Kepel (notre photo), professeur à l’Institut des études politiques (IEP) de Paris, « Téhéran s’efforce d’apparaître comme un interlocuteur » dans la région, depuis la conclusion de l’accord de Genève, en novembre 2013, avec les grandes puissances de l’Organisation des Nations Unies (Onu) sur le gel des activités nucléaires de l’Iran. D’ailleurs, les propos du président de la République islamique, Hassan Rohani, lors du Forum économique de Davos, le 23 janvier, sont clairs : « l’Iran doit tenir sa place aux côtés des pays émergents ».
« La réintégration de ce pays, si elle n’est pas sûre aujourd’hui, changerait la carte du Moyen-Orient », expliquait Gilles Kepel, le 21 janvier, lors du colloque Coface sur les Risques pays. Comme en Syrie aujourd’hui, l’Iran chiite et les nations du Golfe, principalement l’Arabie saoudite sunnite, « s’affrontent indirectement – pas directement pour ne pas faire exploser le marché des hydrocarbures dont ils dépendent » et tant que « l’Iran est considéré comme une menace extérieure », les pays du Golfe en retirent les dividendes politiques et économiques.
L’atout d’une vraie classe moyenne
A l’inverse, en cas de réintégration de l’Iran dans le concert mondial, Téhéran pourrait reprendre un rôle de leader au Moyen-Orient. « Si ce pays peut développer son économie et sa classe moyenne, alors ce sera la panique dans le Golfe », commente Gilles Kepel. Il n’est pas le seul expert à le penser : « si je ne parierais pas sur le délitement de l’Iran, l’Arabie saoudite est un pays nouveau » (créé en 1932), remarquait, lors du même colloque, François Heisbourg, conseiller spécial à la Fondation pour la recherche stratégique.
Le géant saoudien, première économie du Golfe est déjà confronté à de multiples défis : incertitude quant à la succession du roi Abdallah ben Abdelaziz Al-Saoud, 90 ans, maintien de son régime autoritaire, chômage des jeunes (30 %), déséquilibre entre nationaux et expatriés, etc.
Or, paradoxalement, l’Iran apparaît plus solide. Si Hassan Rohani, à Davos, a répété que son pays n’avait aucune ambition nucléaire militaire, tout en maintenant sa volonté de produire de l’énergie nucléaire civile, le président iranien a surtout réussi son opération de charme devant un auditoire d’un millier de personnes. Selon Coface, l’Iran « est susceptible » de sortir de la récession dès cette année. L’assureur crédit export prévoit même une croissance économique assez élevée pour un pays qui pourrait rejoindre un jour le club des émergents : + 5,4 %, après une estimation de – 5,4 % en 2013.
L’argument de la reprise du commerce extérieur
Soumise à l’embargo des grandes puissances, la République islamique s’est tournée ces dernières années vers d’autres États, comme la Turquie et l’Inde, et la Chine lui a promis jusqu’à 20 milliards de dollars d’investissements, remarque encore l’assureur crédit export français. La fin de l’embargo pétrolier et financier signifierait notamment une reprise des livraisons d’or noir à destination des économies occidentales. Déjà les exportations ont légèrement augmenté, passant en quelques mois de 1,2 million de barils par jour (b/j) à 1,3-1,4 million de b/j.
Dans le dialogue qui se prolonge avec la communauté internationale, ce n’est pas tant le déblocage des avoirs iraniens en devises gelés dans des comptes étrangers qui compte – 550 millions de dollars dans les prochains mois, 4,2 milliards à terme – mais la possibilité d’exporter à nouveau et d’importer des biens de consommation, notamment alimentaires, indispensables à la population locale et des produits intermédiaires nécessaires à la relance de la production. L’automobile, troisième industrie avec 10 % du produit intérieur brut (PIB), après le pétrole et le gaz, va pouvoir aussi redémarrer.
François Pargny