C’est à l’occasion d’un séminaire sur les opportunités d’affaires, organisé par Mida (Malaysian Investment Development Authority) à Paris, le 12 mai, que Mustapa Mohamed, ministre en charge du Commerce international et de l’industrie dans le gouvernement de Kuala Lumpur, a reçu la Lettre confidentielle pour un entretien exclusif d’une demi-heure. Un ministre tout sourire, sans langue de bois, alternant réponses franches, demi-phrases et silences éloquents, sur les négociations avec l’Union européenne (UE), le projet de TGV, les perspectives du Rafale ou encore du nucléaire français dans son pays.
Ainsi, a-t-il accepté d’évoquer sa rencontre, la veille à Bruxelles, avec la commissaire européenne au Commerce, Cecilia Malmström. « Une femme déterminée », a-t-il laissé entendre, reconnaissant ainsi que la partie ne serait pas facile : quatre ans après le début des négociations avec l’UE pour un accord de libre-échange (ALE), « les discussions, après avoir été interrompues pendant 18 mois, pourraient reprendre d’ici la fin de l’année », espère le dirigeant malaisien.
Mais il n’omet pas de réfuter au passage la perception européenne selon laquelle son pays serait plus intéressé par le Traité transpacifique de partenariat économique (TPP) à l’heure actuelle en négociation entre 12 États (États-Unis, Canada, Japon, Mexique, Brunei, Malaisie, Australie, Pérou, Vietnam, Singapour, Nouvelle-Zélande, Chili) que par un ALE avec l’UE. « Nous avons déjà conclu 13 ALE surtout en Asie et un accord avec les Européens serait pour nous très important », soutient Mustapa Mohamed.
Mustapa Mohamed demande à l’UE de « comprendre » la règle des Bumiputra
Cependant, selon les Européens, Kuala Lumpur ne voudrait pas favoriser l’accès d’étrangers aux marchés publics. Sont particulièrement dans leur ligne de mire les appels d’offres dans les transports qui, selon eux, manquent de transparence. Les sociétés étrangères notamment, comme dans les hydrocarbures, sont obligés de recruter comme associé, membre du conseil d’administration ou parmi leur personnel des « Bumiputra », c’est-à-dire des « Fils du sol » : Malais (musulmans) ou indigènes de Bornéo. Une obligation inacceptable, a déjà indiqué la Commission européenne, mais le ministre malaisien, de son côté, appelle l’UE « à comprendre, à s’adapter au contexte local ».
A l’indépendance de la Malaisie en 1957, les Malais (60 % aujourd’hui de la trentaine de millions de Malaisiens) ont bénéficié d’avantages, notamment pour occuper des postes dans la fonction publique, alors que les Chinois et les Indiens du pays s’orientaient vers le commerce et l’industrie. Une situation aujourd’hui mal comprise des jeunes générations non « Bumiputra », mais que n’ose pas changer un pouvoir qui a réussi à préserver la paix sociale depuis les émeutes raciales de 1969 ayant coûté la vie à de nombreux Chinois.
Les Malaisien restent tout aussi fermés sur les taxes frappant certains produits français phares comme le vin. Récemment, au moment du séjour du secrétaire d’État français au Commerce extérieur, Matthias Fekl, à Kuala Lumpur (13-14 avril), la communauté française a fait part à Mustapa Mohamed de ses doléances, et notamment du niveau des taxes à l’importation sur le vin, « les plus élevées de la région », selon un opérateur économique français. Réponse du ministre malaisien, réitérée à la LC : impossible « dans un pays musulman », où il « y a des lignes rouges qu’on ne peut pas dépasser ». Des propos qui peuvent surprendre dans une nation où les non musulmans peuvent manger du porc et boire de la bière sans être inquiétés. Mais si la majorité musulmane est modérée, il semble qu’il y ait, a contrario, une petite montée de l’islam radical en Malaisie.
Les investissements prioritaires dans les transports seront maintenues
En outre, la presse nationale a fait récemment ses choux gras des mésaventures de Najib Razak, le Premier ministre accusé d’incompétence par son célèbre prédécesseur de 1981 à 2003 Mahathir Mohamad et empêtré dans le scandale du One Malaysian Development Berhad, un fonds qui, sous sa direction, a accumulé une dette de 10,6 milliards d’euros. Si jusqu’ici la Malaisie a brillé par sa stabilité, certains observateurs commencent à s’inquiéter. D’autant que pour ajouter encore à l’incertitude, les prix du pétrole ont baissé.
« Nous ne sommes pas membres de l’Opep et les hydrocarbures ne représentent que 7 à 8 % de notre produit intérieur brut », tempère Mustapa Mohamed, tout en reconnaissant que « c’est un manque à gagner pour les revenus de l’État », ce qui a amené le gouvernement à « diminuer de 10 % les dépenses » dans le budget actuel. Mais « comme notre économie n’est pas totalement dépendante du pétrole et qu’elle est diversifiée, nous pouvons, assure-t-il, poursuivre nos investissements dans le transport de masse, les chemins de fer, la route, les aéroports ». Et de préciser que le projet de la ligne à grande vitesse entre Kuala Lumpur et Singapour « sera concrétisé à la fin de l’année ».
En revanche, Mustapa Mohamed n’hésite pas à refroidir les espoirs français sur l’aéronautique de défense et le nucléaire. En ce qui concerne le Rafale, que veut acquérir l’Inde, le ministre offre d’abord un large sourire, avant de plaisanter sur « les moyens financiers supérieurs » de ce grand pays émergent. Puis, alors que la LC pointe le fait que la Malaisie est traditionnellement le quatrième ou le cinquième acheteur d’armement français, il précise que l’État va « continuer à dépenser pour la défense, mais pas autant qu’auparavant ».
Selon le ministre malaisien, « le Rafale est très cher », mais, convient-il, « il faudra bien moderniser notre flotte », prenant ainsi rendez-vous « pour plus tard ». S’agissant du nucléaire, il dit avoir signifié au secrétaire d’État français au Commerce extérieur que son gouvernement « n’est pas intéressé ». Matthias Fekl avait évoqué le sujet avec Mustapa Mohamed lors de sa visite en Malaisie en avril, après une rencontre avec le responsable du secteur nucléaire civil et de l’innovation au sein du cabinet du Premier ministre. A suivre, donc…
François Pargny
Pour prolonger :
Lire : Guide business Malaisie 2014