La Commission européenne espérait boucler avant la fin de l’année les négociations commerciales avec les membres du Marché commun du Sud (Mercosur) : Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay. Après la conclusion heureuse des discussions, le 8 décembre, de l’Accord de partenariat économique (APE) avec le Japon, l’accord de libre-échange le plus important jamais signé*, elle espérait conclure avec le Mercosur, lors la conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), du 10 au 13 décembre à Buenos Aires. Il n’en sera rien.
Profiter de l’alignement entre Argentine et Brésil
Dès avant la tenue de cette manifestation, l’exécutif européen devait se rendre à l’évidence : si un compromis était ficelé sur la quasi-totalité des questions industrielles, en revanche, l’agriculture et l’agroalimentaire demeuraient un problème des deux côtés, le bœuf et l’éthanol pour l’Europe, le vin et les produits laitiers pour les partenaires d’Amérique du Sud.
Aujourd’hui, on évoque plutôt début 2018 pour parvenir à un ALE. Si on est aussi pressé à Bruxelles, c’est que, dit-on, « on n’a jamais eu un alignement des planètes aussi positif ». Comprendre : « l’Argentine du très libéral Mauricio Macri et le Brésil, qui revient d’un tournant protectionniste et isolationniste, sont aujourd’hui moteurs ensemble pour aboutir ».
Autre raison pour l’exécutif bruxellois de vouloir emporter la partie rapidement : la baisse des droits de douane se traduirait par un gain de quatre milliards d’euros pour les exportateurs européens – dont 500 millions pour la France – soit quatre fois plus que dans le cadre de l’APE avec le Japon et huit fois plus que pour l’Accord économique de coopération général (AECG ou, en anglais, CETA pour Comprehensive Economic Trade Agreement) entre l’Union européenne (UE) et le Canada.
Bœuf, éthanol : pas de nouvelle offre de l’UE à la conférence de l’OMC
En définitive, lors de la conférence de l’OMC à Buenos Aires, l’UE n’aurait présenté aucune offre améliorée sur le bœuf et l’éthanol. Ce qui peut être regardé à priori comme une surprise, tant la volonté était grande d’aboutir du côté de la Commission européenne, montre à quel point certains pays, dont la France, ne veulent pas céder dans ces domaines de l’agriculture
Où en est-on aujourd’hui ? L’Union européenne a proposé des continents tarifaires d’importation pour les produits jugés sensibles, lesquels devant être ouverts graduellement en six étapes annuelles égales, mais la France se montre réticente et les organisations et coopératives européennes (Copa-Cogeca) juge « inacceptable que la viande bovine, le sucre et l’éthanol soient inclus dans l’offre d’accès au marché européen ».
En ce qui concerne le sucre, un contingent de 1 100 tonnes serait sur la table pour des sucres spéciaux. Quant à l’éthanol (fabriqué à partir de la canne à sucre), la Commission européenne met en avant qu’elle a durci sa position depuis 2004, avec une offre de 600 000 tonnes, diminuée ainsi de 40 % et dont l’industrie européenne manque du fait d’un manque de production européenne.
S’agissant de la viande bovine, ce secteur, comme dans le cas du CETA, constitue la principale pierre d’achoppement avec la France. Aujourd’hui, ce sont 180 000 tonnes de bœuf (sans hormone) qui pénètrent dans l’espace communautaire, dont 66 000 à taux zéro.
Très compétitive, la filière sud-américaine pénètre sans difficulté le marché européen, malgré des tarifs douaniers très élevés.
Du coup, la Commission européenne est prête à accorder un quota supplémentaire en franchise de droit de 70 000 tonnes, concentré sur des segments qui ne soient pas ceux où sont positionnés les Européens comme les découpes nobles, et divisé à part égale entre les deux types de produits, frais et congelés. Côté français, polonais et irlandais, on s’inquiète, d’autant que les pays sud-américains, de leur côté, demandent un quota de 100 000 tonnes.
A contrario des déclarations apaisantes de l’exécutif européen, du côté des opposants à un accord avec le Mercosur, on affirme que ce seront comme avec le Canada les morceaux destinés à des marchés haut de gamme (entrecôte, aloyau, filet, etc.), qui entreront sur le marché européen, mais avec des prix bien inférieurs.
Industrie : élimination des droits de douane
« L’opinion publique française doit regarder l’accord dans son ensemble. C’est en premier lieu au gouvernement français que revient la responsabilité de vendre cet accord à ses citoyens », n’avait pas osé hésité à formuler la commissaire à la Commerce, Cecilia Malmström, avant la conférence de l’OMC
Côté agroalimentaire, les discussions butent, côté sud-américain, sur les vins et les produits laitiers. « nous avons demandé à nos partenaires une proposition rehaussée, ce qui n’a pas été fait », déplore-t-on du côté de la Commission européenne.
S’agissant de l’industrie, le Mercosur a accepté d’éliminer ses 35 % de droits douane, ce qui devrait favoriser les exportations européennes d’automobile, de machines, de produits chimiques et pharmaceutiques, de matériel médical. Seul le cas du textile semble ne pas être tranché, le Mercosur craignant la puissance de l’industrie européenne. Ainsi dans ce domaine, pour l’essentiel, les Européens ont obtenu satisfaction.
Le fait que les discussions avec les pays latino-américains n’aient pas été achevées lors de la conférence de l’OMC ne remet pas en cause l’objectif du président de la Commission, Jean-Claude Juncker, qui, lors son discours sur l’état de l’Union en septembre, avait placé cet accord parmi ceux qui devaient être « finalisés » avant la fin du mandat de l’exécutif européen en juillet 2019.
Il est, toutefois, probable que les deux parties voudront conclure avant fin mars 2018, en raison des élections présidentielles d’octobre au Brésil. En effet, dans ce pays, la loi oblige tout candidat à démissionner six mois avant l’échéance.
François Pargny
* Lire au sommaire de la LC d’aujourd’hui : UE / Japon : un accord de libre-échange aux dépens des Etats-Unis et sur notre site en accès libre : UE/Japon : l’accord de libre-échange devrait entrer en vigueur début 2019
Pour prolonger :
– R. Jaguaribe (Apex-Brasil) : « C’est mûr pour un accord UE-Mercosur »
– UE / Mercosur : la Commission veut conclure avant 2018, malgré les réticences françaises
– UE / Mercosur : le libre échange oppose lobbies agricoles et industriels
– UE / Mercosur : le bloc sud-américain espère signer un accord de libre-échange en 2017
– Brésil / France : Rio de Janeiro veut parier sur la Smart City
– UE / Mercosur : le scandale de la viande avariée brésilienne pèse sur les négociations
– France / Brésil : M. Pereira promet aux entreprises françaises de s’attaquer à la bureaucratie