La contestation sur la réforme des retraites s’invite dans le commerce extérieur. La nouvelle opération « ports morts » lancée pour 72 Heures (14-16 janvier) par la Fédération nationale des ports et docks (FNPD) CGT, paralysant le trafic maritime international et le déportant vers d’autres ports européens comme Barcelone ou Anvers, provoque une onde de choc dans toute la filière de la logistique et du transport internationaux français. « Ses conséquences sont dramatiques pour la compétitivité française » souligne-t-on au siège de TLF Overseas, fédération qui regroupe les organisateurs de transports internationaux, transitaires et commissionnaires.
Une succession de grèves et blocages depuis début décembre
Cette nouvelle opération « ports morts » à l’appel de la FNDP CGT pour réclamer le retrait pur et simple du projet de réforme intervient en effet après une succession de grèves perlées et de blocages d’accès aux ports tout au long du mois de décembre et depuis le début du mois de janvier, suivis dans tous les port maritimes de France par les dockers, et relayés par les personnels des sociétés opérant dans la manutention, les écluses, le remorquage. Sans remorqueur, les navires restent au large, les conteneurs ne sont même pas déchargés, les bateaux sont détournés vers les ports les plus proches.
Les principaux ports maritimes sont touchés. Pour décembre, les professionnels comptabilisent 5 jours de grèves (5, 10, 12, 17, 19), une journée de blocage d’accès de la zone industrielle du port du Havre (12), et 3 jours de grève des remorqueurs (17, 18, 20). Pour janvier, déjà 4 jours de grèves des dockers (14, 15,16), relayés par 3 jours de grève des remorqueurs (17, 18,19), et 3 jours de blocage des accès aux zones portuaires (9,10, 11)… A cela s’ajoute les intempéries qui ont perturbé l’activité du Havre du 6 au 9 décembre (inondations obligeant à fermer les terminaux).
Chute d’activité drastique
Pas de quoi renforcer la cote des ports français auprès des compagnies maritimes et de leurs clients nationaux et étrangers. Le commerce extérieur risque d’en pâtir fortement : plus de 46 % des échanges marchandises de la France avec les pays tiers (hors Europe) passent par les ports maritimes selon des chiffres de l’Union européenne.
Les responsables des ports maritimes font leurs comptes : le port du Havre, premier port à conteneurs de France, a vu 40 % des escales annulées depuis début janvier, après déjà 25 % en décembre, et la perte de chiffres d’affaires atteindrait 40 % depuis le début de la contestation sur la réforme des retraites, le 5 décembre. Pour Marseille-Fos, numéro 1 pour le trafic d’hydrocarbures, la perte d’activité serait du double, soit 80 %. On ne connaît pas l’impact sur les autres ports maritimes touchés par les mouvements sociaux comme Dunkerque ou Rouen, premier port céréalier.
Mais au-delà des ports eux-mêmes, c’est toute la chaîne logistique française qui souffre, subissant retards de livraisons et fortes perturbations dans l’organisation du transport et des hausses de coûts : transitaires, commissionnaires de transports, transporteurs et … clients qui ne reçoivent pas en temps et en heure leur marchandise. Sans compter les pertes de chiffre d’affaires : selon une source à l’Unostra -une organisation de transporteurs de marchandises- citée par Les Echos, les entreprises du secteur des transports auraient déjà encaissé des pertes de chiffre d’affaires de 30 % minimum.
De quoi justifier que ces professionnels lancent un cri d’alarme. Le 14 janvier, dans un communiqué commun, TLF, TLF Overseas et la Fédération nationale des transports routiers (FNTR), qui représentent 80 % des flux de transport en France, ont appelé les pouvoirs publics à débloquer les ports et à prendre des « mesures immédiates de soutien aux entreprises. Car qui va payer les surcoûts, qui se chiffrent en millions d’euros, provoqués par les retards ou les détournements vers d’autres ports européens ?
« Les commissionnaires de transport ne peuvent pas supporter seuls l’impact économique de la grève !», assène le texte. Eric Hémar, président de TLF et Herbert de saint Simon, président de TLF Overseas, ont demandé dans un courrier adressé à l’ensemble des compagnies maritimes opérant sur les ports français et aux entreprises de manutention « l’exonération de tous les jours de grève dans le calcul des frais de stationnement, gardiennage, branchement des conteneurs reefers, détention et surestaries ».
TLF a également demandé à être reçu par le gouvernement avant la fin de la semaine. La FNTR avait, elle, été reçue en décembre à Bercy pour évaluer les mesures de soutien à la filière, qui comprend de nombreuses TPE et PME, touchée de plein fouet par les mouvements sociaux. « Cette situation doit maintenant faire l’objet d’un traitement à la hauteur des enjeux en matière de déblocage et d’accompagnement des entreprises » souligne son président dans le communiqué.
«L’activité du transport de marchandise est en péril. Sans ports, pas de commerce extérieur ! » renchérit Herbert de Saint Simon. Au-delà des conséquences dramatiques pour les entreprises, « c’est l’image de la filière maritime qui est touché durablement » conclut le communiqué commun.
La situation fait tâche, en effet, alors que la France vient de se doter d’un plan d’action logistique et d’une plateforme de dialogue entre les professionnels et le gouvernement, France logistique, pour redresser la compétitivité de la plateforme logistique française. L’enjeu : récupérer le trafic et le dédouanement perdus au profit des grandes plateformes concurrentes du nord de l’Europe ou de la Méditerranée. La partie est pour l’instant mal engagée.
Christine Gilguy