Lors de la ‘Matinale’ du Club du Cepii (Centre d’études prospectives et d’informations internationales), consacrée, le 23 février au Mexique, l’avenir de l’industrie automobile, cible privilégiée de Donald Trump, a été largement abordé. Il est vrai que sur les 70 milliards de dollars de déficit commercial des États-Unis avec son voisin, l’automobile compte à elle seule pour 54 milliards.
Un argument suffisant pour que le président américain annonce, sans consultation préalable, son intention d’instaurer une taxe de 35 % à l’entrée sur le sol américain pour éviter les délocalisations et de renégocier, voire d’annuler, l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena) liant son pays au Mexique et au Canada depuis 1994. Quant aux autres produits mexicains exportés aux États-Unis, il s’agit principalement d’équipements de télécommunications et, dans une moindre mesure, de fruits et légumes.
Les investissements repartiraient à moyen terme
En 2016, la production de véhicules au Mexique a dépassé la barre des trois millions d’unités, ce qui en faisait le 7e ou le 8e fabricant mondial. Elle devrait approcher les 3,5 millions à la fin de l’année 2017. Si les ventes domestiques décollent, les livraisons aux États-Unis accélèrent plus vite. Pour comprendre la dépendance de cette industrie vis-à-vis du marché de l’Oncle Sam, il faut avoir en tête que « des grands marchés émergents comme le Brésil et la Chine, l’un et l’autre n’absorbent que 1 % de l’automobile mexicaine » a observé Hélène Ehrhart, chargée d’études Analyse macro-économique et risques pays à l’Agence française de développement (AFD).
Selon Jean-Louis Martin, chargé de mission auprès du chef économiste du Crédit agricole, « à cour terme, on va avoir un ralentissement très net des investissements au Mexique, mais un redémarrage à moyen terme ». En d’autres termes, les constructeurs américains, japonais ou français vont s’adapter à la nouvelle politique dans le sens voulu par le nouveau chef d’État, mais l’intérêt de réaliser des petits véhicules dans un pays à bas coût, doté d’une main-d’œuvre qualifiée et proche des États-Unis, est tel que les investissements reprendront à moyen terme au Mexique.
Et cet économiste qui connaît bien le Mexique pour y avoir été en poste comme Senior Country de Crédit Agricole Indosuez entre janvier 2002 et août 2004, n’a pas hésité à enfoncer le clou : « D’abord, j’ai du mal à penser qu’on va prendre huit ans de Trump [ndlr, deux mandats de quatre ans]. Ensuite, je ne crois pas à la remise en cause du secteur. Même si des tarifs à l’entrée sont imposés, ils ne seront pas élevés. Il y a des accords à respecter à l’OMC. Or, il faudrait des taxes très lourdes pour faire disparaître les avantages du voisin, d’autant que le peso, qui a dégringolé, s’il est presque stabilisé en ce moment, va continuer à s’affaiblir ».
Les deux dernières années, le peso a chuté successivement de 16 % (2015) et 20 % (2016) par rapport au dollar, atteignant son plus bas historique à 21,9 pesos pour un dollar en janvier 2017. Par ailleurs, « si des droits de douane devraient être réimposés au Mexique, il faudrait alors que le consommateur américain en paie le prix, tout comme l’industrie, car nombre des usines d’assemblage au Mexique, sont américaines » a relevé Hélène Ehrhart.
Les salaires bas entretiennent les inégalités et la pauvreté
S’agissant du coût de production, « le Mexique a fait le choix des salaires bas », a également analysé Jean-Louis Martin. Au point qu’en Amérique latine (à l’exception du Venezuela), ce pays propose le salaire minimum le plus faible : environ 250 dollars par mois, soit deux fois moins qu’au Brésil ou trois fois moins qu’au Chili. Les salaires moyens à prix courants dans l’industrie y sont non seulement inférieurs par rapport à la Chine, mais « l’écart entre les deux tend à grandir », a insisté l’économiste.
De fait, selon Hélène Ehrhart, la faiblesse du salaire minimum entretient « des inégalités très fortes au Mexique ». Le produit intérieur brut (PIB) par habitant est jusqu’à trois fois supérieur dans le nord que dans le sud. Et au total, la pauvreté a touché 46,2 % de la population en 2014. Ce qui constitue un vrai risque social, surtout si Donald Trump réduit l’immigration de façon brutale comme il le déclare. Sur les 13,2 millions d’immigrés mexicains, 98 % sont établis aux États-Unis. Or, cette diaspora qui représente plus de 10 % de la population mexicaine contribue sous forme de transferts d’argent au PIB, à hauteur de 2 %.
François Pargny
Pour prolonger :
– UE / Mexique : Mexico et Bruxelles s’activent pour accélérer les négociations commerciales
– États-Unis / Monde : Donald Trump principal facteur de risque pays en 2017…
– États-Unis / Commerce : le protectionnisme de Donald Trump, vu par Ludovic Subran (Euler Hermes)