Depuis l’adoption le 6 août 2014 de l’embargo russe sur les produits alimentaires européens (sauf vins, spiritueux, produits pour bébés), les exportateurs français cherchent les solutions logistiques les plus performantes. Un thème abordé par Marina Jordanova, responsable Logistique pour la Russie et la Communauté des États indépendants (CEI) chez DSV (prestataire international de transport et logistique), lors d’un atelier d’informations intitulé « Russie, comment travailler pendant les sanctions ? », organisé par CCI Paris Ile-de-France, le 10 décembre dernier, avec le soutien du réseau Enterprise Europe. La Lettre confidentielle y était et revient sur l’essentiel.
« Dès le 7 août, les sanctions russes ont commencé à être appliquées, les premiers camions de produits alimentaires à être refoulés à la frontière et les prix du transport à faire du yoyo », se souvient Marina Jordanova. Comme le Premier ministre russe, Dimitri Medvedev, avait déclaré que l’embargo était une réponse aux sanctions de l’Union européenne (UE) et applicable un an, « les transporteurs logisticiens ont pensé alors que çà n’allait pas durer », relatait encore la responsable de DSV devant un parterre d’une trentaine d’entreprises au total invitées à la réunion de CCI Paris Ile-de-France.
Les délais d’attente s’allongent aux Douanes russes et européennes
Aujourd’hui, le conflit n’étant pas éteint en Ukraine, malgré le passage récent de François Hollande à Moscou pour rencontrer son homologue Vladimir Poutine, chacun cherche dans l’urgence à trouver des solutions logistiques, sachant au demeurant que l’embargo pourrait être prolongé, voire d’autres sanctions décidées. Parallèlement, « les exportateurs français ne peuvent ignorer l’existence des sanctions européennes, car elles ralentissent l’activité des Douanes françaises et pèse donc sur la logistique des exportateurs », prévient Marina Jordanova.
En fait, de façon pratique et chronologique, rien n’a véritablement changé, mais c’est le temps qui s’est allongé pour réaliser les opérations de dédouanement-transport-logistique. Ainsi, s’il faut adresser aux Douanes russes une déclaration préalable d’exportation, procédure en vigueur depuis plus d’un an, il est nécessaire également de faire valider la déclaration d’exportation par les Douanes françaises. Or, explique la responsable chez DSV, « on est passé d’un heure à deux, voire quatre jours, les Douanes étant tenues de contrôler que les produits ne sont pas concernés par les sanctions européennes, ce qui a évidemment un coût en terme d’immobilisation des véhicules ». Par conséquent, il est indispensable d’en tenir compte dans les contrats et d’en discuter avec le prestataire logistique pour éviter des pénalités. Au demeurant, « les Douanes françaises sont très ouvertes » et pour « trouver les bonnes solutions » pour fluidifier les contrôles physiques, il ne faut pas hésiter à les contacter, assure Marina Jordanova.
Quant aux documents à fournir aux Douanes russes, ce qui compte, en premier lieu, c’est le code douanier utilisé. Il faut s’assurer que les articles ne soient pas classés dans une catégorie de produits frappés par les sanctions. Ensuite, insiste, sans rire, l’experte de chez DSV, « il est indispensable de soigner tout particulièrement la propreté des documents », les autorités russes étant particulièrement sensibles à « une belle présentation » (originaux avec des couleurs et des tampons bien lisibles…). Les cartons et les palettes doivent, bien évidemment, être étiquetés en russe. Et comme les Douanes russes vont systématiquement vérifier la légalité des biens présentés, il convient de prévoir des délais de transit supérieurs à la normale, car l’attente aux frontières est aussi plus longue.
Les Russes veulent lutter contre les voies de contournement
Pour éviter de passer sous les fourches caudines des Douanes russes, une solution serait de dédouaner en Biélorussie, voie la plus directe en provenance de France, ou au Kazakhstan pour bénéficier de la libre circulation des produits, ces deux pays étant membres avec la Russie d’une Union douanière (que va rejoindre l’Arménie, le 1er janvier prochain).
Autre option pour contourner les sanctions, exporter d’un pays tiers hors UE. Pour la Biélorussie, c’était jusqu’à présent un bon filon puisque du poisson de Norvège ou de la viande européenne transformée sur place pouvait être librement expédié chez son grand voisin. De même, des produits bruts dont les volumes à destination du grand voisin ont soudainement explosé, comme les bananes, ananas et huîtres, et dont certains sont officiellement originaires de Bosnie, telles les poires et les pommes.
Après des tensions entre Moscou et Minsk, « la Biélorussie et le Kazakhstan ont annoncé qu’ils contrôleraient dorénavant leurs réexportations, y compris s’agissant les produits transformés », rapporte Marina Jordanova. « De toute façon, les Russes décident seuls. Peu importe les partenaires de l’Union douanière », observe Ludmila Vilarrasa, conseillère Russie-CEI à la CCI Paris Ile-de-France. En dépit de l’Union douanière, les Douanes impose un contrôle obligatoire à leurs frontières. « Les vérifications sont très complètes. Il est donc important de présenter des documents parfaitement imprimés pour éviter tout risque à priori d’ouverture des camions », selon Marina Jordanova.
Pour la « contrebande », la sanction tombe comme un couperet
Pire, si jamais les Douanes ont un doute pendant un contrôle physique, les marchandises peuvent faire l’objet d’un stationnement sur des terminaux douaniers, le temps qu’une recherche supplémentaire soit effectuée. « Si vous êtes épinglé pour ce que les Russes appellent de la contrebande, la sanction est généralement sévère », prévient encore l’experte de DSV, qui rappelle que Moscou n’a pas hésité à proscrire tout produit originaire d’Albanie, parce qu’il y avait trop de trafic illégal en provenance de ce pays. Preuve encore que les autorités russes ne plaisantent pas, « les Douanes envisagent de constituer des brigades volantes ».
Le principal risque pour un exportateur est que la marchandise soit confisquée, puis réexportée ou détruite. Les sanctions pécuniaires semblent plutôt légères, puisqu’en cas d’exportations illégales, détaille Catherine Joffroy, avocate associée au cabinet Salans FMC SNR Denton Europe, l’amende imposée aux personnes physiques varie entre 24 et 39 euros et peut s’élever pour les personnes morales de 1 550 à 4 650 euros. « Le Service fédéral des Douanes russes, rapporte-t-elle, a identifié 84 cas d’infractions ».
François Pargny