Les journalistes qui étaient invités à couvrir la conclusion du forum franco-qatari le 24 juin au Quai d’Orsay sont restés sur leur faim : tenus éloignés des hommes d’affaires français et qataris qui avaient participé aux trois ateliers concoctés par Medef International et la Chambre de commerce du Qatar, ainsi que du cocktail de clôture, tous tenus à huis clos, ils ont dû se contenter des discours officiels délivrés par Laurent Fabius et Sheikh Ahmed bin Jassim bin Mohammed Al-Thani réaffirmant leur volonté de consolider un partenariat inscrit dans la durée et « la confiance ».
C’est que ce volet économique de la visite officielle en France de l’Émir du Qatar, Cheikh Tamim bin Hamad Al Thani, se déroulait, en début de semaine, dans un contexte international délicat pour celui qui a succédé à son père, le cheikh Hamad, il y a tout juste un an. Polémiques sur les conditions d’obtention de la coupe du Monde de football de 2022 –entachées de corruption -, avalanche de critiques à propos des conditions de travail des ouvriers asiatiques sur les chantiers…
Côté français, bienveillance et soutien étaient au rendez-vous, et il n’a pas été question d’une quelconque remise en cause de l’organisation du Mondial 2022. « Nous souhaitons vous accompagner dans vos projets de diversifications économiques », a notamment déclaré Laurent Fabius, inscrivant l’offre française dans les priorités de la stratégie Vision Qatar 2030 adoptée en 2008 par l’émirat et qui sert de référence à l’action des pouvoirs publics du pays
« Pour explorer l’avenir, il faut faire se rencontrer les entreprises » a souligné le ministre, saluant la tenue de ce forum et la création du Conseil des chefs d’entreprises France Qatar, deux initiatives lancées en juin 2013 lors d’une visite officielle de François Hollande dans l’émirat. Sans oublier de s’adresser aux sociétés qatariennes présentes, invitées à augmenter leurs investissements : « Leurs investissements en France sont les très bien venus » a insisté Laurent Fabius.
Le ministre français a aussi évoqué les domaines dans lesquels il souhaite des efforts accrus : augmenter les investissements croisés entre les deux pays; développer des partenariats dans les technologies du futur; la transition énergétique, notamment dans la perspective de la Conférence sur le Climat que doit accueillir la France en 2015; et enfin un « partenariat économique socialement responsable ». Ce fut la seule allusion au sujet épineux des conditions de travail sur les chantiers qataris : « Je saisis cette occasion pour saluer les efforts du gouvernement qatarien et du comité suprême afin d’améliorer la situation des travailleurs immigrés, a déclaré Laurent Fabius. Je sais que les entreprises françaises implantées au Qatar sont attentives à ce sujet et je les encourage à poursuivre leurs efforts ».
Le ministre qatarien de l’Économie et du Commerce s’est montré sensible aux attentes françaises en annonçant un probable accroissement des investissements qatariens en France, y compris d’origine privée, et en assurant que le Qatar s’inscrivait dans une relation de partenariat « solide et durable », « loin de toute volonté de spéculation ».
Mohammed Al-Thani a aussi affirmé qu’il était conscient « de la nécessité de soutenir les PME pour faire apparaître une nouvelle génération d’hommes d’affaires », renvoyant aux objectifs du Fonds d’investissement French Future Champion, également cité par Laurent Fabius. L’accord pour la création de ce fonds d’investissement dédié aux PME innovantes française avait été signé lors de la visite du président français à Doha, l’an dernier. Il a été, depuis, créé et associe le fonds souverain Qatar Holding et la CDC avec pour objectif de financer les «sociétés du futur ». Il est désormais opérationnel.
Les bases sont déjà solides, le potentiel reste énorme.
D’après les chiffres qui ont été fournis par le ministre qatarien, la présence française au Qatar s’appuie sur 51 sociétés enregistrées à 100 % française et 100 autres coentreprises franco-qatari. Les grands noms du CAC 40 y sont : Total (depuis 75 ans), GDF Suez, Technip, Carrefour, Airbus (Qatar Airways a été la compagnie de lancement de l’A350…), Air liquide… A cela s’ajoutent des participations minoritaires dans des sociétés qatariennes comme Qatar Gaz, Safir Petroleum ou QDVC (Qatar Diar/Vinci ).
En sens inverse, les Qatariens sont, on le sait, des investisseurs de choix dans l’Hexagone, et pas que dans le football ou l’hôtellerie de luxe : d’après Mohammed Al-Thani, la France est la deuxième destination des investissements publics qatariens dans l’Union européenne avec « un volume » de 25 milliards de dollars, auxquels s’ajoutent les privés, de l’ordre de 5 milliards de dollars.
Quant à la relation commerciale, elle est encore déséquilibrée au détriment de la France, fluctuant en fonction des grands contrats : en 2013, les exportations françaises, en chute de 4,9 % ont atteint 736,1 millions d’euros alors que les importations en provenance du Qatar, dominées par les hydrocarbures et la pétrochimie, ont atteint 847,6 millions d’euros, en hausse de 8,4 %, selon les chiffres des douanes françaises compilés par la base de données GTA-GTIS.
Le Qatar n’est que le 60ème client de la France et son 59ème fournisseur. Les bases sont déjà solides, le potentiel reste énorme.
La signature du grand contrat pour la livraison de tramways Citadis à la ville nouvelle de Lusai, une commande de 750 millions d’euros pour Alstom, le 23 juin à l’Élysée, est de bon augure. Il a été décroché dans le cadre d’un projet de 2,45 milliards d’euros remporté par un consortium associant Alstom et QDVC, la société de droit qatarien associant Vinci (49 %) et Qatar Diar (51 %).
En revanche, les espoirs d’obtenir enfin, lors de cette visite, une annonce du choix du Rafale de Dassault pour le marché de 34 avions de combats –voire 72- lancé par Doha ont été vains. Mais ce ne serait que partie remise, et il reste encore les énormes perspectives ouvertes par les programmes d’investissements pharaoniques engagés par l’émirat* .
Christine Gilguy
* Lire dans la LC cette semaine : France-Qatar : les secteurs prioritaires du business