Entamés depuis juillet 2013, les pourparlers entre les deux premières puissances commerciales de la planète, États-Unis et Union européenne, pour un accord de libre échange (ALE) dit de troisième génération, englobant le commerce, l’investissement, les normes et les systèmes réglementaires, mobilisent actuellement toutes les énergies au sein de la classe politique mais aussi des milieux d’affaires. Après l’audition du secrétaire d’État français au Commerce extérieur, Matthias Fekl, devant la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale (lire ici l’article du Moci), le Projet de partenariat transatlantique sur le commerce et l’investissement (PPTCI/en anglais TTIP pour Transatlantic Trade and Investment Partnership) a été l’un des sujets phares, le 23 mars, d’un colloque du CNCCEF (Comité national des conseillers du commerce extérieur de la France), sur « les enjeux et les priorités de la nouvelle Commission », ouvert par le commissaire européen aux Affaires économiques et monétaires, Pierre Moscovici, avec le méga plan de relance Juncker (lire ici l’article du Moci).
« La très grande priorité » : les marchés publics
Pour le Mouvement des entreprises de France (Medef), sa vice-présidente en charge des négociations commerciales, Emmanuelle Butaud-Stubbs, a clairement indiqué que la priorité de la fédération patronale est la question des barrières non tarifaires (BNT) qui concernent les marchés publics, les normes, les services ou encore les règles d’origine. « Très clairement, dans le cadre du Partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement, les enjeux pour la France sont d’abord non tarifaires».
Sur ce sujet, « la très grande priorité est l’accès aux marchés publics pour nos entreprises dans le traitement des eaux ou l’énergie » dans un pays avec une multiplicité d’acteurs, a précisé Emmanuelle Butaud-Stubbs, citant, parmi les acteurs, « l’État central, mais aussi les États de la fédération, les comtés et les municipalités ». Le système fédéral, selon la représentante de Medef, « conduit obligatoirement à donner une préférence aux sociétés américaines ». Et à ce stade de la négociation, Washington, qui ne veut pas renoncer au principe du traitement national, négocie donc seul. Les États n’ont pas été associés. Or, il est essentiel d’obtenir aussi une ouverture des marchés publics au niveau subfédéral.
Même si les marchés publics sont la priorité, les pics tarifaires qui frappent certains produits aux Etat-Unis sont aussi dans les sujets suivis avec attention par le patronnat français. Emmanuelle Butaud-Stubbs a ainsi cité en exemple le textile-habillement, secteur qu’elle connaît bien puisqu’elle est aussi la déléguée générale de l’Union des industries textiles (UIT). Selon elle, les États-Unis dans ce domaine appliquent des droits de douane « jusqu’à 18, 20, 30, 40 %, alors même qu’ils ne fabriquent pas de produits textiles ». Mais, ajoutait-elle, «ces taxes génèrent des recettes douanières importantes pour l’Etat fédéral ».
Outre le textile-habillement, les droits de douane existent aussi « dans les pneumatiques ou l’agroalimentaire », a mentionné de son côté Jean-Luc Demarty, directeur général du Commerce à la Commission européenne, précisant que « les exportations françaises de produits agricoles aux États-Unis sont six fois supérieures aux importations » et « la France a des intérêts offensifs dans les produits laitiers, très transformés et les vins et spiritueux, les boissons alcoolisées ». Le Medef pour sa part demande un abandon total des droits de douane dès l’entrée en vigueur du TTIP ou, à défaut, une levée graduelle et réciproque.
La réduction des règlements profiterait d’abord aux PME
Autre sujet fondamental pour le patronat français, la normalisation et les systèmes réglementaires qui peuvent toucher l’automobile, la pharmacie ou le matériel médical. Dans ce domaine, aussi le caractère fédéral de l’Etat américain ne facilite pas les négociations. « Ce qui complique, c’est aussi l’existence d’agences », a ainsi remarqué la responsable de l’organisation patronale. « Si les normes concernent de nouveaux sujets, alors il est possible de partager la même analyse du risque et de décider de normes communes. En revanche, sur des sujets existants, ce sera plus difficile », a précisé Jean-Luc Demarty, qui estime, par exemple dans l’automobile, que « les systèmes étant très proches en matière de sécurité, une reconnaissance mutuelle de certaines réglementations est possible ».
A propos des réglementations, « tout ce qui peut faciliter les échanges est bienvenue : réduction des coûts, suppression des contrôles pour les produits à double usage, élaboration des règles d’origine, etc. », a insisté Emmanuelle Butaud-Stubbs. Pour elle, « les PME devraient être les principaux bénéficiaires, car le coût d’adaptation à la réglementation est disproportionné par rapport aux grandes entreprises ». Des propos repris par Claire Cheremetinski, sous-directrice en charge de la Politique commerciale et de l’investissement à la Direction générale du Trésor (DG Trésor), selon laquelle « les grandes entreprises ont les moyens d’investir sur place, ce qui n’est pas forcément le cas des PME ».
Enfin, le Medef demande une libéralisation des services et une protection forte des investissements. En ce qui concerne « l’incorporation des services financiers (dans les négociations NDLR), ce n’est pas satisfaisant. Nous nous heurtons à une fin de non recevoir de la part des États-Unis, malgré l’insistance de la Commission européenne », a déploré Emmanuelle Butaud-Stubbs.
Compte tenu de l’importance des sujets en négociation, et surtout des blocages, il est improbable qu’un accord soit signé d’ici la fin de l’année. D’autant que de l’autre côté de l’Atlantique le président des États-Unis n’a pas encore obtenu du Congrès le mandat de négociation Trade Promotion Authority (TPA) permettant à l’exécutif américain de mener librement les discussions commerciales. Si l’Administration Obama ne disposait pas de la TPA cet été, alors « ce serait beaucoup plus compliqué », a reconnu Jean-Luc Demarty. Car, en novembre prochain, des élections générales sont prévues dans ce pays.
François Pargny
Pour prolonger :
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