Le commerce international est aussi une affaire de carte. Il y avait la « banane bleue », le plus ancien des corridors logistiques européens reliant les pays du Benelux à la région nord de l’Italie. Mais de nouveaux corridors de distribution vont émerger en Europe d’ici 2030 pour faire face à la saturation de certains axes, notamment routiers, alors que les volumes de fret, de même que les coûts, augmentent. Dans une étude publiée le 21 janvier (en anglais) et intitulée « The changing face of distribution: the shape of things to come »**, Cushman & Wakefield, leader de l’immobilier logistique, table à cet égard sur l’émergence de huit nouveaux corridors de distribution – dans le jargon des « bananes logistiques »- intégrant les orientations du réseau central de transport transeuropéen RTE-T (en anglais TEN-T)* mais aussi l’initiative chinoise « One road, one belt » des nouvelles routes de la soie.
Les enjeux : augmentation du fret, contraintes environnementales
L’enjeu est considérable : il s’agit de répondre à une demande de transport de marchandises en Europe continentale qui, selon les prévisions d’Eurostat, devrait presque tripler (+182 %) d’ici à 2050, et, rien que pour les dix prochaines années, bondir de 22 %. Or, les coûts augmentent : « actuellement, le transport représente environ la moitié de l’ensemble des coûts de logistique, estime Lisa Graham, responsable Logistics Research & Insight pour la région EMEA chez Cushman & Wakefield. Ces coûts sont susceptibles d’augmenter à nouveau dans le cas d’une immobilisation du secteur qui serait attribuable à l’engorgement du réseau routier, à la pénurie de main-d’œuvre et à l’intensification des réglementations concernant les émissions de dioxyde de carbone ».
A cet égard, l’augmentation des coûts d’exploitation combinée aux impacts environnementaux négatifs du transport de marchandises – qui concernent pour la plupart la route (avec une hausse estimée de 40 % en 2030 et de 80% en 2050) – exerce une pression sur les acteurs qui n’auront d’autre choix que d’adapter leurs modes de transport, leurs chaînes d’approvisionnement et leurs sources de carburant. En outre, selon Cushman & Wakefield, d’autres facteurs poussent à un développement de nouveaux corridors logistiques : le commerce électronique, les nouvelles technologies comme l’Internet des objets (IoT – Internet of Things), la connectivité multimodale croissante et les réseaux de transport. Sans oublier l’impact à venir de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne.
Les huit nouveaux corridors clés
Dans ce contexte, pour Cushman & Wakefield, les huit corridors de distribution clés qui émergeront d’ici 2030 sont les suivants :
– La « Banane bleue », le corridor d’origine : voie d’acheminement des marchandises internationales en Europe via les ports du Benelux, elle passe par la Rhénanie et va jusqu’à la région nord de l’Italie. « L’importance croissante des ports méditerranéens devrait étendre cette dorsale en y incluant Gênes en Italie », estime l’étude.
– Le corridor britannique : après le Brexit, au moment où les réseaux maritimes, routiers et ferroviaires du Royaume-Uni vont officiellement cesser de faire partie du corridor mer du Nord / Méditerranée du réseau central RTE-T, les chaînes d’approvisionnement britanniques seront de plus en plus tournées vers leur territoire national. « Le Brexit devrait accroître la dépendance de l’industrie de la logistique à l’égard des ports britanniques », estime l’étude.
– Le corridor irlandais : une nouvelle voie maritime à courte distance est établie entre les ports de Cork et de Dublin en Irlande et les ports de Zeebrugge et Anvers en Belgique. « Il est probable que, du fait de la capacité limitée du port de Zeebrugge, la demande logistique soit redirigée vers le port voisin de Gand en Belgique, voire Zélande aux Pays-Bas », estime l’étude.
– Le corridor ibérique : les bassins de main-d’œuvre qualifiée et à moindre coût existant en Espagne et au Portugal attirent déjà les fabricants automobiles allemands. « La création de lignes ferroviaires et d’autres liaisons de transport devrait favoriser l’essor du trafic de distribution au cours des 5 à 7 prochaines années », estime l’étude.
–Le corridor d’Europe centrale : les développements autoroutiers et ferroviaires du réseau central RTE-T ont déjà amélioré la distribution le long de ce corridor existant. « Si ce corridor s’étend finalement jusqu’à la région nord de l’Italie, il pourra rejoindre la « Banane bleue » via Bologne et Milan », estime l’étude.
–Le corridor de la mer du nord : la distribution le long de ce corridor qui relie le port de Hambourg à Copenhague et Malmö va sensiblement s’améliorer avec l’achèvement en 2021 du tunnel Rodby-Puttgarden qui sera accessible à la fois aux poids lourds et aux trains de marchandises, estime l’étude.
–Le corridor de la mer noire : un futur corridor de distribution qui sera relié à la « banane » d’Europe centrale une fois que la branche du réseau ferroviaire et autoroutier Rhin-Danube du RTE-T reliant Budapest à la mer noire sera achevé. « Par conséquent, les marchés roumains comme Bucarest devraient jouer un rôle crucial dans le développement de la logistique », estime l’étude.
–Le corridor des pays Baltes : l’importance croissante des pays Baltes en tant que sites de fabrication dépendra de la construction des réseaux autoroutiers et ferroviaires du RTE-T qui relieront cette région à la Finlande, à la Pologne, à la République tchèque et à l’Allemagne. « Avec les investissements significatifs qui s’imposent en matière d’infrastructures, ce corridor de distribution devrait se développer sur le long terme », estime l’étude.
« Nos futurs corridors logistiques ont été pensés en gardant à l’esprit les carburants alternatifs et le transport multimodal, commente Rob Hall, responsable Logistics and Industrial pour la région EMEA chez Cushman & Wakefield. Pour rester réalisable à l’avenir, le transport routier doit devenir progressivement autonome ou connecté afin de désengorger le réseau autoroutier et améliorer la sécurité. Rendre le transport routier plus durable sur le plan environnemental est une évidence. D’ici 2030, tous les principaux corridors autoroutiers devront proposer des stations de charge pour les carburants alternatifs et d’autres technologies vertes. Le défi que doivent relever les secteurs publics et privés est de rendre ces solutions durables à la fois rentables et pérennes ».
C.G
*L’intégralité de l’étude (en anglais) est dans le document attaché à cet article