Que va-t-il se passer d’ici deux mois et demi si Madagascar a épuisé ses ressources en devises ? « Alors certes, la Banque nationale a fermé le tuyau des devises et, du coup, les importations flanchent, mais les exportations sont toujours aussi faibles et l’activité à l’intérieur du pays est également ralentie », déplore un opérateur économique à Tananarive.
« Depuis un mois, les entreprises subissent des délestages en électricité d’une durée moyenne de huit heures chaque jour », précise-t-il encore à la Lettre confidentielle. Et le Groupement des entreprises de Madagascar (Gem), c’est-à-dire la confédération patronale, réclame à corps et à cri le retrait de l’arrêt ministériel obligeant tout exportateur de marchandises et tout prestataire de services à céder, dans un délai de 30 jours, l’ensemble de ses recettes d’exportation sur le Marché interbancaire de devises.
Exportations en berne et harcèlement fiscal
Le Gem est d’autant plus inquiet que les dernières données disponibles en 2013 montrent que près d’un tiers des sociétés exportatrices ne sons pas parvenues à maintenir le niveau de leurs ventes à l’étranger. Enfin, on parle de plus en plus ouvertement de harcèlement fiscal, ce qui étant bon pour les recettes publiques ne l’étant pas forcément pour les milieux d’affaires.
Or, il ne faut pas compter sur le Fonds monétaire international (FMI) pour éclairer la situation économique de la Grande Ile. Selon un proche du dossier, en octobre dernier, la dernière mission du FMI a bien lâché du bout des lèvres un « en bonne voie » pour qualifier les progrès économiques enregistrés sous la présidence de Hery Rajaonarimampianina (dit Hery); mais ce serait plutôt l’adjectif «insuffisant », prononcé à huis clos selon cette source, qu’il conviendrait de retenir, « puisque l’organisation internationale a refusé de délivrer la deuxième tranche de 47 millions d’euros, prévue dans le cadre d’une facilité de crédit rapide (FCR) d’un montant global de 87 millions, dont une première tranche de 40 millions a été versée ».
De même source, la deuxième tranche était subordonnée aux réponses apportées par le gouvernement à un formulaire comportant 60 questions sur des thèmes aussi divers que la finance, la bonne gouvernance, la lutte contre la corruption, les trafics, en particulier du bois de rose, la sécurité des personnes et des biens, notamment des investissements.
Une nouvelle mission du FMI pas avant six mois
Faute d’avoir convaincu le FMI, Madagascar devra donc attendre une nouvelle mission de l’organisation, en principe dans six mois, en espérant cette fois-ci lui donner les bonnes réponses. Henri Rabarijohn, un ancien de la Société financière internationale (SFI), filiale de la Banque mondiale, nommé par le président Héry à la tête de la cellule Relations avec les partenaires techniques financiers (PTF), s’est bien envolé pour Lima aux Assemblées annuelles du FMI et de la Banque mondiale. Mais en vain.
Les bailleurs de fonds veulent que l’État arrête de subventionner des grandes entreprises publiques, à l’instar d’Air Madagascar et de la compagnie d’électricité Jirama, qui recevrait ainsi plus de 100 millions d’euros par an. « Cela fait trente ans que la Banque mondiale l’exige. Tananarive vient encore d’écarter pour Air Madagascar de possibles partenariats avec les compagnies émiraties et Air Austral, préférant engager un nouveau directeur général, le Canadien Gilles Filiatreault, spécialiste du redressement des compagnies aériennes », s’étrangle un bon connaisseur du dossier.
La Banque mondiale demande « des résultats très concrets visibles »
Les 20 millions de Malgaches sont soumis à une dette publique extérieure légèrement supérieure à 2,15 milliards d’euros et le ministre des Finances, François Gervais Rakotoarimanana, vient de chiffrer les besoins nationaux pendant les quatre prochaines années à 4,7 milliards. Or, 1,6 milliard serait à ce jour assuré, pas plus. Lors de la réunion à Lima avec les PTF, la responsable pays de la Banque mondiale, Coralie Gevers, a, toutefois, indiqué que Madagascar se trouvait sur la liste des bénéficiaires des aides budgétaires en 2016. Elle a également déclaré que le gouvernement devait « s’assurer que les réformes entamées aient des résultats très concrets visibles ».
Vœu pieu ou véritable pression, toujours est-il que la situation est ubuesque. « La loi de finances rectificative 2015 et la loi de finances 2016, pourtant validées par le Conseil des ministres, n’ont ni l’une ni l’autre été présentées aux députés, parce que l’exécutif craint de subir un revers au Parlement, à quelques semaines d’élections sénatoriales retardées, mais qui devraient finalement se tenir avant la fin de l’année », rapporte un des interlocuteurs de la LC à Tananarive.
Ce sont les deux tiers des sénateurs qui seront élus, en principe lors du scrutin du 29 décembre. Pendant ce temps, dit-on dans la capitale, le Premier ministre, Jean Ravelonarivo, prépare déjà les élections présidentielles, « se prépare », y précise-t-on même. Il aurait tenté de créer son parti, mais aurait été obligé de faire marche arrière à la demande express de l’entourage présidentiel. Peu importe, l’ancien général d’aviation a envie de piloter une radio. Il serait même déjà aux commandes d’une chaîne commerciale de télévision, après y avoir acquis une participation majoritaire. Le scrutin pour le prochain chef d’État doit se tenir en décembre 2017.
François Pargny