Que va-t-il se passer en Libye, maintenant que le Conseil de sécurité de l´Onu a voté l´instauration d´une zone d´exclusion aérienne dans le ciel libyen, afin de protéger les civils des bombardements des forces pro-Kadhafi ? En principe, la résolution de l´Organisation des Nations Unies ouvre la voie à des frappes aériennes. Tripoli vient d’anoncer un cessez-le feu. Et le 19 mars, la France organisera un sommet d´urgence avec la Ligue arabe, l´Union africaine et l´Union européenne.
Sur le champ de bataille, le régime en place a regagné progressivement le terrain perdu depuis le début de la rébellion. Les forces du colonel Kadhafi se sont ainsi rapprochées de la grande ville de l´est, Benghazi, siège du Conseil national de transition (CNT), et ont bombardé à l´ouest la cité portuaire de Misrata.
Quelles seront les répercussions pour la France ? « Il faudra attendre une semaine, peut-être dix jours pour y voir plus clair », estimait-on, encore hier soir, dans la communauté française, avant le vote de la résolution. Tripoli a annoncé la fin des contrats avec la France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis et s´est rapproché des compagnies indiennes, chinoises et russes pour valoriser son potentiel dans les hydrocarbures. Mais, quant à imaginer une rupture totale avec l´Occident, « non, il y aura des négociations », prévoit Serge Badran, qui préside la section Libye des Conseillers du commerce extérieur de la France (CCEF). « Mouammar Kadhafi est un homme pragmatique », renchérit Ismail Fahmy, directeur Moyen-Orient de Soufflet Négoce, qui note que les attaques à l´encontre de la France ne visent pas « le peuple français », mais « le seul président Sarkozy ».
D´ailleurs, les propos du Guide Suprême sont contradictoires, celui-ci ayant aussi appelé les entreprises occidentales à reprendre leurs activités dans le pays. « Ce n´est pas la première fois qu´il y a des crises en Libye et la France a toujours gardé une présence », observe avec sang-froid Michel Casals, président de la Chambre de commerce franco-libyenne.
Deux secteurs vitaux : les hydrocarbures et l’alimentation
Pour le régime en place, deux secteurs d´activité sont vitaux : les hydrocarbures et l´alimentation. Le gaz et le pétrole fournissent, en effet, la quasi-totalité des revenus et des devises de la Libye. La pression pour que les compagnies occidentales reprennent leur activité risque de s´accroître. Les entreprises internationales craignent ainsi que les cautions versées dans le cadre de contrats leur soient confisquées.
Avant le vote de l’Onu, la puissante compagnie pétrolière italienne Eni avait appelé à un abandon des sanctions économiques contre la Libye (gel des avoirs…). Peur pour le géant italien de voir son personnel pris en otage sur le terrain ? Intérêt bien compris de l´Italie, dont l´approvisionnement en pétrole dépend à 22 % de la Libye, contre 15 % pour la France (11 % pour la moyenne européenne) ? En l´occurrence, l´Etat maghrébin représente 2,3 % de la production totale du français Total, soit 55 000 barils par jour en 2010.
L´alimentation est aussi vitale, tant en période de paix que d´économie de guerre. Preuve en est, à Tripoli, le fonctionnement normal de l´usine de lait Candia. En revanche, le groupe Soufflet a considérablement baissé ses livraisons de farine, en raison des difficultés de paiement qui s´amoncellent. « Les navires refusent d´accoster en raison des risques, les importateurs ne peuvent payer en raison des difficultés de transfert », explique Ismail Fahmy.
De grands projets d’infrastructures qui intéressent les Français
Aujourd´hui, les seuls paiements garantis dans les affaires d´import-export sont les lettres de crédit confirmées et irrévocables. S´agissant de l´exécution des contrats avec des entreprises publiques, tout retard peut à priori déboucher sur des amendes et des astreintes. Toute suspension peut aussi aboutir à l´annulation du contrat, avec perte des garanties avancées, sauf si l´entreprise fait valoir un cas de force majeure.
Quelque soit le vainqueur sur le terrain, il voudra peut-être relancer le développement du pays « dans des conditions meilleures », suppute-t-on à Paris. Les groupes français sont intéressés par les grands projets d´infrastructure, comme le métro de Tripoli ou le réseau ferroviaire. De grandes entreprises étaient jusqu´à présent très actives en Libye, comme Vinci Construction ou Bolloré, retenu en janvier pour la gestion du port de Misrata. Les chantiers STX, à Saint-Nazaire, devaient construire un navire de croisière.
EADS se trouve dans une position particulière, puisque le champion européen n´a pas livré les quatre derniers Airbus achetés par la Libye et tout un stock de pièces de rechange lui reste sur les bras. Globalement, les exportations de la France vers la Libye restent modestes : à peine un milliard d´euros en 2010. Il semble, en revanche, que Tripoli n´ait pas hésité à acheter des armements français. Pour des entreprises comme Thales, qui ne vendait en Libye que du matériel militaire, les temps pourraient être plus difficiles.
François Pargny