En matière de micro-nanoélectronique, le continent européen, la France en particulier, dispose de champions planétaires. Sa recherche est aussi soutenue par de grands clusters, comme à Grenoble et à Dresde en Allemagne. Sa grande faiblesse est la production, largement dominée par l’Asie. Ce continent attire de plus en plus les investisseurs internationaux. Non sans risque pour la place européenne.
Le 28 février dernier,
l’association d’industriels de la micro-électronique, des écrans et de
l’industrie photovoltaïque, SEMI Europe (Semiconductor Equipment and Materials
International), et des industriels phares de la micro-nanoélectronique ont
pointé les atouts de la filière et ses faiblesses, susceptibles de la pénaliser
durablement. Certes, l’Europe peut compter sur des leaders mondiaux, présents
tout au long de la chaîne de valeur, notamment, dans l’équipement automobile et
les télécommunications avec Infineon, NXP, STMicroelectronics, Bosch, ASML et
Soitec, numéros un mondiaux, respectivement de la lithographie et de
l’ingénierie du matériau.
L’Europe dispose aussi de
deux clusters importants à Grenoble et à Dresde en Allemagne, regroupant à la
fois recherche, industrie (production de volume et développement de
technologies avancées) et enseignement supérieur. Ensemble, ils représentent 80
000 emplois, 9 500 chercheurs et des investissements annuels de
1,5 milliard d’euros. « Nous avons 50 ans d’expérience et l’Asie 20
seulement. Nous sommes très innovateurs, accoutumés à travailler en
partenariat, détenons des leaderships dans de nombreuses technologies comme les
MEMS [Microelectromechanical Systems, en français systèmes
microélectromécaniques], les technologies analogiques », se réjouit Alain
Astier, Group VP stratégies industrielles de STMicroelectronics à Grenoble.
Toutefois, l’Europe n’est
que le troisième producteur mondial, avec une part de 10 %. L’Asie arrive
largement en tête, avec 80 %. Dans la pratique, la micro-nanoélectronique en
France et en Europe présente plusieurs points faibles. Elle est d’abord trop
orientée R&D. Alain Astier met ainsi en garde : « Il n’y a pas sens à faire
de la R&D sans couvrir la partie production. Il faut pouvoir aller vite
entre l’idée du produit et la mise sur le marché, et donc maîtriser l’ensemble
de la chaîne de valeur de la recherche à la fabrication. »
Dans ce contexte, comment
maintenir l’industrie sur le sol européen, quand l’Asie attire les
investisseurs avec des aides fiscales très importantes (celles-ci comptent plus
que les coûts de production avantageux – à cet égard, l’écart avec l’Europe est
de 10 %) ?
« Nous sommes également les
seuls à jouer le jeu de la protection de l’environnement », avance Philippe
Laporte, chargé de mission au CEA Leti. Autre conséquence : faute d’industries
et de postes correspondants en France et en Europe, les ingénieurs et les
chercheurs s’expatrient. « Notre savoir-faire est en danger si nous perdons
trop d’industries », estime Jean-Marc Melique, délégué général de Sitelesc (le
syndicat de la microélectronique et nanoélectronique en France). SEMI espère
recueillir les fruits de son lobbying au niveau européen. Son but est de
convaincre l’Union européenne (UE) d’investir dans cette
industrie, dont dépendent les autres secteurs à fort potentiel, de plus en plus
gourmands en micro-nanoélectronique : aéronautique, automobile (voiture électronique…), énergie, santé (santé assistée…). Un lobbying qui commence à
donner des résultats : la Commission européenne vient, par exemple, de mettre
en place un groupe d’experts de haut niveau sur les KET (Technologies clés
génériques). Ce groupe, présidé par Jean Therme, directeur au Commissariat à
l’énergie atomique (CEA) et au CEA-Grenoble, est chargé de définir une
stratégie à long terme pour ces technologies. Un rapport est attendu en juillet
prochain. Alain Astier espère que l’Europe s’engagera une stratégie et une
politique d’investissement : « Il ne faut plus saupoudrer les efforts, mais consolider
les deux piliers forts, Grenoble et Dresde, qui en connaissance de cause
consolideront les autres clusters plus petits », estime-t-il.
Sophie Creusillet