3,060 milliards d’euros : tel était le niveau des encours de contrats d’exportation garantis par Coface pour le compte de l’État français à fin 2013, situant la Russie au cinquième rang du top 10 des pays de destination. En cas d’interruption pour raison politique, il faudra verser des indemnisations aux exportateurs où à leurs banques.
L’enjeu en termes financiers et d’emplois, est donc loin d’être négligeable en ces temps de disette budgétaire et de campagne électorale (municipales, européennes) si jamais le bras de fer actuel entre d’une part les Européens et Américains et d’autre part le régime de Vladimir Poutine à propos de l’indépendance de la Crimée et de son rattachement à la Fédération de Russie devait se traduire par une escalade de sanctions.
Après une phase 2 qui a consisté à interdire de circulation et geler les avoirs de personnalités politiques russes et ukrainiennes (11 pour les États-Unis, 21 pour les Européens*) les Européens ont annoncé une phase 3 de sanctions économiques dont ils se gardent bien de dévoiler un contenu précis.
Sensibles et éminemment politiques, les contrats français du secteur de la défense sont bien évidemment en toute première ligne depuis que le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a confirmé à la presse, le 17 mars, que la France « pourra envisager », « si Poutine continue ce qu’il fait », d’annuler le contrat de vente aux Russes des deux navires militaires de projection et de commandement « Mistral », renvoyant à la « phase 3 des sanctions ». Le contrat de vente de ces deux navires, en cours de construction chez STX France, avait été conclu en 2011 par l’ancien président Sarkozy dans le cadre d’un partenariat stratégique, pour plus d’un milliard de dollars.
Lors d’un petit déjeuner organisé, le 19 mars à Paris, par le cabinet Gide, l’ancien ambassadeur de France en Ukraine Jacques Faure (août 2008-octobre 2011) a indiqué que » si les sanctions montaient encore d’un cran » plusieurs autres projets de contrats entre Paris et Moscou seraient remis en cause dans le secteur aéronautique et aérospatial (avions Airbus, hélicoptères Écureuil…), dans la construction de wagons dans les chemins fer, dans le pétrole et l’énergie.
Dans le rail, Jacques Faure fait ainsi référence au partenariat d’Alstom avec son homologue russe TMH pour gagner des marchés sur place et à la lettre d’intention, signée en avril 2013 entre la SNCF et les chemins fer russes RZD pour développer leur coopération dans la recherche et l’apprentissage de la grande vitesse. En outre, Alstom et THM ont la volonté de proposer à RZD une locomotive électrique de nouvelle génération. Et SNCF espère bénéficier de son association avec son homologue pour gagner le futur marché du TGV entre Moscou et Saint-Pétersbourg.
Dans le domaine aérospatial, il se murmure aussi que l’achat de plusieurs lanceurs russes Soyouz serait annulé. Quant à l’énergie, le développement du gisement gazier de Yamal en zone arctique pourrait être gelé. En effet, le projet Yamal LNG est piloté par Total avec le deuxième producteur de gaz russe, Novatek.
Laurent Fabius a décidé, avec son collègue de la Défense Jean-Yves Le Drian, d’annuler une rencontre à Moscou programmée avec leurs homologues russes le 18 mars. Nicole Bricq, au Commerce extérieur, n’ira sans doute pas le 22 mai à Moscou comme son planning initial de déplacements le prévoyait. Mais le patron du Quai d’Orsay s’est montré prudent sur la question du contenu de cette « phase 3 » des sanctions : « nous demanderons à d’autres, je pense notamment aux Britanniques, de faire l’équivalent avec les avoirs russes des oligarques à Londres. »
De quoi maintenir les milieux d’affaires français engagés dans ces contrats dans l’incertitude, d’autant plus que nul ne sait quelles seront les éventuelles mesures de riposte aux sanctions européennes côté russe…
Christine Gilguy, avec François Pargny
*Voir le détail des liste sur www.lemoci.com : Ukraine-Russie : les listes de personnalités visées par les sanctions