Depuis le début des années 2020, les grandes marques mondiales du luxe accélèrent leur développement en Inde, marché porté par un nombre croissant de consommateurs fortunés. Malgré les habituelles complexités réglementaires, les opportunités sont nombreuses. A condition de maîtriser les habitudes et tendances de consommation, préconise une récente étude du cabinet Kearney.
Mumbai est devenue en 2024, devant Pékin, la ville d’Asie comptant le plus de milliardaires (93 contre 85). Selon Kearney, l’Inde devrait compter 1,5 million de millionnaires en dollars d’ici 2027. Alors qu’il représentait 7,74 milliards de dollars (Md USD) en 2023, le marché du luxe devrait bondir à 12 Md USD en 2028.
En septembre dernier, une étude d’Hurun calculait que les fortunes compilées des ultrariches représentait les PIB combinés de la Suisse et de l’Arabie saoudite. Alors que le dynamisme du marché chinois s’essouffle, les grandes marques de la mode, de la joaillerie, de la beauté ou de l’horlogerie renforcent leurs positions sur ce marché en plein essor et les acteurs Français ne sont pas en reste.
Mode et joaillerie, chasses gardées des marques locales
Hermès a ouvert deux boutiques il y a un an (à Mumbai et New Dehli), Accor vient d’annoncer la construction d’hôtels Raffles et Sofitel Legend au Rajasthan, les Galeries Lafayette doivent ouvrir un magasin à Bombay l’an prochain et un autre à New Delhi en 2026 et Cartier et Louis Vuitton sont présents au Jio World Plaza, nouvelle galerie marchande de Mumbai.
Par ailleurs, L Catterton, la société de capital-investissement adossée à LVMH, a créé en 2024 une coentreprise en Inde pour y développer des investissements.
Si le potentiel du marché du luxe est incontestable, les habitudes de consommations des ultrariches diffèrent largement de celles des Chinois et des Occidentaux. Dans certains segments, les amateurs de produits de luxe privilégient des marques locales dont les collections suivent les codes culturels indiens. Dans la mode, les créateurs Manish Malhotra et Sabyasachi dominent le marché. La tradition joaillière du pays donne également une longueur d’avance aux acteurs nationaux, comme Titan et Tanishq.
Ruée sur les montres suisses
A l’inverse, sur le segment des montres, la production suisse devrait rapidement se développer. En mars 2024, l’Inde a en effet signé un accord commercial avec l’Association européenne de libre-échange regroupant quatre pays européens non-membres de l’UE (Lichtenstein, Islande, Norvège et Suisse). Il prévoit notamment la réduction des droits de douane sur sept ans.
Les ventes de montres suisses devraient en conséquence augmenté de 18 % par an selon les projections de Kearney, une croissance bien supérieure à celle de la mode, attendu à 7 %.
En outre, les critères d’achat varient également. Quel que soit leur degré de richesse, les amateurs de luxe privilégient l’affichage de leur statut social et la valeur matérielle du produit. La renommée internationale des marques leur importe moins que leur succès ou leur exclusivité. Dans ce contexte, jouer la carte de la French Touch n’est pas forcément le plus pertinent. En revanche, inclure des particularités de la culture indienne est particulièrement apprécié.
Puiser dans l’héritage indien
Par exemple, Dior a travaillé avec l’artiste indienne Kalyani Chawla pour créer une collection de sacs à main en édition limitée avec des broderies et des motifs indiens. En 2023, la marque a également marqué les esprits en organisant son défilé pré-automne à Mumbai, devant la Porte de l’Inde et le Taj Mahal.
Cartier, auquel le Maharadja Bhupinder Singh commanda en 1928 le célèbre collier de Patalia, estimé à 2,3 Md EUR (cours de 2023), a créé une division spéciale pour les consommateurs indiens et la diaspora.
L’étude de Kearney souligne cependant l’existence de freins au développement du marché du luxe.
Des freins au développement du Luxe
Les droits d’importation et les taxes étant parmi les plus élevés au monde, les Indiens préfèrent faire leur shopping à Singapour, Dubaï et même Paris et Milan. Les consommateurs indiens peuvent attendre jusqu’à ce qu’ils aient l’occasion de faire du shopping à l’étranger.
Par ailleurs, alors que les marques de luxe ont élargi leur offre de boutiques en dur, l’ouverture d’un lieu de vente au détail en Inde reste un défi. Cela s’explique notamment par des réglementations strictes sur la propriété commerciale.
Enfin, si l’Inde est souvent comparée à la Chine, le marché du luxe est encore embryonnaire et ne bénéficie pas des mêmes infrastructures. En 2023, le marché chinois du luxe a réalisé un chiffre d’affaires 7 fois supérieur à celui de l’Inde. De plus, la croissance du nombre de millionnaires et de milliardaires a eu beau progresser de 15 % en un an, elle reste nettement inférieure à leur augmentation de 24 % en Chine.
Sophie Creusillet