« Sur l’incendie, nous envoyons des groupes de 2 ou 3 experts aux réunions internationale des groupes techniques européens là où les Allemands en mettent 10 ». Régis Cousin, président de la Fédération française des métiers de l’incendie (FFMI) ne croit pas si bien dire : les entreprises françaises sont à la traîne dans la bataille d’influence qui touche à l’élaboration des normes internationales, car elles ne s’impliquent pas suffisamment dans leur élaboration malgré que ces normes soient devenues un outil d’influence redoutable au plan industriel et commercial. Les convaincre de le faire était l’objectif d’un séminaire organisé par la Délégation interministérielle à l’intelligence économique (D2IE) et le Medef le 4 juin à Paris, qui a attiré une centaine d’entreprises*.
Et les arguments des experts conviés à témoigner par Claude Revel, la patronne de la D2IE très engagée sur ce sujet, n’ont pas manqué. « La normalisation contribue à 25 % de la croissance du PIB en France, et le rapport est équivalent pour l’Allemagne », a ainsi affirmé Elena Santiago, directrice générale du Comité européen de normalisation électrotechnique (Cen-Cenelec).
Les PME « ont tendance à considérer les questions de normalisation comme des sujets compliqués »
« Nous sommes très sensibles aux PME, et elles ont tendance à considérer les questions de normalisation comme des sujets compliqués, qui prennent trop de temps, qu’elles préfèrent laisser à d’autres », a déploré, pour sa part, Olivier Peyrat, le directeur général de l’Afnor (Agence française de normalisation), un passionné lui aussi. Et de lancer une mise en garde : « On est vraiment aujourd’hui dans des compétitions entre écosystèmes verrouillés et non plus entre acteurs industriels. Si un écosystème gagne, c’est tout l’écosystème d’en face qui risque de s’écrouler ».
La normalisation internationale, qui touche tout autant l’industrie que les services ou le juridique, a de quoi effrayer par sa complexité. Pour simplifier, elle s’organise autour de grandes organisations telle qu’Iso, selon un processus pyramidale qui part de la base nationale -via des groupes de travail sous l’égide d’organismes comme l’Afnor-, vers le sommet, les comités techniques européens ou internationaux, auxquels sont transmis les résultats des travaux et au sein desquels s’élaborent les consensus. Pour Elena Santiago, le meilleur moyen pour les PME de s’impliquer dans les normalisations qui intéressent directement leur activité est de commencer par participer aux groupes de travail nationaux, « dans leur langue ».
12000 à 15000 euros, 18 mois d’engagement 2 à 3 jours par semaine
La preuve que c’est possible ? 12 000 à 15 000 euros, 18 mois d’engagement à raison de 2 à 3 jours par semaine: ce n’est pas une offre d’emploi à temps partiel, c’est ce qu’a coûté à Thierry Delacroix, fondateur de Prologism, une entreprise de services numériques (ESN) de 70 personnes, l’obtention du premier référentiel de bonnes pratiques européen dans son métier sous l’égide du Cen-Cenelec, une véritable norme qui lui assure un avenir doré.
La spécialité de Prologism : intervenir sur les systèmes d’informations sujets à des usages critiques -par exemple le service en ligne des déclarations d’impôts sollicités d’un coup par des milliers de contribuables deux jours avant la date limite- pour éviter qu’ils saturent. Expliquer à ses clients ce qu’il faisait et leur faire passer des recommandations étaient un casse-tête : « On avait du mal à communiquer sur notre expertise », a indiqué le dirigeant. D’où sa décision de se lancer dans un processus de normalisation : le contact a été pris avec l’Afnor, via Claude Revel, et la connexion a été faite avec les circuits du Cen-Cenelec.
Les organismes qui peuvent canaliser les efforts des entreprises ne manquent pas : fédérations professionnelles –qui sont dotées en interne de services qui s’y consacrent-, organisations spécialisées comme l’Afnor, organismes d’État comme la D2IE, qui, elle, se positionne surtout dans un rôle de sensibilisation et de facilitateur des initiatives.
Reste un point important : la reconnaissance par les directions des entreprises elles-mêmes de la valeur ajoutée de la normalisation et des experts qui, en leur sein, peuvent s’y consacrer. Ce qui ne semble pas acquis en France.
De grands groupes montrent la voie. Chez Schneider Electric, société d’ingénieurs qui a grandi grâce à des savoir-faire solides, ce cap a été franchi au début des années 2000 : « les marchés avaient commencé à converger, il était devenu évident que maîtriser la technique sans avoir une vision stratégique ne servait plus à rien » a relaté Claude Breining, vice-président de ce groupe devenu mondial et également président du comité Normalisation certification du Medef. « Nous avons donc mis en place un service dédié à la normalisation, avec pour objectif de rester leader sur nos marchés. Et ça a aussi été un moyen de valoriser l’expertise de nos collaborateurs ».
Christine Gilguy
*Sont intervenus à ce séminaire : Pierre Gattaz, président du Medef ; Claude Revel (D2IE) ; Olivier Peyrat (Afnor); Pierre Danet (Hachette Livre) ; Elena Santiago (Cen-Cenelec) ; Régis Cousin (FFMI) ; Claude Breining (Schneider Electric et Medef) ; Dominique Lamoureux (Thales et Medef) ; Lydie Evrard (Délégation interministérielle aux Normes) ; Thierry Delacroix (Prologism)